Quelques considérations sur la situation actuelle en catalogne et l’action des anarchistes 16 octobre 2017
Publié le , Mis à jour le
Catégorie : Global
Lieux : BarceloneCatalogne
Une fois encore, beaucoup d’anarchistes – beaucoup trop – se sont laissés entraîner, déborder par des événements auxquels ils ne s’attendaient pas et où ils n’ont pas su (ou voulu) porter leurs propres paroles, leurs propres actions. Beaucoup d’anarchistes se laissent trop facilement séduire par tout ce qui présente un caractère « de masse », sans prendre le temps de se demander à quoi ils apportent leur soutien en réalité, et sans savoir, pouvoir ni vouloir participer avec un discours propre – il s’agit seulement d’aller là où sont « les gens » et voir ce qui se passe ensuite.
– Sur la « volonté populaire » et la « légitimité des masses » :
Beaucoup d’anarchistes se sont retrouvés dans la rue ces derniers jours, participant aux manifestations aux côtés de nombreux autres. Mais que demande-t-on réellement dans ces manifestations ? Qui sont ces « autres » qui participaient à ces mobilisations ? Il ne fait pas de doute qu’une partie des manifestants provenaient de la gauche indépendantiste, ou d’autres formations de gauche non nécessairement nationalistes mais qui appuient ou se solidarisent avec la cause de l’indépendance de la Catalogne, certains anarchistes pouvant se trouver quelques affinités avec ce genre de manifestants. Toutefois, l’immense majorité de ceux qui sont descendus dans la rue sont de bons citoyens, qui aiment l’ordre, le civisme et les bonnes manières, dont beaucoup d’électeurs de la droite conservatrice catalane représentée par CiU, ANC, etc.
Chacun peut juger des demandes des manifestants, ainsi que de leurs actes. Les mêmes qui marquent leur refus et leur hostilité à l’encontre de la Guardia Civil ou de la police nationale vont offrir des fleurs aux Mossos et les applaudissent comme des héros. Ils semblerait que ces anarchistes se sentent tenus d’appuyer sans discussion tout ce qui aura été catalogué comme « volonté populaire », quand bien même cette volonté populaire serait celle de créer un État avec une politique nettement conservatrice et droitiste, avec ses propres frontières, avec sa propre police, avec ses institutions, ses prisons, ses lois, avec le capitalisme et la misère, mais sous un nouveau drapeau et une image neuve de libération.
Il semblerait que, pour certains, le patriotisme catalan soit plus acceptable que le patriotisme espagnol, s’il on en croit les mille et une justifications entendues ; mais à la fin des fins le nationalisme, c’est le nationalisme, toutes les patries oppriment les peuples qui habitent leur domaine, hormis celles qui n’en n’ont pas encore eu l’occasion. Pour ceux qui ne le sauraient pas, le facho catalan est aussi conservateur, aussi répugnant et aussi rance que le facho espagnol ou autre. Et pourtant, les anarchistes sont descendus dans la rue aux côtés de tous ces gens, ont adopté le discours de ces gens, ont répondu aux appels de ces gens… se laissant emporter par cette apparence de « rébellion ». Mais si, imaginons, la volonté de la majorité du peuple était de créer un État catalan de type nazi ou fasciste, les anarchistes devraient-ils également appuyer le peuple ? Pour nous, l’une des caractéristiques essentielles de l’anarchie, quels que soient les courants et les positionnements, c’est de remettre en question, de regarder les choses avec esprit critique – surtout avant de plonger tête la première dans une piscine qui se trouvait être un marécage.
