Le soliloque du dominant – quelques réflexions sur les affaires polanski et mitterrand
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L’arrestation de Roman Polanski à Zurich, le 26 septembre 2009, et l’exhumation de l’affaire pour laquelle il reste poursuivi par la justice américaine, auront été l’occasion pour un nombre assez effarant de commentateurs – et de commentatrices – de démontrer une fois de plus à quel point leur vision de l’érotisme se passe aisément de cette broutille que représente, à leurs yeux, la réciprocité du désir féminin (on se contente en général de parler de « consentement », mais plaçons la barre un peu plus haut, pour une fois).
En témoigne l’expression « vieille affaire de mœurs », utilisée dans les premières dépêches ayant suivi l’arrestation, ainsi que dans la pétition du gratin du cinéma mondial lancée en faveur du réalisateur franco-polonais : de nombreuses voix se sont élevées pour faire remarquer à juste titre que, s’agissant de la pénétration et de la sodomie d’une adolescente de 13 ans préalablement soûlée au champagne et shootée au Quaalude, c’était un peu léger.
Partout, les défenseurs du cinéaste soulignent, comme s’il s’agissait de l’argument définitif en sa faveur, que la justice « s’acharne » alors que la victime elle-même, Samantha Geimer, demande le classement de l’affaire : or, elle le demande parce qu’elle ne supporte plus l’exposition médiatique, et peut-être aussi parce qu’elle a été indemnisée ; pas parce que, avec le recul, elle admet que ce n’était pas si grave, ou qu’elle a bien aimé l’expérience, comme on semble le fantasmer…
Dire oui à un homme, c’est dire oui à tous les hommes
De ses archives, Paris-Match a ressorti un article publié à l’époque, intitulé :
« Roman Polanski : une lolita de 13 ans a fait de lui un maudit »
(La salope !)
Un intertitre révèle :
« La jeune “victime” pervertie n’était pas si innocente »,
Et la journaliste de préciser :
« Samantha G. est une Lolita en T-shirt, à qui des formes bronzées donnent nettement plus que son âge, d’ailleurs plus près de 14 ans que de 13. Elle a reconnu avoir eu, avant sa rencontre avec le metteur en scène, et au moins à deux reprises, des rapports sexuels avec un boy-friend de 17 ans. »
Le fait que les relations sexuelles avec un(e) mineur(e) soient prohibées par la loi dans tous les cas devient ici un prétexte pour occulter la différence qui peut exister entre un rapport consenti et un rapport forcé. En résumé : sa non-virginité à laquelle s’ajoutent ses « formes bronzées » de « Lolita » – elle n’avait qu’à ne pas être aussi bonne ! – fait d’elle un objet appropriable par qui le souhaite ; dire oui à un homme, c’est dire oui à tous les hommes.
On pourrait penser que, trente-deux ans plus tard, on en a fini avec un mode de pensée aussi archaïque. Mais Le Nouvel Observateur publie un article d’anthologie, dont le titre :
« Une affaire vieille de trente ans – Qui en veut à Roman Polanski ? »…
… est un poème à lui seul.
Comme dans le titre de Match, les responsabilités sont inversées :
« La mère, une actrice en mal de rôles, a laissé volontairement sa fille seule avec Polanski, pour une série de photos. Le cinéaste, qui a la réputation d’aimer les jeunes filles, ne résiste pas. » [1]
Ce n’est pas Samantha Gailey (son nom de jeune fille) qui a été piégée, mais Polanski, dont la « Lolita perverse » et / ou sa mère machiavélique auraient exploité sans pitié les faiblesses bien humaines – décidément, le pauvre homme va de « traquenard » en « traquenard ». Au mieux, si la jeune fille s’estime lésée, elle n’a qu’à s’en prendre à sa mère.
Le grand retour du « puritanisme américain »
Même Bernard Langlois, dans Politis, valide cet argument :
« On peut aussi se poser quelques questions, écrit-il, au sujet de cette Lolita dont les charmes firent déraper le cinéaste, et que personne n’obligeait à se rendre en sa seule compagnie en un appartement désert pour y poser seins nus (c’est elle qui raconte) devant son objectif : l’ingénuité aussi a des limites. » [2]
Sans doute ; mais où se situent-elles précisément, ces « limites » de l’« ingénuité » ?
