Notes sur « le capitalisme de la séduction » de michel clouscard
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Thèmes : ClouscardPcfRacismeRéactionnaires
« L’État ne poursuit jamais qu’un but : limiter, enchaîner, assujettir l’individu, le subordonner à une généralité quelconque. » Max Stirner
Lire Clouscard est une épreuve, tant la logorrhée que l’idéologie du retour à l’ordre nous rebute de facto. Autant le dire de suite : Clouscard est presque illisible et il faut un certain courage et « certaines connaissances » pour arriver à bout d’une de ses productions. Langage incompréhensible, complexification à outrance de concepts et thèses pourtant originellement accessibles (quoique discutables et/ou erronées) sont le style du penseur qui aspire visiblement au statut du philosophe « ultime ». Il sera donc pour nous, une fois notre lecture terminée, classé parmi ceux qui cachent la crasse idéologique derrière un vernis du verbiage accessible uniquement au prix d’efforts incommensurables.
Le postulat Clouscardien se résume ainsi : le « néo capitalisme », par le biais du plan Marshall imposant une américanisation culturelle de la France, a réduit la société française traditionnelle (celle du mérite, du travail, de l’avoir et de l’économie) à un nouveau modèle de consommation permissive autorisant le marché du désir : « le libéralisme libertaire ». Celui ci tient son aboutissement dans le Mai 68 (révolution estudiantine bourgeoise avide de libertinage et de permissivité) qui fait le jeu du pouvoir et aboutit à une nouvelle forme sociétale : « la sociale démocratie libertaire » dans laquelle se développent luttes parcellaires et sociétales profitant au capital au détriment de la lutte de classe.
Pour aboutir à ce résultat, le « néocapitalisme » passe par des étapes initiatiques afin de détacher l’individu de ses valeurs traditionnelles pour l’amener à un mode de comportement permissif. Le plan Marshall introduit sur le marché l’usage de nouveaux produits responsables de ce changement comportemental. Ceci commence dès l’enfance avec l’usage ludique de ces produits et se poursuit à l’adolescence avec l’usage libidinal, et la libéralisation/libération des mœurs.
Pour comprendre la pensée de Clouscard il faut bien sûr la situer dans son époque. Une époque ou le marxisme étatique a sombré dans le stalinisme depuis les années 30 et où un PCF incapable d’autocritique, englué dans ses échecs et sa doctrine nationaliste, réalise toujours de gros scores et reste un puissant moyen de promotion pour qui cherche le leadership philosophique communiste en France. Clouscard est un proche du PCF (euphémisme), parti auquel il n’a jamais adhéré mais qu’il a toujours ardemment soutenu et pour lequel il appela à voter en 1984 [1]. On ne s’étonnera donc pas qu’il fut d’abord publié par les Éditions Sociales (longtemps principal organe de diffusion du PCF) avant de devenir l’un des auteurs phare (avec Lukacs) des éditions Delga. Éditions qui recensent aujourd’hui ce qui se fait de mieux en matière de Léninisme rabougri, stalinisme cradingue et révisionnisme historique.
Le fond du propos de Clouscard apparaît alors comme la tentative politique d’étayer, sur fond philosophique hasardeux et contestable, la condamnation communiste de l’échec retentissant du mouvement révolutionnaire de 68, plus que le retard idéologique de sa force organisée alors majoritaire, le PCF.
Les « nouvelles couches moyennes » sont ainsi qualifiées globalement de contre révolutionnaires, libertines, féministes, écologistes, et accusées d’écarter le prolétaire de la lutte des classes, cause unique et sacro-sainte de la domination. Ainsi malgré ce qui pourrait paraître à première vue comme une critique pertinente du postmodernisme, les motivations politiques de cette écriture s’avèrent plus que douteuses idéologiquement.
Défaite totale du projet révolutionnaire par la contre révolution stalinienne, victoire du fascisme suite à la guerre d’Espagne, voilà de quoi ouvrir un boulevard aux luttes parcellaires et sociétales pour des militants qui ne veulent malgré tout pas faire le deuil d’une résistance à un monde et un ordre moral empêchant toute forme d’épanouissement. L’abandon de la perspective classiste au profit d’un réformisme radical est alors bien plus le résultat d’aspirations à combler, d’un discours anticommuniste des apostats staliniens, maos, passés à la social-démocratie, qu’une volonté stratégique consciente d’un capital que Clouscard personnifie à outrance par un procédé absurde. Le capitalisme n’a pas d’existence propre, il n’est pas une personne morale, il ne « séduit » pas !