– La répression de la police nationale et de la Guardia Civil a suscité la colère de beaucoup de gens, ce qui a pu donner l’impression qu’on avait vraiment affaire à une espèce de révolte, à une situation de rébellion. Rien n’est pourtant plus éloigné de la réalité : car tout cela était un stratagème soigneusement prévu depuis le début par le Govern. Dès le départ, c’est exactement cela qui devait se passer : il fallait cette photo de la police (espagnole) cognant sans discriminer sur les pacifiques citoyens catalans ; consigne avait été expressément donnée que personne ne tente de résister activement, et l’on a étouffé les rares actes de résistance active et de lutte contre la police, tandis que les images de la brutalité policière étaient largement diffusées partout dans le monde. Ici les anarchistes (et tout le reste de ceux qui ont participé à cette farce) n’ont été guère plus que des idiots utiles, servant d’appâts destinés à prendre des coups pour la photo. Comme on l’a vu depuis, tout cela n’était qu’une manœuvre politique du Govern pour tenter de se légitimiser et attirer l’attention du monde. Finalement, il n’y eut même pas de déclaration d’indépendance ni la moindre rupture réelle avec l’État espagnol ; seulement des propositions de dialogue et de négociation. On a ainsi pu voir des anarchistes voter, ou faire campagne pour inciter à aller voter, comme s’il y avait quoi que ce soit de « rebelle » à participer à un événement organisé d’en haut, avec pour seule utilité de légitimer les institutions existantes et futures.
– Et que dire de la « grève générale » convenue, contrôlée et orchestrée par les institutions et les organisations patronales ? Une grève qui fut un défilé patriotique de serpillières, pacifiée à force d’insinuation, de rumeurs et de menaces, y compris de la part des anarchistes et de la gauche « radicale », appelant à la vigilance face aux « infiltrés et aux provocateurs » et à l’expulsion de tout ce qui porterait capuche ou n’aurait pas une attitude « appropriée ». On a donc vu les bons citoyens brailler « som gent de pau » [nous sommes des gens de paix] et acclamer la police catalane, comme de gentils moutons, tout en insultant, expulsant voire agressant ceux qui n’appliquaient pas le dogme du bon manifestant.
La consigne était claire : surtout pas de violence, pas de capuches ni de black blocks, pas de provocations ni de répliques à la police et aux bandes de fachos espagnolistes qui cognaient dans tout Barcelone. Rien d’autre que le défilé au son de l’hymne patriotique et sous les drapeaux esteladas, symbole de la « libération » d’un peuple sans peur. Rien qui s’éloigne du plan tracé. Et en cas de violence, il faut se laisser frapper pour que le monde entier puisse voir le lendemain, en unes des journaux et aux JT du midi, qui sont les bons démocrates pacifiques et qui sont les méchants oppresseurs fascistes. Quoi qu’il arrive, continuer de suivre la partition du Govern.
– Conclusions :
D’aucuns en sont venus à cataloguer tout cela comme une révolution ; mais s’il s’agit bien d’une révolution, c’est assurément une révolution citoyenniste libérale-démocrate. Bien que certains se fassent des illusions ou tentent de nous faire avaler que l’indépendance est la seule solution ou le remède définitif à tous les maux, personne ne doit s’attendre à quelque émancipation réelle, ni à aucune libération, ni à aucun autre changement que la couleur du drapeau qui flotte. De toute façon, pour nous, ces mobilisations ont une date de péremption. Après le « zénith » des premiers jours d’octobre vient maintenant la dégringolade, à mesure que le Govern baisse son pantalon. Nous ne dirons pas que la normalité reprend le dessus car la normalité n’a jamais cessé. L’ordre en vigueur n’a pas été brisé ; il en sort même renforcé. Voilà les véritables gagnants de tout ce show : l’État et les institutions. Peut-être que nous nous trompons, et qu’il y aura vraiment une escalade que nous ne pouvons prévoir. Mais si cela se produit, les anarchistes doivent descendre dans la rue avec un discours propre, en force, et sans crainte d’attaquer et de montrer les dents face à quiconque se met en travers, en évitant de tomber dans le piège et d’être des marionnettes aux mains d’intérêts étatistes ou nationalistes, en évitant de faire le jeu d’un patriotisme répugnant, quand bien même il se prétendrait « rebelle » ou « anticapitaliste ». Tâchons d’apprendre de nos erreurs et des leçons que l’histoire lointaine et proche nous ont laissées, et soyons prudents quant aux amis que nous choisissons. L’issue la plus favorable de toute cette affaire serait que nous puissions faire déborder la situation et créer les tensions nécessaires pour faire passer le conflit à un autre niveau, non seulement contre l’État espagnol ou le gouvernement catalan, mais contre le monde qui crée et nécessite les États et les nations.
À bas tous les États, toutes les patries, toutes les nations !
Brisons la paix sociale !