Est-ce faire preuve d’« ingénuité » de porter une minijupe ?
De se balader seule dans les rues après minuit ?…
Au nom de quoi une jeune fille ou une femme qui poserait pour un photographe, même seins nus, est-elle censée avoir signé aussi pour passer à la casserole si elle n’en a pas envie ?
Le problème, avec le refus de la loi du plus fort, c’est qu’il exige des positions un peu tranchées : soit il est affirmé, et il interdit les demi-mesures, soit on lui tolère des exceptions, et on voit alors immanquablement des décennies d’acquis féministes, voire simplement progressistes, se barrer en sucette.
Escamoter la question de la réciprocité du désir, c’est aussi ce qui permet de brandir la vieille accusation de « puritanisme » à l’égard de ces coincés du cul d’Américains (« l’Amérique qui fait peur », dit Frédéric Mitterrand). Philippe Boulet-Gercourt et François Forestier relatent dans Le Nouvel Observateur :
« Au bout de quarante-deux jours, Polanski est relâché en liberté conditionnelle. Il repart travailler. Une photo remet tout en question. Polanski, cigare aux lèvres, s’amuse à la Fête de la Bière en Allemagne. Le juge, irrité, casse le deal. »
Ils omettent de préciser que, sur cette photo à la Fête de la Bière, Polanski s’amuse entouré de jeunes filles : on a ainsi l’impression que ce juge est un rabat-joie qui manque terriblement de sens de la fête et n’aime pas que les gens « s’amusent ». Que l’Amérique puritaine veuille la peau de Polanski, c’est bien possible ; mais, dans le cas précis de l’affaire Samantha Gailey, l’argument est hors-sujet. Ce raisonnement nous rappelle celui de la penseuse antiféministe Marcela Iacub et de son collègue Patrice Maniglier lorsqu’ils affirment que, si on pénalise le harcèlement sexuel, c’est parce qu’on n’est
« pas à l’aise avec la chose sexuelle » [3]
On s’est focalisé, depuis le début de cette affaire, sur ceux de ses aspects qui tombent sous le coup de la loi : est-ce un viol ? Est-ce de la pédophilie ?… (Réfuter l’accusation de pédophilie semble d’ailleurs suffire, dans l’esprit de ceux qui le font, comme Alain Finkielkraut, à disculper Polanski, comme si le viol n’était pas une chose bien grave tant qu’il ne concerne pas un enfant.) Or, il se pourrait bien qu’il vaille la peine d’élargir le cadre, en s’intéressant à la mentalité qui peut, incidemment, conduire à « forcer la main » à une gamine de 13 ans ; une mentalité qui est loin d’être l’apanage d’un Polanski, et qui révèle la persistance des rapports de domination dans toute leur crudité.
Comme si les filles sortaient du ventre de leur mère en rêvant de devenir mannequins
Bien que la compétition soit serrée, c’est indiscutablement Costa-Gavras qui peut revendiquer la palme de la beaufitude dans les réactions indignées à l’arrestation de son collègue cinéaste :
« Cessez de parler de viol, il n’y a pas de viol dans cette histoire ! Vous savez, à Hollywood, les metteurs en scène, les producteurs sont entourés de très beaux jeunes hommes, de très belles jeunes femmes, qui sont grands, blonds, bien bronzés, et prêts à tout. »
Et à Marc-Olivier Fogiel qui lui objecte qu’on parle ici d’une adolescente de 13 ans, il réplique :
« Oui, mais enfin, vous avez vu les photos : elle en fait 25 ! »
Commentaire perfide de Maître Eolas :
« Il est vrai que 13 minutes d’un de ses films en paraissent 25, mais je doute de la pertinence juridique de l’argument. »
« Prêts à tout. » Il est étrange que la société ne s’interroge pas davantage sur les mécanismes culturels qui font que bien des adolescents, et surtout des adolescentes, sont, en effet, « prêts à tout » pour une carrière dans le show-biz – comme si les filles sortaient du ventre de leur mère en rêvant de devenir mannequins. Dans sa déposition, Samantha Gailey racontait :
« Il m’a montré la couverture de Vogue Magazine et demandé : “Voudrais-tu que je te fasse une telle photo ?” J’ai dit : “Oui.” »
On pense alors au bruit fait récemment par Picture Me, le documentaire réalisé par l’ancien top model américain Sara Ziff et son ex-petit ami, Ole Schell, sur son expérience dans le milieu de la mode.