La mise en relation qu’effectue régulièrement Clouscard entre deux périodes (séparées par le plan Marshall), s’il feint de ne l’utiliser qu’à titre de comparaison et d’analyse neutre, laisse aisément transparaître dans la forme, termes et formulations choisies, une nostalgie évidente. On baigne en plein dans le « c’était mieux avant », attribuant au fantasmé bon vieux capitalisme national d’antan et à « la société traditionnelle » des vertus imaginaires, afin de mieux cracher sur toutes les avancées sociétales actuelles. Mais alors ou et quand était ce mieux avant ? Mythe délirant qui voudrait que la société dite traditionnelle soit moins emprunt d’oppressions capitalistes. S’il est vrai que nous vivons des temps d’atomisation de plus en plus croissante (dans tous les domaines de la vie), il nous est difficile de regretter le bon vieux temps du CNR, que cultivent avec Clouscard nombre de théoriciens. Le temps ou le PCF faisait 25 %, le temps du travail à la chaine harassant et abrutissant pour des ouvriers cadrés par le couple PCF-CGT, le temps ou la famille et la patrie avait un sens, où l’on produisait français monsieur ! Le temps du mérite, où l’on savait faire son lit et les boys scouts forger un caractère qui ferait de vous un homme capable d’accepter la discipline de groupe [2]. Il est facile ainsi de voir le bourbier idéologique dans lequel puisent aujourd’hui les Michéa et autres « Zorwelliens » « anti-progressiste » pour exulter les valeurs morales et nationales du passé. La critique du postmodernisme est une chose, tenter l’étrange rapprochement entre lutte de classe et défense du petit patronat franco français en est une autre. Et pour être honnête elle nous débecte pas mal.
C’est ainsi que, curieusement, l’intransigeant révolutionnaire se pose en défenseur des valeurs traditionnelles de la société républicaine et… bourgeoise ! Dans sa posture pro-étatique, l’ennemi n’est plus le capitalisme et tous les mythes qui permettent sa perpétuation, mais certaines pratiques actuelles découlant de la libération sexuelle et des mœurs en général.
Encore une fois cette vision passéiste n’est que la continuité de son affiliation aux vieilles antiennes stalinienne qui, en 68, rappelaient aux femmes que leurs droits pouvaient bien attendre la révolution (qui n’a pas eu lieu). De toute manière, dixit l’auteur, « la lutte de classe se subsume et conditionne la lutte des sexes ». Comme si l’abolition des classes sociales, de facto et par magie, pouvait régler le problème de l’inégalité homme/femme, de la misogynie et du sexisme. Sur de telles bases, permettez-nous d’en douter.
Mais il va plus loin dans la critique crapuleuse affirmant que « le féminisme est le vieux projet phallocrate adapté au libéralisme avancé jusqu’à la social démocratie ». C’est bien connu, les avancées en termes de droits des femmes sont ce à quoi aspire n’importe quel salopard misogyne.
Raisonnement d’autant plus absurde que Clouscard tente de se dédouaner furtivement, en précisant parallèlement que l’institutionnalisation de la pilule reste une grande conquête du progrès social. Belle pirouette, mais il faudrait savoir car sans féminisme, pas de conquêtes…
Dans tous les cas, pointer les déviations de certains féminismes ne devrait aucunement aboutir à en faire une question réglée. Et ceci restant vrai quelle que soit la lutte ciblée.
Comme tout bon réactionnaire actuel, MC feint de ne pas voir le véritable contenu de Mai 68, résidant d’abord dans l’anticapitalisme mais aussi comme réaction à la contre révolution stalinienne (étatisme autoritaire) dont le PCF portait les stigmates durables.
La lutte contre la répression religieuse du sexe et la soumission de la femme à un système patriarcal, représentait alors un enrichissement de la vie humaine pour une société nouvelle à construire sur les cendres du vieux monde. MC décide consciemment d’en faire un ennemi idéologique, caricaturant ces libérations jusqu’à l’excès. Ses accusations sur le féminisme ou autres luttes parcellaires, pourtant fruits d’une société portant le poids d’un PCF culturellement dominant (et pas que lui), masque l’incapacité à prendre en compte un développement sociétal désireux d’une libération des mœurs, écartée par le dogmatisme du stalinisme.
Clouscard appuie sa vision philosophique (et somme toute politicienne) sur des bases Rousseauistes, dont il oublie le déisme profond, mais aussi chez Kant, dont nous savons malgré nos connaissances philosophiques limitées que l’engagement révolutionnaire (notamment vis-à-vis du régime Prussien) est plus que sujet à discussion. Le caractère de la loi morale (toujours intimement lié aux structures étatiques) reste un élément majeur dans la pensée du philosophe. Ne lui en déplaise, Kant est bien un symbole de la pensée réactionnaire dans son culte de l’État dominateur et d’un obscurantisme ennemi du rationalisme. Rapprocher Marx et Kant est une inversion totale des « valeurs ». La liberté commence toujours par la cessation des répressions et culpabilités (pourtant prônés par Kant au nom d’une morale calviniste).
