La diversité des croyances religieuses et les modes de cognition
Une approche anthropologique
Mohamed Nabil *
hikmat@swissinfo.org
La diversité des mœurs, des rites, des langues, des croyances, des institutions, des traditions culinaires, agricoles, vestimentaires, etc. sont des reflets évidents de la diversité culturelle qui existe autour de notre planète. Cette diversité est le résultat de siècles d’adaptation des humains à leur environnement naturel et d’innovations dans des domaines aussi variés que la science, la navigation, l’artisanat, la chasse, le transport, etc. Ce développement intellectuel, matériel et spirituel s’est poursuivi tout au long des années et des siècles.
Aujourd’hui, avec l’étude du relativisme, l’anthropologue essaie de révéler les sources, les raisons et les enjeux de la diversité ethnique. Dans mon article je vais me penche sur l’étude en parlant avant tout de la diversité des croyances religieuses et les modes de cognition, car ces notions font réfléchir l’interdépendance des jugements de fait et des jugements de valeur, qui sont très importants pour l’ensemble culturel.
Premièrement, il est à noter que c’est la capacité humaine d’imaginer le monde de différentes façons, qui introduit des systèmes de hiérarchie et de classification des êtres humains. Dans ce contexte j’aimerais parler de la diversité des croyances religieuses, qui était beaucoup discutée dans le forum. La religion en général dispose sur un grand pouvoir social, car elle stabilise la société et ses particuliers avec ses explications du monde, qui donnent un sens concret à la vie humaine. C’est la raison pour laquelle toutes les sociétés depuis la genèse de l’homme intelligent sont basées sur des systèmes de croyances, comme la religion. Ces systèmes sont très variés, à part de la religion, il y a des idéologies, des cosmologies et des visions du monde, pourtant, chaque système propage ses propres valeurs qui déterminent la vie des membres sociaux. Ainsi, nous avons constaté dans le forum que l’être humain a apparemment besoin de croire en quelque chose pour continuer à vivre. Dans la plupart des cas, il s’oriente à la croyance proposée par la société dans laquelle il vit. Ainsi, on peut classifier et différencier plusieurs blocs culturels basés sur une croyance, comme par exemple le monde musulman, qui repose sur l’Islam, l’Inde avec l’hindouisme, la Chine avec le confucianisme, le Japon avec le shintoïsme, l’Occident qui repose sur le Judaïsme et le Christianisme, le monde orthodoxe ainsi que l’Afrique avec ses religions et croyances naturelles et traditionnelles.
Néanmoins, plusieurs personnes dans le forum ont remarqué que pendant les 50 dernières années, un changement de cette référence spirituelle comme base de société a secoué le monde, surtout l’Occident et y compris le Québec. Quand on observe par exemple la société québécoise actuelle, c’est-à-dire dans l’an 2003, on remarque que la religion catholique ne joue plus un rôle essentiel (comme encore il y a 80 ans), mais qu’elle occupe seulement une place superficielle : elle est présente à l’extérieur, mais son pouvoir est réduit et ses membres diminuent constamment. Pour la plupart des gens, la religion ne joue aucun rôle dans leur quotidien, soit ils croient en rien, soit ils utilisent la croyance comme une belle robe, qui est juste portée pour des jours spéciaux comme le baptême ou le mariage. Ils s’accrochent à la religion à cause de la coutume. Le changement devient très évident, quand on compare la société québécoise avec la société marocaine (dans laquelle je suis né) : on constate que l’Islam a aujourd’hui toujours la même influence sur le comportement des Marocains que le christianisme avait au Québec dans les années vingt.

Pourtant, il faut faire une différence entre les notions pratiquant et croyant. Ces termes sont considérés très différemment selon les êtres humains : par exemple, quelqu’un qui est baptisé, mais qui ne pratique pas les rites de la religion catholique, peut se considérer comme croyant, tandis que d’autres personnes accorde le terme croyant juste aux personnes qui exercent toutes les règles de la foi religieuse. Concernant le terme pratiquant, il y a aussi différentes opinions selon lesquelles on juge une personne pratiquante, cela dépend d’interprétation de son comportement. Ainsi s’explique la thèse qu’une personne peut être croyante sans être pratiquante.

