Homme honnête, ce papier te brûle les doigts. As-tu compris ? Non.

Ta docilité te fait endurer le milieu actuel, ta stupidité indécrottable t’empêche de tenter de te libérer. Tu es l’honnête homme. Les Voleurs et les Bandits de la Haute-Pègre sont sacrés pour toi, parce que dans la loi ; tu demandes la mort pour les nôtres, parce que hors la loi.

Nous avons voulu t’ouvrir les yeux, mais tu ne veux pas voir ; nous avons essayé de te déboucher les oreilles, mais tu ne veux pas entendre et ta veulerie t’empêche de bouger…

Reste donc honnête homme, continue à engraisser tes maîtres, en échange d’une maigre pitance. Continue à les défendre par la force de tes baïonnettes ! Continue à voter pour les blancs ou les rouges qui te feront des lois que tu devras subir !

Tends ton cul à la botte du flic et ton échine de pleutre au fouet des puissants.

Sois le soumis, l’obéissant. Sois suppliant. Sois le jean-foutre sur le chantier, le faux-frère à l’atelier, le jaune en temps de grève, le lâche en tout temps.

Ne réclame pas de mieux-être ; supplie ton patron pour tes enfants ! Si tu crèves la misère, ne prends pas, n’exige pas… pleure et mendie, c’est ton rôle d’honnête homme.

Trime à la peine journalière comme un forçat, vote une fois tous les quatre ans et fais-toi crever la peau pour ta patrie.

Fais des gosses, beaucoup de gosses ! Qu’importe qu’ils deviennent plus tard des gueux, des ratés, des mal-venus, des scrofuleux, des syphilitiques, pourvu qu’ils soient de ta race d’honnêtes gens !

Puisque tu n’as pas l’énergie de vouloir une nourriture plus substantielle, une vie saine, nourris-toi des mots : Honneur, Gloire, Drapeau, Fidélité, Patrie, Devoir.

Crève donc de ton Honnêteté comme une brute, puisque tu refuses de devenir un homme.

Nous te haïssons à l’égal des Tyrans, tes maîtres, que tu nourris, que tu soutiens, que tu défends, que tu perpétues !

 

anonyme

l’anarchie N° 409 – Jeudi 13 février 1913