Les propos anti Mai 68 de MC, attaquant les « libéraux libertaires » (oxymore s’il en est), ne servent alors qu’à défendre la loi morale – que l’on relie aisément chez un défenseur ardent de l’orthodoxie léniniste – à tout ce qui constitue l’État suprême du modèle soviétique.
Clouscard pose également cette question stupéfiante pour quelqu’un se réclamant du marxisme : « L’athéisme est-il la condition sine qua non du matérialisme dialectique et historique ? » et d’argumenter plus loin : « Décider que dieu existe ou n’existe pas dans la conjoncture actuelle, n’est ce pas une simple résolution subjective et philosophique, un point de vue personnel ? »
Voilà qui discrédite complètement quelqu’un désireux de s’attaquer aux bases idéalistes, de Freud à Marcuse. Il est clair que le champ rationaliste ne peut rivaliser dans ces conditions avec le champ idéologique.
C’est en complétant la lecture de Clouscard par certaines de ses interviews que l’on comprendra mieux la tentative de révisionnisme historique du philosophe : « L’État-nation a permis le capitalisme, mais aujourd’hui c’est un moyen d’y résister, il y aura toujours un État, un code de la route ». Autre parole d’anthologie :
L’État a été l’instance superstructurale de la répression capitaliste. C’est pourquoi Marx le dénonce. Mais aujourd’hui, avec la mondialisation, le renversement est total. Alors que l’État-nation a pu être le moyen d’oppression d’une classe par une autre, il devient le moyen de résister à la mondialisation.
La messe est dite et permet de confirmer ce qui anime l’homme idéologiquement dans sa production philosophico politicienne. La mise sous silence des responsabilités du « Parti » dans l’atomisation des luttes, à des fins de réhabilitation des politiques « marchaisiennes » tiennent là leur meilleur et fidèle allié philosophique. L’ennemi n’est plus le capitalisme mais la mondialisation (le libéralisme), mantra de tous les souverainistes actuels de gauche comme de droite. La lutte de classe (pourtant si chèrement défendu par Clouscard) n’est plus qu’un masque lénifiant qui cache son nationalisme made in PCF.
Alors, puisque cela va mieux en le disant : il n’y a jamais eu de socialisme dans un seul pays. Le capitalisme national à visage humain, régulé est une escroquerie et l’État ne sera jamais un allié.
MC qui voudrait pourtant porter une critique pratique à la racine des choses s’économise (et pour cause) consciemment celle du salariat et de l’argent, de l’État, des frontières et des drapeaux. À ce rythme nous pouvons d’ors et déjà prédire qui seront les dindons de cette farce nostalgique.
L’absurde invention Clouscardienne que représente le terme de « libéralisme libertaire » ou de « social démocratie libertaire » se dévoile dans une volonté de créer l’amalgame afin de discréditer une pensée que rejette l’auteur. La « social démocratie libertaire » n’existe pas ! Qu’il existe une aile gauche du capitale n’est pas un scoop mais toute tentative de lui accoler l’adjectif libertaire ne peut servir qu’à porter atteinte au projet révolutionnaire antiautoritaire. Faut-il le rappeler, mais la tradition libertaire n’a jamais partagé la conception libérale de l’économie. Elle a toujours combattu le capitalisme et représente la négation de l’État quel que soit le manteau qu’il revêt. Libéral, souverainiste, keynésien, peu importe : le capitalisme, que Clouscard semble nommer comme un euphémisme « libéralisme », n’est pas « libertaire », « progressiste » ou « réactionnaire ». Le capitalisme est totalitaire. Le concept de « libéralisme libertaire » est un outil, une arme « intellectuelle » au service de la défense de l’État, de la nation et du nationalisme.
La réécriture de l’histoire, chez Clouscard et tous les pourfendeurs de Mai 68, passe par cette abstraction de tout ce qui fait le caractère révolutionnaire du mouvement. Ainsi, pas un mot du combat radical mené par des prolétaires désireux d’en finir réellement avec le capital. Grèves, résistances, caisses de solidarités mis en place par des ouvriers et ouvrières subissant à la fois la répression étatique, celle des pontes du PCF et de la CGT qui les invitaient à « savoir terminer une grève », tout est passé sous silence.
Elle passe aussi par une essentialisation des parcours de certains, par la figure de Cohn-Bendit érigée en exemple/modèle type. Procédé manipulateur, nous rappellerons à Clouscard que Cohn-Bendit n’est représentatif que de lui-même et que rien ne l’autorise à amalgamer toute une génération de militants sincères à quelques personnalités au retournement de veste et à l’arrivisme facile.
