Depuis la résistance contre le projet de barrage de Sivens, depuis les multiples agressions que les opposants ont subies de la part des agriculteurs pro-barrage organisés en véritable milice locale, il s’agit de rester groupés pour se rendre à Sivens. Un rassemblement a donc eu lieu à 11 h 30 ce matin à Gaillac, afin de partager les voitures.

Midi quatre, après confirmation de l’itinéraire, une vingtaine de véhicules se mettent en route et chacun arrive à bon port. Une équipe de l’AFP est avec le groupe. Des gendarmes sont stationnés à plusieurs endroits du parcours.

Le pique-nique se déroule sous un ciel à peine voilé. L’air est doux, l’ambiance est à la fois chaleureuse et recueillie.Un peu plus de quatre-vingt personnes sont réunies. Mais une rumeur circule : des pro-barrage bloquent l’accès à la dalle — partie de la zone humide dévastée qui a été damée. L’hommage doit pourtant se dérouler là, à l’endroit où Rémi Fraisse été tué, il y a près de deux ans.

Il est 13 h 45 quand les participant-es à l’hommage se mettent en marche pour descendre dans la vallée. L’accès du chemin est barré par trois troncs déposés la veille, en toute impunité semble-t-il. Des personnes en canne ou béquilles sont empêchées de circuler.

Tout au long du chemin, des feuilles volettent, les arbres sont à l’automne, la forêt est magnifique.

Plus bas, deux voitures bloquent le passage, en une zone où la circulation automobile est pourtant interdite. L’une en travers, l’autre derrière, en L. Les engins sont encadrés d’une vingtaine de personnes, visages fermés, qui barrent le passage. À l’avant, une adjointe de la mairie de Lisle-sur-Tarn, très investie pour dénigrer les opposant-es au barrage*, bombe le torse et harangue le cortège. L’élue crie que les chiens doivent être tenus en laisse pour circuler sur le site, ils ne passeront pas sans ça. D’aucuns essaient contourner ceux qui barrent l’accès et trois jeunes femmes se font taillader par un homme posté sur le bord gauche. Très agressif, il a dissimulé un couteau dans sa main droite. De nombreux témoins voient ce qui survient, s’insurgent, la scène est filmée. Aussitôt, appel au 17 par 2 participant-es au cortège, une troisième joint la préfecture.

Le ton est monté. Les pro-barrage semblent chargés d’alcool ce qui rendra certains peu alertes dans le maniement des bâtons dont ils se sont équipés.

Aussitôt les gendarmes débarqués à l’arrière des pro-barrages, les miliciens calment le jeu. Le cortège en hommage se faufile sur la droite des véhicules. Une partie rejoint la dalle, l’autre approche des gendarmes pour dire la violence, les agressions, la colère. Une équipe de France 2 est présente, filme les blessures, reçoit des témoignages.

On passera sous silence la leçon de morale que certains « gardiens de la paix » professent à celles et ceux qui réclament le droit à circuler librement, comme celui de rendre hommage en paix ; le parti-pris des mêmes.

Un tractopelle débarque dans le jeu. S’ensuit une scène d’un autre monde : l’élue au torse bombé ouvre la voie au véhicule qui étale d’un coup de pelle la terre fermant auparavant l’accès à la dalle. Elle marche devant la benne du tracteur, fière, conquérante, en une posture saisissante. Les gendarmes présents sont sans réaction tandis que le tracteur progresse en direction de celles et ceux qui rejoignent la dalle pour l’hommage. Irait-il jusqu’à charger les piétons ?

Les gendarmes s’avancent enfin et le tracteur s’immobilisera à proximité du lieu de recueillement.

Le cortège s’arrondit pour assister à une performance dansée accompagnée du chant d’une flûte. Pendant ce temps, et tant que durera l’hommage, le moteur du tracteur restera en marche, tandis que certains des pro-barrage hurleront comme le font les loups, siffleront, tenteront par tous les moyens de pourrir la cérémonie. Viendront quelques lectures et partages de temps silencieux.

Une fois son hommage rendu, le cortège se regroupe pour reprendre le chemin vers la maison de la forêt. Il est 14 h 56. Les gendarmes contiennent par la force les miliciens qui auraient sans doute aimé casser quelques figures et, peut-être, taillader à nouveau quelques jeunes femmes. L’élue au torse bombé hurle en direction du cortège qu’il y en avait marre de ces zones de non-droit. Mais, de quel droit parle-t-elle ? Celui de renier les décisions de justice ? Celui d’agresser impunément ? Le droit de naviguer en eaux troubles et de refuser de rendre des comptes ?

Les personnes qui, à la suite d’une mort tragique, réalisent collectivement un travail de mémoire, seront escortées de quelques gendarmes. Lorsque le groupe est nouveau rassemblé près de la maison de la forêt, échanges de numéros de téléphone des témoins de l’agression, visionnage des vidéos gardant la preuve des faits.

Affaires à suivre.

* Il se dit ici que le mari, de ladite élue, également présent, a racheté des terres proches du barrage illégal pour du maraîchage en agriculture biologique. Des terres non irriguées. Comptait-il sur les relations de son épouse pour que l’eau vienne à lui sans tarder ?