Des anarchistes de Barcelone
C’est dans les moments agités, complexes et orageux qu’il importe de consulter nos boussoles pour ne pas nous égarer. Mais c’est aussi au cœur de l’orage que leurs indications se révèlent le moins fiable. C’est pourquoi il est crucial de ne pas se laisser emporter par le tourbillon des événements qui se succèdent de manière endiablée et qui exigent des réactions rapides. C’est pourquoi il est nécessaire de porter le regard, ne serait-ce qu’un instant, par-delà le contexte immédiat, prendre une certaine distance par rapport à l’orage, et tenter d’entrevoir l’horizon vers lequel nous poussent les actes que la situation semble nous imposer.
Malgré la sympathie, l’affection et la compréhension que j’éprouve envers bon nombre des libertaires qui s’impliquent dans les mobilisations qui secouent la Catalogne, je ne peux m’empêcher de considérer qu’ils sont en train de favoriser, de manière totalement involontaire, le processus conçu par le gouvernement catalan et par les formations nationalistes pour créer « un nouvel Etat ».
Il est clair que tel n’est pas leur objectif, bien au contraire, et que ce n’est pas cela qui les conduit à exposer leur corps dans une paradoxale « défense des urnes », ou à convoquer une grève générale en contiguïté temporelle avec le référendum pour la création d’un nouvel Etat.
Leurs objectifs vont de celui qui consiste à « détruire l’Etat espagnol » (souhaitons qu’il soit atteint), jusqu’à celui d’aller vers une situation où il soit possible de « décider de tout », et pas seulement de la forme politique du territoire, en passant par la volonté de radicaliser l’agitation actuelle en encourageant la créativité et les pincées d’auto-organisation qui pointent dans la population. Certains caressent même le rêve d’une (improbable) insurrection populaire ouvrant la voie à une véritable « autonomie », au sens fort du terme, allant bien au-delà du concept d’autodétermination des peuples.
Ces objectifs, ainsi que l’incontournable engagement à lutter contre la répression exercée par l’Etat sur ceux qui défient ses lois, m’inspirent le plus grand respect. Cela dit, il n’en demeure pas moins que les actions de ces camarades apportent leur petit grain de sable au développement du projet indépendantiste, ou plus exactement nationaliste car il ne vise pas autre chose que « l’indépendance » d’une « nation »… exclusivement.
Si cette contribution au développement du projet nationaliste me préoccupe, ce n’est pas parce qu’il conduit à l’éventuelle création d’un nouvel Etat, car en fin de compte il nous faudrait poursuivre nos luttes en son sein comme nous le faisons dans l’Etat où nous nous trouvons, sans qu’un changement du cadre étatique entraîne une différence qualitative digne d’être mentionnée. Vivre dans un nouvel Etat nous importe peu. Par contre, la principale conséquence négative qui découlera de notre participation au conflit actuel c’est que ce sera nous, et les travailleurs impliqués, qui paieront les « pots cassés » de l’affrontement entre l’Etat institué et l’Etat naissant, comme cela va être le cas, par exemple, pour la vingtaine d’anarchistes grecs arrêtés suite à l’occupation de l’ambassade espagnole en solidarité avec « la Catalogne » (sic).
Ce qui me préoccupe, et c’est précisément ici que prend sens mon appel à porter plus loin le regard, c’est que la contribution aux affrontements actuels est en train de donner des ailes à « l’essor des nationalismes », comme cela se produit à chaque fois qu’il y a un choc entre nationalismes, et cela augure un affrontement entre travailleurs, aussi bien à l’intérieur même de la Catalogne qu’entre des travailleurs de Catalogne et ceux d’autres parties du territoire. Sans parler, par ailleurs, de l’ « essor de l’extrême droite » qui en découle et que l’on constate déjà en divers endroits d’Espagne. Bien entendu, il ne s’agit pas de renoncer à lutter sous prétexte que cela peut susciter l’essor de l’extrême droite, mais ce qu’il ne faut certainement pas faire c’est lutter dans une bataille définie en termes nationalistes, car c’est cela qui garantit cet essor.