La réduction/négation de ces individu.e.s à des étudiants « petits bourgeois » avides de consommation « libidinale » et happé.e.s par le capitalisme, dans une analyse a posteriori, confine au ridicule, au mépris et discrédite toute dialectique matérialiste.
Ceci étant, nous confirmons : la révolution n’a pas eu lieu ! Toute tentative de subversion, de transformation radicale de l’existant qui échoue amène inévitablement à une récupération par le capital, qui l’intégrera à sa sphère marchande. Et puisque MC se posait alors en digne et unique représentant novateur de la pensée marxiste/matérialiste, nous savons qu’il n’a pu manquer de lire ces quelques lignes :
Rien qui ne devienne vénal, qui ne se fasse vendre et acheter ! La circulation devient la grande cornue sociale où tout se précipite pour en sortir transformé en cristal monnaie. Rien ne résiste à cette alchimie, pas même les os des saints et encore moins des choses sacro-saintes, plus délicates, res sacrosanctoe, extra commercium hominum (Choses sacro-saintes, hors du commerce des hommes). De même que toute différence de qualité entre les marchandises s’efface dans l’argent, de même lui, niveleur radical, efface toutes les distinctions.
Karl Marx, Le Capital I,. PL. Ec., I p. 673 sq.
Ainsi, Le capitalisme de la séduction ne nous aura, quant à lui, guère séduit, tant il renvoie à une impasse mortifère. Impasse dans laquelle semble sombrer nombres d’anarchistes (pourtant censés vouloir détruire l’État et la nation), accompagnés par d’anciens staliniens au parcours plus ou moins équivoque et fricotant allègrement avec des idées nauséabondes.
Reste que le danger, pour le lecteur peu au fait des manipulations de l’orthodoxie marxiste-léniniste, soit un violent retour de bâton, lorsque l’on prend les vessies d’une morale religieuse et nationaliste pour les lanternes d’une critique du postmodernisme, pourtant indispensable et légitime. Quand la critique des avancées sociétales, comme seule analyse, supplante toute autre forme de pensées anti autoritaire et plonge dans la bouillie réactionnaire, cela promet des lendemains qui déchantent.
Les avancées sociétales ne peuvent être comprises comme le fruit d’une pensée autonome et tactique du capitalisme. Simplement elles suivent l’air du temps et n’ont jamais eu spécifiquement vocation à subvertir le monde. Elles font parties intégrantes de l’évolution du monde et donc de celle du capital, qu’elles accompagnent. Dans tous les cas elles sont le résultat de luttes menées contre le conservatisme des individu.e.s qui constituent les nations et leurs gouvernements, en aucun cas un outil moteur du capital, mensonge clouscardien à des fins politiciennes. En revanche, elles restent inopérantes quant à la destruction du capital si l’on décide qu’elles se suffisent à elles-mêmes sans devenir parties intégrantes de la lutte de classe ET de la tentative de destruction de tous les mythes qui permettent sa perpétuation. Une fois de plus rappelons à MC que l’abolition des classes sociales ne sauraient en elle-même abolir les oppressions spécifiques. La lutte de classe n’est pas une formule magique et s’il existe des luttes parcellaires, c’est bien parce qu’il existe des oppressions parcellaires. Qu’elles puissent détourner l’attention au détriment d’une lutte plus globale est une réalité dommageable, pas une vocation propre, et il importe alors de remettre sur pied une perspective classiste, dans laquelle toutes les oppressions doivent avoir leur place.
Il en va des oppressions sur les minorités « sociales » jusqu’à celle qu’impose la mythologie de l’État nation et des frontières. Nous sommes universalistes et si nous voulions leur donner un terme plus approprié, alors nous serions pour un féminisme anarchiste/communiste, pour un antiracisme anarchiste/communiste…
C’est seulement débarrassés des illusions, chefs, partis, nations, drapeaux et du capitalisme en tant que mode de production économique et social que peut émerger une réelle émancipation.
Clouscard et ses transfuges actuels ne proposent ni plus ni moins que la direction opposée.
lesmeuteseditions.noblogs.org
La revolution n’a pas eu lieu !
Pour une critique du concept de « liberalisme libertaire » chez Michel Clouscard.
C’est finalement dans les interviews que l’illisible Michel Clouscard était le plus clair:
« L’Etat a été l’instance super structurale de la répression capitaliste. C ‘est pourquoi Marx le dénonce. Mais aujourd’hui, avec la mondialisation, le renversement est total. Alors que l’Etat Nation a pu être le moyen d’oppression d’une classe par une autre, il devient le moyen de résister à la mondialisation. C’est un jeu dialectique. » Le génie marxiste d’aujourd’hui (in L ‘évadé n° 8 )
La Sainte dialectique au service de l’Etat Nation ! Est-ce si étonnant que cela de la part de cet intellectuel compagnon de route du PCF ? Décidément la pirouette dialectique s’accommode de toutes les justifications.