Une autre problématique se pose concernant la notion croyant, à savoir à quelle croyance il se réfère, c’est-à-dire à une croyance en Dieu, à une croyance en une force supérieure ou spirituelle ou à une autre croyance moins définie. Dans ce contexte, il est aussi important de différencier entre la foi (comme par exemple la foi catholique) et l’institution de cette croyance, dans ce cas l’église catholique. Il n’est pas rare de trouver des gens qui refusent l’institution de l’église mais qui se désignent quand même comme croyants. Il se pose alors la question si on peut séparer la croyance et l’institution qui veille sur la foi et qui s’occupe des personnes croyantes.

Il est évident que les croyances et surtout les religions ont une forte influence sur le comportement de leurs adeptes. Cette influence peut guider les croyants dans différentes directions selon leurs interprétations. Par conséquent, on trouve dans les religions des comportements moraux et éthiques, des comportements missionnaires, des manières rituelles et spirituelles mais aussi des comportements violents. Souvent, on accorde certaines caractéristiques à une croyance, comme par exemple une plus grande agressivité aux Musulmans ou des manières missionnaires aux Chrétiens.

Dans ce sens, il s’est manifesté dans le forum la discussion si la religion provoque plutôt des crimes et des violences ou si elle entraîne au contraire une vie plus pacifique et tranquille. Il y a deux côtés : d’une part l’histoire prouve que beaucoup de guerres, conflits et crimes ont été commis au nom d’une religion ou d’une croyance. Mais est-ce que cela prouve que la religion prône la violence? L’analyse des événements historiques a aussi démontré que le nom des religions était souvent abusé pour atteindre des buts politiques et territoriaux, ainsi la religion a servi comme motive pour satisfaire une avidité de puissance. De l’autre côté, on constate que les livres et les dogmes des grandes religions enseignent à leurs adeptes des idées moraux qui ont pour but l’harmonie et la paix entre les hommes. En conséquence, le comportement religieux évite la violence et cherche les vertus comme l’amour du prochain, la serviabilité et le pacifisme. L’interprétation de la religion joue alors un rôle prépondérant.

En effet, ce sont surtout les valeurs transmises par la religion qui ont la plus grande influence sur les adeptes. La religion est donc considérée comme la première source des valeurs humaines. Par contre, une société de valeur est possible sans religion, comme dans le cas du Japon, même si à l’origine de cette culture, il se trouve aussi une certaine croyance. Cependant, une communication interculturelle effective doit avoir comme base un système de valeurs mis à jour, car l’évaluation du monde dépend des jugements de valeur, qui se transforment continuellement. Les valeurs sont alors très importantes pour une approche cognitive.

L’observation ethnographique aide à découvrir au fur et à mesure les valeurs d’une personne à partir de son style de vie et de ses opinions. On doit distinguer les différents niveaux des valeurs (valeurs primaires, secondaires et tertiaires) ainsi que le groupe de référence (une personne, un milieu social, une culture). Les valeurs effectives guident les conduites des êtres humains, mais une valeur n’est pas partout perçue de la même façon. Chaque personne a une autre définition du mot valeur, en plus, chacun se définit ses propres valeurs, qui sont importantes pour lui et selon lesquelles il oriente sa vie. Je connais un étudiant qui m’a proposé une définition personnelle des valeurs en disant que : « Les valeurs sont des idéaux, des croyances et des comportements qui aident les individus d’une société à poursuivre leur existence sans perdre l’espoir. » Dans cette définition on voit très bien les différentes étapes d’une valeur : premièrement, elle est une pensée idéale, qui se forme dans la tête de l’être humain, puis, elle devient fixe et se manifeste comme une croyance et finalement elle se transmet sur le comportement de la personne. Il y a donc une différence entre une valeur théorique, qui exprime la croyance d’un homme, et une valeur pratique qui détermine sa conduite. En conséquence, il y a des gens qui croient en quelque chose mais qui font le contraire. C’est pourquoi on ne peut pas juger tous les adeptes de la même façon, car leur comportement peut différer beaucoup même s’ils portent des valeurs similaires.

