Ferme des bouillons, la propriété privée ne doit pas avoir le dernier mot !
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Category: Global
Themes: EcologieLogement/squatResistances
Places: Rouen
Ferme des bouillons, la propriété privée ne doit pas avoir le dernier mot !
Au moment même où cet article était publié, les occupants de la Ferme des Bouillons étaient évacués par les forces de police. Le combat continue pour les militants rouennais et le soutien le plus large est d’autant plus nécessaire.
Frédéric Sultan
La ferme des Bouillons (4,11 ha), achetée par le groupe Immochan à Mont Saint Aignan, près de Rouen (76) afin d’être transformée en zone commerciale, a été sauvée par une mobilisation citoyenne exemplaire depuis 2012. Le collectif de la Ferme des Bouillons demande aujourd’hui que la SAFER de Seine Maritime revienne sur la décision de ne pas préempter la vente d’Immochan à la SCI In Memoriam constituée par des proches du groupe de distribution. Les membres du collectif revendiquent, à juste titre, la ferme des bouillons comme biens communs parce que c’est un lieu ouvert, où les activités de production et distribution de ressources alimentaires, et les activités culturelles et sociales, sont conçues dans le sens de l’intérêt général. La ferme des Bouillons donne aux habitants la possibilité de se saisir de la question de la souveraineté alimentaire de leur communauté, en pesant par l’action sur les décisions politiques, économiques qui les concernent directement.
En Décembre 2012, il a fallu la présence sur le site de plus d’une centaine d’habitants de l’agglomération de Rouen et leur constitution en association(1) de défense de la ferme, pour empêcher la démolition des 7 bâtiments en bon état et des 3 maisons, pour certaines datant du 18ème siècle. Le permis de démolir était motivé très officiellement par le risque de squat du site (arrêté signé par le maire de l’époque, M. Léautey). Dans un deuxième temps, les occupants de la ferme ont su développer une expertise citoyenne qui a permis convaincre le conseil municipal de réviser le PLU et le classement de la ferme et de ses alentours en zone naturelle protégée et donc limiter les activités économiques à l’exploitation agricole. Cette démarche n’aurait pu se faire sans une large mobilisation populaire dans l’agglomération de Rouen qui apporte son soutien sous différentes formes, y compris financièrement. Cela est indispensable pour être en mesure de défendre un tel projet devant le conseil municipal qui votera le reclassement le 23 janvier 2014, et en justice, car Auchan ne se prive pas d’engager des recours contre cette délibération.
Enfin, cette mobilisation citoyenne est exemplaire aussi parce qu’elle a non seulement ressuscité l’activité agricole de la ferme, mais aussi donné vie à un projet qui déploie autour de la production maraîchère bio, des dimensions sociales et culturelles qui démontrent s’il en était besoin les capacités des habitants des villes et des campagnes à partager un projet de vie commun et solidaire. Les quelques 100 adhérents présents le 15 décembre 2012 aux premières portes ouvertes de la Ferme des bouillons, sont rejoints par 300 personnes qui plantent les patates aux premiers jours du printemps 2013. En septembre, c’est plus de 1 500 citoyens qui se retrouvent à la ferme pour le Festival de la Tambouille : spectacles concerts, village associatif, ateliers et animations et le tout couronné par une conférence avec Marc Dufumier sur le thème de : « mal bouffe au nord et famine au sud ». Aujourd’hui, la vente à la ferme se développe. D’autres producteurs se joignent à ce qui devient un marché local. La ferme des Bouillons fait le trait d’union entre ce qui habituellement est séparé : l’urbain et le rural, les producteurs et les consommateurs, les jeunes et les plus âgés, les formes d’engagement citoyen des activistes occupants de la ferme et ceux qui rejoignent l’association de la Ferme des Bouillons.
Le projet de la ferme des bouillons est contenu dans cette trajectoire. La ferme n’est pas en dehors de la ville. Elle est un des moyens que les habitants se donnent pour améliorer leurs conditions de vie. En mettant les mains dans la terre, on ne fait pas que faire pousser des légumes, on transforme aussi les relations entre les travailleurs et les consommateurs, l’idée qu’on se fait de l’autre : occupants de la ferme, militant associatif, habitants de la banlieue ou du centre urbain, dépositaires de la connaissance ou de l’expérience. Et on partage ! Écoutez cette histoire, telle que la racontaient ses acteurs lors d’une rencontre sur les biens communs de la Ferme des bouillons en novembre 2014 :
Fort de l’expérience de l’occupation, on se projette dans une exploitation soutenable et solidaire. Depuis que la conservation de la ferme est acquise, le collectif s’est mis au travail pour élaborer un projet d’exploitation porté par la population, solidaire et respectueux de l’environnement. Avec l’association et la fondation Terres de liens, le collectif se donne comme ambition de faire l’acquisition de la ferme, sortir le foncier du marché et transformer la ferme en bien commun.