Pour ceux qui découvrent la pensée de M.Clouscard il faut bien sûr remettre celle-ci dans son époque. Gros scores du PCF, monde bipolaire, anti-americanisme, luttes de femmes, montée des « gauchismes » mais aussi et surtout reflux de la vague de 68.
L’être et le code sa thèse, parait en effet en 1972 ceci postérieurement à la soutenance de son travail universitaire. Michel Clouscard à 40 ans en 68.
La défaite de l’action, et du projet révolutionnaire « total », a été la possibilité pour les différents projets de contestations parcellaires du monde de s’affirmer. De 1917 à la contre-révolution stalinienne, de l’Espagne révolutionnaire à la victoire des fascismes cédons ici que la succession des échecs a de quoi désespérer des générations de militants.
Ainsi, aussi critiquable soit-il, constatons que le réformisme radical a su s’imposer parce qu’il y avait des aspirations à combler, plus précisément de ceux qui ne voulaient faire le deuil d’une résistance à cette marche forcée. Spécialisation, efficacité sont bien les marques de fabrique du capital. Au nom de quoi le « travail » militant devait-il y échapper ?
Les énergies militantes ont été captées par les luttes sociétales et culturelles amalgamées avec les luttes anti -coloniales ceci avec des résultats ! (Processus de décolonisation, lois sur l’avortement et la contraception, majorité, lutte contre la prison, luttes des « minorités » sexuelles ou ethniques etc…). La négation de l’affrontement de classe (la lutte des classes) a été le prix à payer ne ce nouvel objet militant.
Ainsi par exemple le « droit des peuples à disposer d’eux mêmes » à surtout été le droit des peuples à être exploités par leur propres bourgeoisies. Ici le « peuple » comprenant bourgeois et prolétaires qui c’est bien connu ont des intérêts communs.
L’abandon de la perspective classiste, facilité de plus par le discours anti-communiste des apostats staliniens, mao, passés à la social-démocratie, qui après avoir fait la promotion des dictatures communistes « découvraient » le goulag avec 50 ans de retard.
Outre certains trotskistes « critiques » sans partis, quelques tendances du mouvement libertaire et de l’ultra-gauche historique, rares étaient ceux qui se réclamaient d’un Internationalisme du troisième camp.
Soyons clair, le discours anti-communiste a permis la promotion de cette terrible équation: transformation « totale » du monde égale transformation Totalitaire. Qui par ricochet a aussi laissé toutes critiques radicales hors du champ des possibles.
Ainsi n’était-il concevable que de faire sa révolution intérieure, de combattre le « fascisme en nous », d’auto-gérer sa misère par la thérapie, et d’admettre que la politique n’était qu’une entreprise de subversion culturelle ou un hobby fonctionnarisé. L’heure n’était plus au « militantisme aliéné », la classe ouvrière avait disparu des études sociologiques. N’est-ce pas la meilleure porte d’entrée du militantisme séparé ou parcellaire, sociétal ?
Le 68 planétaire à accompagné l’élément majeur et structurant de la période: la fin du compromis keynésien et le retournement du modèle productif qui touchait ses limites, et annonçait des attaques encore plus virulentes du capital sur la classe ouvrière. Le maintient du taux de profit avait ses variables d’ajustement, la technologie, le salaire et ce fameux « capital le plus précieux » le « capital humain » comme disait Staline !
La nébuleuse sociologie Clouscardienne est un concentré de cette histoire et de ressentiments, d’incompréhension propre au discours partisan, d’un homme proche du PCF et de sa « philosophie ». M.Clouscard est passé à coté de ce que signifiait le poids d’une société contrôlée par le PCF (mais pas seulement) culturellement. L’ingérence de sa bureaucratie et de son appareil, qui a érigé en art le mensonge et la répression. (Notons que Clouscard n’aurait jamais été membre du PCF….pas fou ! nous aimerions d’ailleurs lire de sa plume une critique du PCF, celui de Garaudy, Thorez , Duclos, Waldeck Rochet, Marchais)
Peut-on vraiment s’étonner que l’économie de la reconstruction, qui a permis à une classe moyenne de se renforcer et de se structurer, et dont la méritocratie a été l’idéologie, qu’elle renonce à sa part du gâteau ? Ceci en dehors de toute adhésion au projet révolutionnaire du monde, il va sans dire.
Peut-être faudra t-il aussi un jour analyser en profondeur le flirt constant et l’ambiguïté qu’a pu avoir le PCF avec les « classes moyennes » ceci de Jacques Doriot à l’actuel PCF.