Un milieu que la jeune femme décrit comme
« un environnement prédateur », « plein d’hommes d’âge mûr tournant comme des requins autour de filles jeunes et vulnérables » [4]
Devant la caméra, un jeune modèle du nom de Sena Cech raconte un casting avec l’un des plus grands photographes de mode :
« Chérie, peux-tu faire quelque chose de plus sexy ? »
Puis son assistant lui dit :
« Sena, peux-tu attraper sa queue et la tordre très fort ? Il aime quand on la lui serre vraiment très fort. »
« C’était horrible, mais je l’ai fait. Et j’ai eu le job. Mais le lendemain, je me sentais mal. »
(Voir l’entretien avec Sara Ziff dans The Observer.)
Une autre, qui a finalement refusé que son témoignage figure dans le film, raconte comment, à ses débuts, alors qu’elle avait 16 ans et n’avait « encore jamais embrassé personne », un autre grand photographe (« probablement l’un des plus célèbres ») l’a coincée dans un couloir et lui a introduit ses doigts dans le vagin. « A peu près toutes les filles à qui j’ai parlé ont une histoire comme ça », affirme Sara Ziff.
« Des poupées vivantes »
Cette violence s’ajoute à celle qui consiste, plus généralement, à traiter des jeunes filles comme de simples carcasses – « des poupées vivantes », dit Sara Ziff – réduites à leur plastique, soumises à des exigences esthétiques tyranniques. Sur son blog, à la sortie de Picture Me, « Tatiana The Anonymous Model » faisait le lien, sous le titre « Modelling and the tragedy of Karen Mulder », entre le film et ce qui arrivait au même moment à l’ancien top model néerlandais. Celle-ci venait d’être placée en garde à vue à Paris pour avoir menacé de mort sa chirurgienne esthétique, à qui elle réclamait en vain une nouvelle intervention afin de corriger la précédente, dont elle n’aimait pas le résultat.
L’épisode s’ajoutait à une histoire déjà chargée, marquée notamment par une tentative de suicide et un pétage de plombs sur le plateau de Thierry Ardisson. La blogueuse rapporte ces propos plutôt troublants tenus par Mulder dans un entretien, peu après sa tentative de suicide :
« J’ai toujours détesté être photographiée. Pour moi, c’était juste un rôle, et à la fin, je ne savais plus qui j’étais vraiment en tant que personne. Tout le monde me disait “Hey, tu es formidable” ; mais à l’intérieur, c’était de pire en pire chaque jour. »
La réalité de la condition de mannequin, le prix exorbitant auquel ces filles paient le culte que l’on orchestre autour d’elles et les millions de dollars dont on les couvre (et encore : pour les plus en vue d’entre elles, soit une infime minorité), fait l’objet d’un déni général. Les frasques d’une Kate Moss, malgré ses cures de désintoxication à répétition (elle expliquait sa dépendance à l’alcool par le fait que sur les défilés, à 10 heures du matin, il n’y avait rien d’autre à boire que du champagne), restent présentées comme un style de vie rock’n’roll et « rebelle » – rien d’autre. Comme le rappelle « Tatiana The Anonymous Model », l’un des dirigeants de l’agence Elite, Gérald Marie, ancien mari du top model Linda Evangelista, filmé en caméra cachée par un reporter de la BBC en 1999
« en train d’offrir 300 livres pour du sexe à un mannequin de 15 ans et de spéculer sur le nombre de participantes au concours organisé par son agence avec qui il allait coucher cette année »…
…est toujours en fonction.