Dans ce contexte, il est important d’observer la hiérarchie des valeurs. Les valeurs primaires sont les valeurs les plus importantes, qui sont considérées comme nécessaire pour garantir une vie sensée, digne et raisonnable. Ces valeurs sont par exemple dans la société marocaine la défense de la terre, dans la société mexicaine la famille et dans la société québécoise la liberté de l’individu. Bien sûr, la hiérarchisation se diffère d’une culture à l’autre. Les valeurs primaires sont essentielles pour la vie d’un individu et il va les défendre avec la plus grande ferveur. Les valeurs secondaires sont moins importantes, mais elles assurent quand même une certaine qualité de vie, comme par exemple la sincérité ou le respect. Finalement, il y a les valeurs tertiaires qui jouent un rôle dans la vie, mais qui peuvent être négligées sans faire trop des sacrifices. Cette dernière catégorie peut inclure par exemple la valeur d’être chaleureux ou serviable. Pourtant, les valeurs qui sont pour une personne tertiaires peuvent êtres primaires pour une autre, selon la culture. Ainsi, on ne peut pas dire que les valeurs primaires correspondent aux valeurs pratiques et les valeurs tertiaires aux valeurs théoriques.

Après cette analyse, il se pose la question s’il y a des personnes qui n’ont pas de valeurs du tout? Je pense qu’on ne peut pas généraliser cela, parce que le fait de ne pas avoir des valeurs peut être une valeur aussi. En plus, chaque être humain a une chose à laquelle il tient, pour la plupart des gens c’est avant tout leur vie. C’est donc leur valeur principale et ils feront tous pour la garder. Si on affirme alors que quelques personnes n’ont pas de valeurs, c’est pour la simple raison qu’on ne reconnaît pas le mot valeur pour les croyances de ces personnes. Dans la société québécoise et occidentale en général, beaucoup de gens lient au mot valeur des choses comme la consommation, la mode ou la liberté sexuelle. Ils définissent ainsi leurs valeurs selon lesquelles ils déterminent leur comportement, par contre, ces valeurs ne correspondent pas aux valeurs traditionnelles, religieuses et morales comme la pudeur, la dignité, le respect, la sincérité, la patience et la persévérance. La relativité repose alors sur la définition du mot valeur.

Mon expérience personnelle comme professeur de philosophie ne me laisse pas adopté cette relativité de la valeur. Pour moi, une valeur mérite seulement cette désignation, si elle est une valeur morale qui mène au bien, car la morale existe depuis le début de l’humanité ainsi que la différenciation entre le bien et le mal. Aussi, en tant qu’Arabe musulman, c’est mon « background » culturel qui me lie très étroitement aux valeurs et en même temps à la religion. Bien que je pense qu’une vie morale basée sur des valeurs est possible sans religion, je ne peux pas accepter cela pour moi-même. Dans ce contexte, je crois que c’est plus facile pour une personne d’adapter des valeurs nouvelles lorsqu’elle ne croit en rien, que pour une autre de changer ou même d’abandonner ses valeurs, selon lesquelles elle a mené toute sa vie précédente.

En conclusion, je constate que la diversité de croyances et les modes de cognition ont encore une très grande influence sur la vie personnelle mais aussi sur l’ensemble social et même mondial. La perte des croyances traditionnelles fondamentales a entraîné des changements dans les sociétés occidentales et a aussi influencé leurs relations avec d’autres cultures. Reposant sur les croyances et les religions, ce sont les valeurs qui déterminent le comportement des êtres humains, mais ces derniers perçoivent et classifient les valeurs des manières très différentes, ce qui entraîne des conflits et des problèmes culturels. C’est pourquoi il faut garder un point de vue relativiste pour parler de la diversité des croyances et des valeurs. Ce relativisme n’est pourtant pas sans conséquences : le scepticisme, l’incommensurabilité et le conventionnalisme sont les problèmes qui s’offrent, la tâche de l’anthropologue est alors difficile à accomplir. Malgré tout, je trouve que l’approche anthropologique est très intéressante et je la considère comme un défi pour surmonter ses propres limites ethniques. Il reste encore beaucoup de travail à faire.
*Professeur de philosophie et journaliste -Canada