Les revendications d’une classe ascendante (ici les classes moyennes: concept flou avouons le) qui fait passer la volonté d’une partie comme un tout n’annonce t-elle pas forcement la répression qui vient ?
Comme un contre-pied à cette incompréhension M.Clouscard développe alors un discours anti-68, rabrouant le freudo-marxisme et les courants anti-autoritaire. (École de Francfort avait une place de choix comme cible)
Ainsi dans sa réaction comme intellectuel organique, contre de ce qu’il nommait alors « libéralisme libertaire » se trouve 3 combats médités.
1 – Le sien comme théoricien « original » en concurrence avec « d’autres ». Althusser, Henri Lefebvre, et L’hégélo marxisme ambiant etc…
2 – Contre le marxisme anti-autoritaire et l’anarchisme (libertaire).
M. Clouscard a développé cet absurde oxymore, pour qui à un peu de culture politique. La tradition libertaire (communisme libertaire et anarcho-syndicaliste) a toujours combattu le capitalisme sous toutes ses formes et ne partage rien avec la conception « libérale » de l’économie en théorie et en pratique.
Ici commence la mauvaise fois et la manipulation clouscardienne, et prouve que son maniement de la « dialectique sérieuse » n’a pour objet que de discréditer le projet révolutionnaire sur sa « gauche ». Avec d’autres moyens et à une autre époque nous renvoyons le lecteur à l’attitude des staliniens pendant la guerre d’Espagne vis à vis du POUM et des Anarchistes. Les « hitléro-trotskistes » d’hier sont peut-être bien les « libéraux libertaires » d’aujourd’hui !
N’en déplaise au petit soralien en herbe qui s’ignore Aymeric Monville (*) si les des ouvriers radicaux ou des étudiants pouvaient écrire « ne travaillez jamais » ils l’écrivaient dans une société sans chômage ! Ou dans la 1/2 heure vous trouviez du boulot. Il s’agissait d’une critique de l’aliénation dans le travail et des conditions du travail comme tripalium. Quant à demander « l’impossible » c’était surtout de se débarrasser du vieux monde ! En cela ils étaient déjà très réalistes tant la tâche est difficile.
3 – La promotion et la défense de l’Etat en bon léniniste, et de la Nation, prolongeant ainsi le fantasme stalinien d’un possible socialisme dans un seul pays. M.Clouscard soigne jusqu’à la caricature l’enrégimentement, ainsi son bolchevisme débouche t-il sur une forme d’ascétisme / moralisme, complété par un éloge de la domestication des corps structuré par le mythe du « sport rouge » (1) Quand ce n’est pas celle de la famille nucléaire comme substantia prima.(2)
L’analyse clouscardienne fait à posteriori le constat d’une entreprise de subversion, menée par des étudiants « petit-bourgeois » et des théoriciens promoteurs de la permissivité et de la libido au service du capital, ou l’inverse !
Quid des grèves, des combats, et de la répression ? Des résistances des ouvriers / ouvrières grévistes ostracisés, des caisses de solidarités, de générations de militants anonymes ? tous des pantins qui courent derrière du « plus de jouir « ? Séduits par le capitalisme malgré eux ? Pourquoi présager de la sincérité des initiatives et des résistances ?
L’analyse est un peu courte et confine au ridicule pour un lecteur sérieux de Marx. Ce genre de raccourcie, donne, dans les productions dites sérieuses, des idioties lacaniennes du genre : la pin-up a sauvé/relancé l’économie américaine. (Dany-Robert Dufour in La Cité perverse : Libéralisme et pornographie ).
La disqualification sociologique menée par Clouscard était à l’époque une antienne stalinienne reprise actuellement par quelques intellectuels ceci jusqu’à une certaine extrême droite.
Et bien sûr il y a bien quelques point communs qui transcendent ses courants qui a permis à des intellectuels déclassés ou en mal de promotion d’établir des ponts, dont l’Etat, la Nation et le « patriotisme »… républicain ? reste le point de jonction. Le stalinisme n’est t-il pas un socialisme national ?
Au moment ou Clouscard produisait ses élucubrations, ouvriers et paysans portugais prenaient et occupaient terres et usines et tentaient de résister aux nationalistes du Parti communiste Portugais (pléonasme) et aux bourgeois du Parti socialiste qui devaient envoyer l’armée pour arrêter le processus de collectivisation en cours (aussi limité et contestable soit-il). Peut-être qu’un Jean-Claude Michéa arriverait alors pour nous souffler un « c’était mieux avant »…? avant quoi d’ailleurs, et où ??