(Le Nouvel Observateur avait publié sous le titre « “On est comme ça, nous les mecs !” » – un vrai cri du cœur – un article étonnamment sévère envers le reportage de la BBC et clément envers son objet.)
Un érotisme de ventriloques
Devant les remous suscités par le film de Sara Ziff et Ole Schell, les magazines féminins s’en sont fait l’écho – mais sans établir un lien avec la publicité constante qu’ils assurent à la condition de mannequin, en la présentant comme la plus enviable du monde, à grands renforts de success stories et de photos flatteuses. Pas une seule de leurs livraisons, en effet, qui ne relate le « conte de fées » vécu par tel ou tel modèle : comment j’ai été découverte dans la rue, comment un photographe m’a remarquée, comment j’ai enchaîné les couvertures et les défilés, comment je suis devenue riche et célèbre, comment j’ai rencontré l’amour, comment – apothéose – je suis devenue maman… Mais en passant plutôt rapidement, en général, sur l’étape « Comment j’ai dû empoigner la queue du Grand Photographe ».
Sara Ziff, qui a commencé sa carrière à 14 ans, relève combien il est problématique de demander à des filles de prendre des poses sexy, de jouer de leur sexualité, alors que celle-ci est encore balbutiante. On notera d’ailleurs l’ironie qu’il peut y avoir à hypersexualiser des filles à peine pubères, pour ensuite les accuser d’avoir provoqué les abus dont elles sont victimes, en les qualifiant de « Lolitas perverses » ! Ce qui frappe, c’est la prédominance d’un érotisme de ventriloques, qui balaie la subjectivité des dominés. Par rapport à Samantha Gailey, Polanski était à tous points de vue en position de dominant : un réalisateur célèbre de 43 ans, face à une gamine anonyme de 13 ans, qu’il recevait dans la villa de Jack Nicholson… Interrogé sur son goût pour les jeunes filles, dans une séquence rediffusée le 2 octobre dans l’émission d’« Arrêt sur images » (sur abonnement) consacrée à l’affaire, il réfléchissait un instant, avant de répondre un brin tautologiquement :
« J’aime les jeunes filles, disons-le comme ça… »
Il ajoutait qu’il y avait différentes manières de réagir à la souffrance :
« Certains s’enferment dans un monastère, et d’autres se mettent à fréquenter les bordels. »
(À ceux qui font valoir que cet homme a beaucoup souffert, il faudra rappeler leurs prises de positions, la prochaine fois qu’ils fustigeront la « culture de l’excuse » si caractéristique de la gauche angéliste.)
Il en va de même pour le ministre de la culture Frédéric Mitterrand, qui souligne que la fréquentation des prostitués thaïlandais lui a servi à apaiser ses tourments d’homosexuel mal assumé (lire à ce sujet les réflexions de Didier Lestrade sur son blog).
La vieille mythomanie du client de la prostitution
S’abriter derrière son statut d’artiste pour justifier cet usage consolatoire de plus faible que soi ne va pas sans poser quelques problèmes, ironise André Gunthert sur Recherche en histoire visuelle :
« La littérature, c’est comme la baguette magique de la fée Clochette : ça transforme tout ce qui est vil et laid en quelque chose de beau et de nimbé, avec un peu de poudre d’or, de musique et de grappes de raisin tout autour. Pour les poètes, la prostitution n’est plus la misère, le sordide et la honte. Elle devient l’archet de la sensibilité, l’écho des voix célestes, la transfiguration des âmes souffrantes. La littérature, ça existe aussi au cinéma. Talisman de classe, elle protège celui qui la porte de l’adversité. Que vaut une fillette de 13 ans face à une Palme d’or ? »
Erotisme de ventriloques, et production artistique de ventriloques, aussi, en effet. Frédéric Mitterrand se trouve en position de dominant non seulement parce qu’il paie un jeune Thaïlandais pour que celui-ci se mette au service de son désir (« I want you happy » : comme c’est touchant), mais aussi parce qu’il en fait ensuite un livre, dont la puissance littéraire n’a pas échappé à nos chevronnés esthètes de Brave Patrie et dans lequel il projette sur le jeune homme les sentiments qui lui conviennent, avec cette étonnante capacité à se raconter des histoires que manifestent les clients de la prostitution :
« Le fait que nous ne puissions pas nous comprendre augmente encore l’intensité de ce que je ressens et je jurerais qu’il en est de même pour lui »
(Voir les extraits sur le site du Monde).