En cet instant, les interventions respectives de Puigdemont (président du gouvernement catalan), qui hier a laissé dans les limbes la proclamation du nouvel Etat, et de Rajoy (président du gouvernement espagnol), qui a mis en marche, de façon pour l’instant voilée, la suspension de l’autonomie catalane, révèlent leur souci de ne pas nuire aux intérêts des grandes corporations, des entreprises ou des entités financières, et montrent les limites qu’aucun des deux gouvernements en lice n’est disposé à transgresser. Cela se traduit par une atténuation de la tension existante, accompagnée de la mise en scène d’un spectacle fait de poses et de tromperies assorties de tirs de balles à blanc. Jusqu’à présent le seul sang qui a été versé, et il faudrait éviter qu’il continue à l’être, est celui de « ceux d’en bas », qui se sont laissé entraîner dans une partie orchestrée et arbitrée par la classe politique en fonction de ses intérêts. Il nous faut lutter, bien sûr, mais pas dans des combats où nos ennemis nous appellent à les rejoindre.
Tomás Ibáñez
(Barcelone, 11 octobre 2017)
L’españolisme dans toute sa splendeur, relayé par l’anarcho-jacobinisme à la française… L’igorance à l’œuvre.
C’est exactement les conneries que me répondaient mes compagnons de la FA de l’époque (il y a environ 40 ans) où les Palestiniens souhaitaient une solidarité internationale face à l’offensive et à l’occupation israélienne, mais les liens des « anarchistes » français avec l’état sioniste ont fait que ça a contribué à la situation présente… Moralité, il vaut mieux que les gosses de Gaza prennent des bombes sur la gueule plutôt que la création d’un état palestinien, idem concernant la Catalogne, il vaut une monarchie espagnole dirigée par les descendants du franquisme qu’une République catalane… Amen
« Tant qu’il y aura en Europe une seule nation persécutée, le triomphe décisif et complet de la démocratie ne sera possible nulle part. L’oppression d’un peuple ou d’un simple individu est l’oppression de tous et l’on ne peut violer la liberté d’un seul sans violer la liberté de chacun »
Michel Bakounine (Appel aux Slaves)
https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00394269/PDF/La_liberte_des_peuples_-_Bakounine_et_les_revolutions_de_1848.pdf
http://monde-nouveau.net/IMG/pdf/L_autre_Bakounine_1848-1861_-_Tome_2.pdf
Ben sinon vous avez personne d’autre à citer que Bakounine ? On va finir par le connaitre par coeur cet Appel aux slaves !
Comme si Bakounie était LA référence anarchiste en 2017 … ce qu’ont dit ces vieux barbons à leur époque je m’en moque complètement .. sur les questions de sexisme et d’antisémitisme les « classiques » anarchistes n’étaient pas franchement recommandables, alors les utiliser aujourd’hui pour justifier votre tambouille ça montre à quel point vous n’avez pas grand chose à dire.
Mais bon, j’imagine que l’antisémitisme du XIX° siècle ne doit pas être un problème pour un « anti-sionniste ».
Et sinon … je vois pas beaucoup de noms de femmes parmi les politicards catalans. On dirait que la Catalogne a bien changé depuis les années 30 ! D’ailleurs, qu’en pensaient les anarchistes catalans de l’indépendance à cette époque ? Ils avaient autre chose à foutre …
Visca la llibertat, sense nació ni Estat ni pobles !
Los nacionalistas que’s valen tots !
PS : les insultes de jacobins, franquistes, et autres gentillesses sont d’une puérilité assez déconcertante. Moi quand je vois des antisionnistes j’ai envie de les traiter de nazis, mais je ne le fais pas, parce que je ne veux pas me faire passer pour une débile qui confond tout.
« je vois pas beaucoup de noms de femmes », et Anna Gabriel, ça te dit quelque chose !
https://fr.wikipedia.org/wiki/Anna_Gabriel
sinon t’as ça aussi… Aux élections au Parlement de Catalogne de 2015, dix candidats de la CUP sont élus : Antonio Baños, Anna Gabriel, Josep Manel Busqueta (ca), Gabriela Serra, Albert Botran, Eulàlia Reguant, Julià de Jòdar i Muñoz, Sergi Saladié (ca),Benet Salellas (ca), et Ramon Usall (ca).
https://fr.wikipedia.org/wiki/Candidature_d%27unit%C3%A9_populaire