N’oublions pas que le PCF lui invitait les ouvriers à savoir « terminer une grève » et que la CGT savait se faire « respecter » quand il fallait évacuer les usines en 68. (3)
M.Clouscard ne traite bien sûr jamais du combat radical des prolétaires pour en découdre avec le capital. Peut-être par ce qu’il le considère par essence comme celui de la valeur d’usage qui cherche à se faire échange ?
Accordons néanmoins à M.Cloucard ceci n’est déplaise au décroissant Paul Aries, d’avoir su dénoncer le fait que la classe ouvrière « n’hyper-consommait » pas, pas plus qu’avant, ou alors ce qu’il fallait pour reproduire sa force de travail. Que le superflu de certains est le nécessaire des autres. Et que l’ascétisme volontaire des petits-bourgeois cache bien souvent les fins de mois difficiles de la classe ouvrière.
*
Ceci posé, peut-être faut-il simplement dire au nouveau lecteur de Michel Clouscard qui fréquente les librairies « gauchistes » (ironie de l’histoire) que la révolution n’a pas eu lieu !! et qu’inévitablement la loi de la valeur soumet la totalité de l’espace humain.
Que toute entreprise de transformation radicale (une révolution par exemple ?) qui n’aboutit pas donne lieu à une récupération de ses éléments (culturels, politiques, groupes, aspirations) et intègre de fait la sphère marchande ceci pour le meilleur et pour le pire (4)
« Rien qui ne devienne vénal, qui ne se fasse vendre et acheter ! La circulation devient la grande cornue sociale où tout se précipite pour en sortir transformé en cristal monnaie. Rien ne résiste à cette alchimie, pas même les os des saints et encore moins des choses sacro-saintes, plus délicates, res sacrosanctoe, extra commercium hominum. (Choses sacro-saintes, hors du commerce des hommes) De même que toute différence de qualité entre les marchandises s’efface dans l’argent, de même lui, niveleur radical, efface toutes les distinctions » Le Capital I. PL. Ec., I p. 673 sq. Karl Marx.
Depuis quelques années des cohortes de théoriciens fonctionnaires (ATTAC, Fondation Copernic et autres officines du PCF) dont M. Clouscard était, cultivent comme lui cette nostalgie du CNR. Ah le bon vieux temps du CNR ! ou le PCF faisait 25%, ou le travail à la chaine abrutissait les ouvriers encadrées pas le joyeux couple PCF/CGT et ou le mot « famille » avait encore un sens ? ou nous produisions Français sous un beau drapeau bleu blanc rouge.
Bien capable de vouloir garder les acquis du CNR certains s’accommodent mal de la subversion culturelle dont la marchandise et le capital se sert actuellement. Car que ne fait-on pas pour garder les « retraites » ?! et défendre les « Zacquis sociaux » ? Une retraite par répartition jusqu’a 80 ans ? (5)
Car en s’économisant d’une critique pratique à la racine des choses ou d’une révolution anti-capitaliste débarrassée du salariat et de l’argent de l’Etat et des frontières, de la marchandise et des drapeaux, nous pouvons déjà prédire que dindons de la farce nostalgique seront toujours les mêmes, les ouvriers et les employés ou le prolétariat.
Il n’y a jamais eu de socialisme dans un seul pays. Il n’y aura pas plus de capitalisme à visage humain ou régulé dans un seul pays.
Cette nouvelle escroquerie, néo-stalinienne, des classes liés au « capitalisme national » (petits patrons liés au marché intérieur ou national et à son lot de fonctionnaires ou de salariés liés au secteur public ou aux marchés nationaux, l’armement, le nucléaire, et le néo-colonialisme etc…) s’évertuent à cultiver le mythe de la régulation financière et de la nostalgie industrielle de la France. Celle ou l’ouvrier avait du boulot mais de merde et se faisait tutoyer par le patron de père en fils.
L’idéologie du CNR servie en 2011 est la base nécessaire à la reproduction d’une fraction de classe pas plus. Comme toute idéologie qui s’hypostase elle secrète ses paradigmes d’analyses et s’auto-justifie.
Du capital vu comme « séducteur » ou du « petit bourgeois » « pervers », « feignant » et « parasite », qui veux faire « payer » le sympathique ouvrier à tête de Jean Gabin sortie directement d’un monde à la Audiard. Le délire paranoïaque de la « morale du producteur » vire presque au complot.
Ainsi si Cohn-Bendit était anarchiste en 68 ce que nous sommes bien prêt à accepter, rien ne nous autorise aussi facilement à essentialiser les parcours et à en faire un modèle type. Ceci d’autant plus qu’il n’est représentatif que de lui même et s’assume maintenant ouvertement comment étant du coté du « manche ».
Combien d’anonymes et sincères militants révolutionnaires pour quelques Serge July, ou autres Henri Weber.