La tendance actuelle à la délégitimation et à l’effacement de la subjectivité des dominés peut d’ailleurs s’observer dans des domaines très différents.
Sois belle et tais-toi, ou la pauvreté des rôles féminins
Porte-manteau à fantasmes, marionnette de ventriloque, c’est aussi la position la plus fréquente des femmes au cinéma.
« J’avais envie de bastonner les gens qui me disaient : “Oh, tu étais formidable dans ce film !” J’aurais voulu leur dire : ne me dis pas que tu m’as aimée là-dedans, je n’y étais même pas ! C’était quelqu’un d’autre ! »
Ainsi parlait, en 1976, l’une des actrices – françaises et américaines – interviewées par leur consœur Delphine Seyrigpour son documentaire Sois belle et tais-toi. Edité en DVD par le Centre audiovisuel Simone de Beauvoir (que Seyrig a fondé), le film, malgré sa mauvaise qualité technique, mérite le détour. Toutes y racontent la pénurie de rôles féminins, et, plus encore, leur pauvreté, les quelques sempiternels clichés auxquels ils se réduisent. L’une d’elle confie :
« Ils sont très rares, les films où la femme est perçue comme un être humain »
Seule exception, Jane Fonda – dont l’abattage et le charisme crèvent l’écran – déborde d’enthousiasme en évoquant le film qu’elle vient alors de tourner avec Vanessa Redgrave : Julia, de Fred Zinnemann, sorti en 1977, qui raconte l’amitié entre deux femmes pendant la seconde guerre mondiale. À propos de son personnage, elle a cette formule éloquente :
« C’était la première fois que je jouais le rôle d’une femme qui ne joue pas un rôle. »
Ces actrices parlent en des termes qui rappellent presque mot pour mot ceux de Karen Mulder. Ainsi Jane Fonda se souvient-elle de son passage, le jour de son arrivée à la Warner, sur l’espèce de fauteuil de dentiste où atterrissaient toutes les actrices, tandis que les experts mâles se bousculaient au-dessus d’elles pour les examiner sous toutes les coutures et les maquiller :
« Je ne savais plus qui j’étais », « Ils m’ont conseillé de me teindre en blonde, de me faire briser les mâchoires par le dentiste pour creuser les joues (j’avais encore mes bonnes joues d’adolescente), de porter des faux seins et de me faire refaire le nez, parce que, avec un nez pareil, je ne pourrais “jamais jouer la tragédie” ! »
« L’homme est un créateur, la femme est une créature »
La volonté de modeler l’autre en fonction de son fantasme se traduit aussi, en effet, de la manière la plus concrète, en taillant dans la chair. Analysant les émissions de télé-réalité qui mettent en scène des opérations de chirurgie esthétique, un critique de Télérama faisait remarquer :
« Magie de la technologie au service d’une extrême violence. Violence contre le corps des femmes, “violence faite aux femmes”, comme on dit. Violence presque symétrique à celle exercée par le port de la burqa [le « presque » est superflu, à notre avis]. L’acharnement mis à “dégager le visage”, à “donner le goût d’être visible” dans un cas rappelle celui mis à masquer, à effacer dans l’autre. Les femmes qui se découvrent dans le miroir de Miss Swan “ne se reconnaissent pas”. Pas plus que les femmes portant la burqa. Rien à voir ? Non, rien à voir. D’ailleurs, a-t-on vu une mission parlementaire enquêter sur la chirurgie esthétique ? » [5]
L’homme est un créateur, la femme est une créature » : autant dire que cette division des rôles a des racines très profondes (voir aussi à ce sujet « Les arts du spectacle, une affaire d’hommes », Les blogs du Diplo, 29 juillet 2009). Dans Sois belle et tais-toi, toujours, Maria Schneider, covedette avec Marlon Brando du Dernier tango à Paris de Bernardo Bertolucci, sorti en 1972 et dans lequel, comme dit Wikipédia, « une tablette de beurre devint célèbre », raconte, elle, que, durant le tournage, Bertolucci lui a à peine adressé la parole : « Il a fait le film avec Marlon. » Une autre lui fait écho : « Tout le cinéma n’est qu’un énorme fantasme masculin. »
Trente-cinq ans plus tard, le constat, à peu de choses près, reste valable. La seule différence notable, c’est peut-être que plus personne, ou presque, n’y trouve sérieusement à redire.