Si la ferme des bouillons est devenue un commun, ce n’est pas parce qu’elle aurait perdu son propriétaire, mais parce que les habitants de Rouen et Mont Saint Aignan ont tissés des liens et mis cette ressource au service de l’intérêt général indépendamment des droits de propriété qui y sont attachés. Ils ont sauvé la ferme et ils démontrent qu’il est possible de faire vivre ce projet sans même léser Immochan, qui, soit dit en passant, n’en mérite pas tant. Car en cherchant à vendre la terre en catimini, les actionnaires d’Auchan, abusent de leur statut de propriétaire pour nier le projet citoyen parce qu’il va à l’encontre de leurs valeurs : le marché comme fondement des relations entre les humains et avec la nature.
Les communs sont, comme le défend B. Coriat(2), des ressources qui sont gérées collectivement et font l’objet d’une gouvernance collective au service de l’intérêt général. Et la propriété ne peut pas tout. Dans le monde agricole comme ailleurs, la propriété est limitée par des droits, les droits des citoyens, des habitants, l’intérêt général de la collectivité. Dans le cas présent, la ferme des bouillons invite les habitants de la région à se saisir notamment de la question de leur souveraineté alimentaire, à exercer leur droit à l’alimentation. Ce droit est inscrit dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux de 1966 (PIDESC) récemment ratifié par la France. Il est défini par le Rapporteur spécial des Nations Unies, comme le droit à une alimentation « … quantitativement et qualitativement adéquate et suffisante, correspondant aux traditions culturelles du peuple dont est issu le consommateur,… ». A cela s’ajoute le devoir de protection des biens et du patrimoine culturel et architectural, agricole matériel et immatériel, ressuscité par l’association de protection de la Ferme des Bouillons et les occupants. La ferme est un espace où les habitants de Mont Saint Aignan reconstruisent une relation à l’environnement soutenable.
L’étude des propositions des deux parties est précisément le travail de la SAFER. Cette organisation dont les principaux actionnaires sont les organisations professionnelles agricoles et les collectivités territoriales, a pour rôle de protéger la diversité des paysages, les ressources naturelles, de maintenir la diversité biologique, et d’assurer la transparence du marché foncier rural. Une évaluation des coûts et bénéfices comparés des projets en concurrence pour la reprise de la ferme, si elle intégrait les coûts et bénéfices écologiques, sociaux et culturels pour la collectivité, (même si certains sont incommensurables), démontrerait à l’évidence que le projet citoyen est bien plus équilibré et offre plus de chance de réussite à la collectivité aussi bien qu’au futur exploitant maraîcher, que le projet privé, qui lui, confine les habitants dans le rôle de consommateurs passifs. En refusant de jouer son rôle, la SAFER est à la fois dans le dénie des réalités économiques et dans celui de la démocratie. Tout comme le préfet, en ne la rappelant pas à sa mission.
Le conflit qui oppose le collectif de la Ferme des Bouillons à Immochan, nous montre donc que l’enjeu du développement des communs, est loin de se limiter au partage de quelques ressources secondaires ou sans valeur, à quelques mètres carrés de jardins partagés par des citadins en mal de nature. Il démontre que les communs, ce sont aussi la capacité des citoyens à se mobiliser pour converger et contrecarrer la puissance des multinationales lorsqu’elles s’accaparent les richesses communes et nient tout projet basé sur la solidarité, et la puissance des agents de l’Etat, lorsqu’il ne jouent pas leur rôle de garant de la démocratie.
Les occupants de la ferme des bouillons et les habitants, mobilisés depuis plus de deux ans à Mont Saint Aignan, se battent pour leurs droits et pour l’intérêt général. Ils se voient pourtant communément coller l’étiquette de « zadistes », notamment dans les médias, comme si cela devait les distinguer du reste de la population. Or, il s’agit à Mont Saint Aignan de plusieurs milliers de personnes qui se donnent des règles communes, non sans difficultés parfois, pour faire vivre un projet collectif et ouvert sur la ville et ses habitants. Ces personnes développent de nouvelles expertises citoyennes multiples, dans le domaine juridique, économique, écologique, social et culturel. La ferme des Bouillons incarne concrètement les enjeux écologiques au quotidien, qui dans d’autres enceintes, sont la plupart du temps, réduits à de quelques chiffres dans les tableaux comparatifs des indicateurs mondiaux du progrès ou du développement. Cette initiative institue un commun autour de la souveraineté alimentaire. Elle converge avec d’autres, nombreuses qui démontrent que la population sait se mobiliser et saisir les opportunités pour améliorer ses conditions de vie.
Au-delà du soutien au collectif de la ferme des bouillons(3) dans ce moment crucial, les défenseurs des communs se doivent de rendre visibles ces mobilisations et leur convergence, de créer les conditions du partage des leçons de telles expériences. C’est l’objet du festival Temps des communs, à l’occasion duquel nous aurons l’occasion de célébrer comme il se doit la Ferme des Bouillons et l’engagement des habitants et des occupants.
CC BY SA 19 août 2015.
Frédéric Sultan
1) Association de Protection de la Ferme des Bouillons créée en décembre 2012.
2) Economiste, auteur de Le retour des communs, 2015.
3) Signez les pétitions : http://www.lafermedesbouillons.fr/sauvons-la-ferme-des-bouillons-2/
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