Nous n’idéalisons pas plus une pureté imaginaire du « pauvre prolétaire » éternelle victime. Incarnation de la décence ordinaire naturalisée par l’anti-utilitarisme qui années après années, ouvrages après ouvrages se trouve plus que nuancée, tant il s’agit d’un a priori métaphysique humaniste.
Nous rejetons ainsi le concept de « libéralisme libertaire » propre à l’amalgame et à la manipulation chez ceux qui l’utilisent aujourd’hui. Ce concept est une arme intellectuelle au service de la défense de l’Etat (keynesien ou pas) et de la Nation et du nationalisme.
Insistons une nouvelle fois ici le capitalisme n’est pas immorale. Il est a-moral. « Il » ne « séduit » pas .Quant au capitalisme que certain nomme comme un euphémisme « libéralisme » il n’est pas « libertaire », « progressiste » ou « réactionnaire ». Le capitalisme est totalitaire au sens ou il est un système monde.
Le procédé qui tend à personnifier le capital en lui conférant une quelconque volonté est bien sûr absurde, elle chasse de la scène historique individus et masses. Ainsi suffirait-il aux personnes « avisées » de raisonner cette presque « personne morale » ou bien d’attendre ses limites ou sa mort physique.
Sachons simplement répéter humblement que le vrai est le tout ou le mouvement de la totalité concrète qui se structure et se défait, avec ses acteurs conscients ou pas. Que seule l’intervention conscience du prolétariat débarrassé de ses illusions, chefs, partis, nations, drapeaux, et du mode de production capitaliste, ou de l’exploitation de l’homme par l’homme permettra la véritable émancipation.
Que le stalinisme et le néo-stalinisme est un utilitarisme délirant ou les calculs et le soupçon s’entremêlent pour générer une conception policière de l’histoire.
Qu’une pensée s’inscrit toujours dans une époque et que Michel Clouscard n’échappe pas à cette règle.
Rien de nouveau sous le soleil de Gaillac, si ce n’est peut-être le charme désuet de se retrouver rue des frères Delga.
Mais que dire des avatars du clouscardisme ? Quand les anarchistes (normalement contre la Nation et l’Etat) ou d’anciens staliniens déguisés en inclassables orwelien « anti-progressiste » (6) ou clairement fascistes reprennent en coeur la bouillie réactionnaire du moment ? Quand la mode est à l’anarchisme « tory » ou conservateur et à la critique de « libéralisme libertaire »…
C’est surement que le retour de bâton s’annonce très violent !!
Notes:
Nous ne nous revendiquons pas de l’anarchisme ou du l’anarcho-syndicalisme mais considérons ces courants comme étant du coté de la révolution sociale.
* Le néocapitalisme selon Michel Clouscard éd. Delga.
(1) La maladie infantile du Parti Communiste Français : Tome 1, Sport rouge et stratégie de développement du capitalisme / Tome 2 Mythologies sportives et répressions sexuelles par Fabien Ollier éd. L’Harmattan.
(2) En ce moment E. Tood excelle en ce domaine. (Apôtre de la Nation et l’Etat, élitiste et défenseur de la famille nucléaire naturalisé par ses soins dans son dernier ouvrage)
(3) Voir le film Reprise de Hervé Le Roux « reprise du travail aux usines Wonder ».
(4) (Par extension voir chez Marx la notion de subsomption formelle / subsomption réelle du travail sous le capital. Subsomption = soumission).
(5) Nous ne la défendons pas plus par capitalisation ce qu’un clouscardien pourrait nous faire dire. Manque de chance nous ne sommes ni étudiants, ni petit-bourgeois, ni profs couche sur-représentée dans la défense du prolétariat !)
(6) « Anti-progressiste » par rapport à une modernité qui échappe à certains intellectuels, profs, clercs et dont la parole prescriptive est remise en question par le marché et les nouveaux médias. Peut-être sont-ils « anti-postmodernes » ? la notion est assez confuse. Mais elle n’annonce rien de joyeux. Notons néanmoins que l' »anti-progressiste » « Français » et « européocentré » est complètement déconnecté des mouvements de fonds planétaires. C’était mieux avant ? quand et ou ?
Dans les années 60 à Paris, Toulouse, Phnom penh, à Sao Paulo ? Peut-être à Alger en 1958…?
Étrange amalgame que celui qui veux se faire se rapprocher Internationalisme prolétarien et les positions du patronat ou de la gauche du capital.
Il est aussi très étrange de retrouver dans un Dvd consacré à Michel Clouscard et édité par les édition Delga – un repaire de rouge-bruns, un « anarchiste » et un castriste ultra-gauchisé.
Texte dispo dans
Pour une critique de l’idéologie boulangère
Décroissants de la brioche et une Rolls!
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