p.-s.
Une précision importante de Valérie de Saint-Do, de Cassandre/Horschamp :
Il existe un « âge du consentement » du mineur à des relations sexuelles, de 15 ans en France, de 16 en Grande-Bretagne, de… 13 ! en Espagne. En ce cas les relations sexuelles sont légales, mais les parents restant détenteurs de l’autorité parentale, ils peuvent porter plainte pour détournement de mineur. Le jugement ne s’appuie pas alors sur le fait qu’il y ait des relations sexuelles mais sur les incidences qu’ont ces relations sur le comportement du mineur (fuite du domicile parental par exemple). Et il existe des cas où ces relations restent punissables, en cas de subordination du mineur (prof/élève par exemple). Dans la confusion générale où on confond quand même beaucoup pédophilie et relations avec mineurs, ça me semble important à préciser. Et ça ne change rien au fond du sujet qui est de reconnaître l’adolescente ou la femme comme sujet de son désir ou de son non-désir. Mais comme son désir fait peur, il s’agit aussi de ne pas cautionner la répression sexuelle exercée envers des adolescentes (et très rarement des adolescents, sauf s’ils sont homosexuels !) qui ont atteint l’âge du consentement.
http://lmsi.net/Le-soliloque-du-dominant
j’approuve totalement ce texte. oui les femmes sont des victimes dans ce monde dominé par les hommes et même quand elles sont majeurs leur consentement dans le milieu des arts(ciné,arts plastiques,chanson ) est bien conditionné par une cause non dite mais réelle : l’impossibilté de “réussir” sans passer par l’agréssion sexuelle des hommes. avoir intégré cela est bien aussi l’expression de cette violence.
cependant les relations amoureuses sont parfois “pures” et si à 13ans le débat est clos,il en est autrement lors de l’âge charniére de la puberté. Avoir 14,15 ans c ‘est pour beaucoup de jeunes hommes et de jeunes filles déjà être homme et femme. Oui le coup de foudre entre une personne de 15 ans et une autre de 27 ans ça existe. et tous les deux savent très bien connaître leur amour où il n’y a aucune contrainte et agréssion. c’est rare ? peut être mais ça existe et la société ,l’état n’ont aucun droit à intervenir dans cet amour.
soutien absolue aux femmes victimes et vive l’amour entre deux êtres consentants
« Je suis contre le viol.. tout contre »
Il fallait les voir ces 20 dernières années nous expliquer que les publicités sexistes on s’en foutait, tout comme le langage, l’éducation sexiste ou la taxe rose. Seules comptaient, disaient-ils de ceux qui ont étudié le sujet, les violences sexuelles. C’est qu’on n’y avait pas pensé, pauvres truffes qui se contentions de les subir, pauvres connes qui ne sont rien sans qu’on leur explique où pisser et comment le faire.
Personnellement, depuis que je m’y intéresse, il y a eu une petite variante ; je m’y intéresse mal. Pas comme il faut. Je n’emploie pas les bons mots, je ne sors pas les bonnes études et je vexe à peu près tous les hommes de bonne volonté (et ils étaient nombreux) qui étaient tout prêts à m’écouter si j’avais eu une once de bonne foi.
Lorsqu’il y a eu le mouvement #MeToo, je me suis tout de même dit qu’en leur posant cet énorme étron au milieu du salon, cela allait être difficile qu’ils pinaillent. C’est beau la naïveté à mon âge.
Tout a été tenté.
Nous étions tour à tour, mythomanes, folles, hystériques, dignes des meilleurs collabos, incapables d’estimer des situations à leur juste valeur, infoutues de comprendre l’humour, inaptes à saisir l’essence de la France (qu’on reconnaîtrait apparemment aux types qui violent des femmes, tout en expliquant qu’ils sont l’archétype du séducteur à a française), ruinant la vie de types qui devenaient tous des Dreyfus en puissance.
Certains sont allés jusqu’à reconnaître les violences. Mais ils ont ressorti ce concept merveilleux, déjà vu lors des affaires DSK ; le puritanisme infoutu d’admirer les traditions françaises de galanterie. Ce n’est pas qu’il n’y avait pas violence, nous disaient-ils, il y a violence amoureuse, de qui fait toute la différence. Tu voyais ces coqs en érection sur leur tas de fumier, te dire encore et encore que c’est CA la France madame, cette si excitante domination sexuelle entre hommes et femmes que tu appelles violence et qu’ils appellent sexe.
Et là j’ai tout bonnement commencé à me dire qu’il y avait encore du boulot.
« Mesdames, on est contre le viol… tout contre », ricanaient-ils grassement.
L’inertie masculine est une chose merveilleuse, tant elle est matinée d’une mauvaise foi proverbiale. Ils savent. Ne vous leurrez pas, ils savent. Ils savent qu’on ne met pas de main aux fesses, qu’on ne traite pas les femmes de salope qui ne vous disent pas bonjour, qu’on ne force pas la copine qui a trop bu et que non c’est non. Ils savent et ils font parce qu’ils en ont le pouvoir. Ils savent et ils font parce que leurs copains ne leur disent rien, parce qu’on pourra bien hurler que ca fait mal, qu’a minima ca gâche la journée d’avoir encore été prise pour un déversoir à sperme, c’est un peu comme si un réverbère leur parlait. Enfin. Ces gars là, dont la plupart des activités se passent à se gratter le cul entre la machine à café et une video youtube de chat qui pète, donnent déjà des leçons d’incompétence à des astrophysiciennes, des mathématiciennes ou des historiennes. Et on penserait que nos petits sentiments, nos petites plaintes de femmes lambda, leur feraient quelque chose ? Ils savent et ils ne font rien parce que le silence masculin, la corporation masculine, le boy’s club masculin les tient tous par les couilles. Je n’excuse pas, j’explique. Bros before hoes disent les américains. « Les potes avant les putes ». Ce qui fait que le moindre connard sera soutenu parce que la mythologie masculine veut qu’on se soutienne entre couilles, que Jean-Michel Gros Con vaut toujours mieux que n’importe quelle femelle, et que très peu de mecs ont envie d’être mis à part du merveilleux groupe des mecs qui en ont.
Oh ils accordent parfois de la valeur aux femmes, ne nous y trompons pas. Lorsqu’elle leur est apparentée. C’est le seul angle qui marche parfois c’est dire le peu d’espoir qu’on a. « Mais traiterais tu ta sœur ainsi ? » tente-t-on parfois (en oubliant que la plupart des viols ont lieu dans le cercle familial donc oui sans doute qu’il pourrait traiter sa sœur comme ca).
Et puis il y a eu une focalisation médiatique politique et féministe sur les féminicides. Pourquoi pas, t’es là avec ton espoir qui pèse encore 20 tonnes, ou tu te dis qu’ils ne vont pas oser. Quand on te présente le corps d’une femme lardé de couteau, balancé du 5eme étage, ou écrasé par une bagnole, y’a moyen qu’ils s’émeuvent. Mais on avait choisi le mauvais mot dis donc. C’est qu’on est maladroite. C’est pourtant pas compliqué ; ils sont tous prêts à être contre le viol et le féminicide si
– on ne leur en parle pas trop
– on emploie les mots qui leur plaisent
– on parle d’abord des mecs violés et des mecs battus.
– on écarte tous les cas où les femmes l’ont bien cherché.
Je disais hier dans un article sur la bonne victime de viol qu’il fallait qu’elle soit morte, caramba encore raté, même mortes voilà qu’ils nous trouvent encore dans notre tort. Mais que n’a-t-elle choisi un gars comme moi ? Pourquoi se foutent-elles avec des gros cons ?
L’inertie masculine en matière de droits des femmes est chose terrifiante. Terrifiante parce qu’on ne peut plus se bercer de l’illusion qu’ils ne savent pas. Ou qu’ils ne comprennent pas. Ou qu’on leur a mal expliqué. Ils auraient tous cette incroyable compétence dans tous les domaines, qui leur font régulièrement expliquer à des femmes spécialistes leur propre domaine d’expertise, mais devant le sexe seraient des enfants perdus qui ne savent plus rien. Ils perdraient devant leurs potes en train de tenir des propos sexistes, toute capacité d’analyse. « ah bon lorsque Jean-Michel disait que les femmes sont toutes des grosses putes c’était pas un trait d’humour brillant à la Desproges, que tu n’as évidemment pas compris, femelle inculte, voire la dénonciation du sexisme par des propos sexistes ? ». Oh je les vois pérorer un peu partout sur l’incurie de Schiappa, sur ces salauds de violeurs, tout en continuant à rigoler grassement avec des types qui sont misogynes parce qu’il faut séparer l’œuvre de l’artiste n’est ce pas. (et puis il soigne le cancer/a défendu une victime de viol/ est spécialiste de la plantation du rhododendron/s’occupe bien de sa vieille maman). Je les vois savoir que leurs potes sont des agresseurs sexuels « mais quand même on est pas sûr ».
Le backlash est là, énorme, terrible et pire on le voit moins, on se fait baiser la gueule parce que tous les media, productions culturelles ont désormais bien compris que le féminisme fait vendre et nous balancent du feminism washing à tout va. Productions culturelles indigentes dans lesquelles on a collé trois bonnes femmes et dont on se contente vaguement en se disant que c’est toujours ca, articles douteux sur les féminicides où des journaux prétendent avoir constitué des task forces dédiées aux féminicides tout en dédiant des éditos à des pensées masculinistes. Je n’arrive même pas à me réjouir de créations comme Unbelievable sur Netflix. Déjà parce que c’est le quotidien de plein de femmes que de n’être pas crues quand elles disent avoir été violées et frappées (et en fait je préfère regarder un truc qui ne me rappelle pas des trucs glauques) et parce que voir des types avoir des épiphanies devant cette série, me donne des remontées gastriques. “Vous rendez-vous compte ? halala incroyable ca m’a fait mal au bide.” Moins que les vraies femmes, dans la vraie vie qui avaient témoigné apparemment. Que voulez-vous, on ne sait pas faire une bonne mise en scène dans la vraie vie.
Je me souviens avoir expliqué un jour à un journaliste, qui voulait écrire sur le harcèlement, et donner à la fois la parole aux harceleurs et aux harcelé-e-es, que ca ne marchait pas comme ca, qu’il n’y avait pas 15 mn pour les juifs et pour les nazis. Il n’a pas compris je crois parce que le fait est beaucoup ne sont pas tout à fait convaincus que le viol c’est mal. Qu’il faut arrêter de violer ou de harceler les femmes. Oh bien sûr, si tu leur montres Mindhunters avec un tueur en série, là ils arrivent à comprendre. Mais le reste du temps (99,99999999999999% du temps) c’est difficile. Et comme on n’a pas toute la chance d’être violée par un tueur en série, ma foi on ne rentre pas dans leurs petites cases de la bonne victime. C’est comme s’il devait y avoir débat sur le viol ou sur le violences faites aux femmes, pour vraiment savoir s’il y a des coupables et des victimes.
Les hommes ont parfaitement compris et intégré ce que nous subissons. Mieux ils ont tout aussi compris que cela tient à leur comportement (direct, lorsqu’ils agressent, indirect lorsqu’ils se taisent face aux hommes qui agressent) ; et comme ils ne tiennent pas à changer une once de leur comportement, les violences ne reculeront pas.
http://www.crepegeorgette.com/2019/09/20/suis-contre-viol-contre/