Déclaration des travailleurs d’alicante (espagne) sur la grève générale
Catégorie : Global
Thèmes : Resistances
Nous publions ci-dessous la traduction d’une déclaration de travailleurs d’Alicante, ville située au sud-est de l’Espagne, au bord de la méditerranée, précédée d’une très courte introduction de notre organisation. Ces deux textes ont d’abord été mis en ligne sur notre site en Espagnol.[1]
Face aux nouveaux appels à des “grèves générales” de vingt-quatre heures (appelée par la CGT[2] et par cinq autres syndicats avec à leur tête le duo CO-UGT[3]), nos camarades “Assembléistes[4]-Travailleurs indignés et auto-organisés” d’Alicante, ont diffusé une déclaration. Ces camarades qui mènent une activité depuis plus de deux ans ont le mérite de dénoncer des manifestations qui ne font que démobiliser et démoraliser et qui ne sont que le prolongement des coups à répétition du gouvernement Rajoy. Mais ils n’en restent pas là, ils ont mis en avant une perspective, celle du combat pour la grève de masse, qui, face à la démobilisation syndicale, est l’orientation que tendent à prendre les ouvriers depuis plus d’un siècle.
Il est faux de dire qu’il n’y a pas d’alternative aux “mobilisations pour démobiliser” qu’organisent les syndicats. En emboîtant le pas aux camarades d’Alicante, nous pensons qu’un débat devrait émerger pour éclaircir l’alternative qui se présente au prolétariat historiquement depuis la révolution de 1905 en Russie et nous encourageons à ce que d’autres camarades, d’autres collectifs, fassent d’autres apports.
CCI
Face aux “arrêts de travail de vingt-quatre heures”, quelle grève voulons-nous ? La grève de masse !
Comment se fait-il qu’un arrêt de travail de vingt-quatre heures soit appelé une grève ? Et la question encore plus importante à se poser est celle-ci : en quoi un arrêt de vingt-quatre heures va t-il favoriser le combat de la classe ouvrière ?
Notre position politique est liée à l’internationalisme et l’autonomie prolétarienne ; pour nous, toute action des minorités conscientes doit aller dans le sens de favoriser la prise de conscience, l’unité et l’auto-organisation de la classe ouvrière.
Il y a eu de nombreuses mobilisations ces derniers temps et il y a eu beaucoup d’efforts de la part du prolétariat pour s’organiser. C’est une période de nouvelles mobilisations massives qui a commencé, symboliquement, en mai 2011. Celles-ci ont été le début de la réponse aux attaques de plus en plus brutales contre les conditions de vie de la population. Mais il n’y a pas de progression linéaire : c’est une période marquée par des moments très divers. Il a existé des poussées très fortes vers l’auto-organisation faisant apparaître un mouvement diffus et encore embryonnaire en faveur des assemblées générales. Par la suite, profitant de la fatigue et de la baisse évidente de la participation, ce sont les syndicats et les organisations de gauche qui sont revenues sur le devant de la scène, en ramenant les mobilisations sur les sentiers battus : des mobilisations bien contrôlées, désunies, sectorielles, démotivantes où rien n’est gagné et où, par contre, le sentiment de solitude et de lassitude chez les participants est patent. Face à tout cela, nous pensons que la non-participation de la majorité des travailleurs, dans des mobilisations que ceux-ci considèrent étrangères à leurs propres intérêts, est logique. Et il est tout à fait normal qu’un temps de réflexion s’impose à eux.
Nous avons besoin de réfléchir, d’apprendre de ce qui vient de se passer et de chercher les chemins de notre auto-organisation, des chemins qu’on ne retrouvera ni à travers la décision d’on ne sait quelles avant-gardes « éclairées », ni à travers des réflexes conditionnés, même avec les meilleures intentions du monde.
La grève que nous considérons efficace, que nous sentons nécessaire, devra être convoquée par les travailleurs eux-mêmes et s’étendre à toute la société, en prenant possession de tous les espaces, en occupant tous les lieux, en créant un nouveau type de rapports et de communication sociaux. Cette grève n’arrête pas la vie, mais elle la recommence, cette grève est la grève de masse qui pendant tout le siècle dernier s’est exprimée à plusieurs reprises, où tous nos ennemis (toutes les bourgeoises publiques et privées) ont tout fait pour qu’elles tombent dans l’oubli. Tout simplement parce que ce type de grève fait peur tant elle exprime la force avec laquelle le prolétariat est capable d’apparaître.
Une véritable grève est un mouvement massif et intégral qui ne se limite pas au seul arrêt de travail. C’est l’arme fondamentale de la classe ouvrière, laquelle prend le contrôle de sa propre vie et ceci se traduit dans tous les domaines de la société qu’elle combat, exprimant à la fois tous les aspects de la société humaine à laquelle elle aspire. Il est clair que ce n’est pas quelque chose qui peut être appelé par qui que ce soit (même avec les meilleures intentions), mais elle fait partie d’un processus de prise de conscience et de lutte des travailleurs. La question n’est pas de savoir si elle va durer vingt-quatre, quarante-huit heures ou qu’elle soit indéfinie, sa radicalité n’étant pas une question de temps. Sa radicalité consiste en ce qu’elle est et fait partie du mouvement réel des ouvriers qui s’organisent et se dirigent eux-mêmes.
Qu’est-ce que la grève de masse ?
La grève de masse est le résultat d’une période du capitalisme, le période qui commence au début du 20e siècle. Rosa Luxemburg fut la révolutionnaire qui mit le plus en avant ce phénomène en se basant sur le mouvement révolutionnaire de 1905 des travailleurs en Russie. La grève de masse “est un phénomène historique résultant à un certain moment d’une situation sociale à partir d’une nécessité historique.”[5]
La grève de masse n’est pas quelque chose d’accidentel, elle n’est pas le résultat ni de la propagande ni des préparatifs qu’on aurait mis en place par avance ; on ne peut pas la créer artificiellement. Elle est le produit d’une période donnée de l’évolution des contradictions du capitalisme.
Les conditions économiques à la base de la grève de masse ne se limitaient pas à un pays mais avaient un sens international. Ces conditions font surgir ce genre de lutte avec une dimension historique, une lutte essentielle pour le surgissement des révolutions prolétariennes. En bref, la grève de masse n’est pas autre chose qu’ “une forme universelle de la lutte de classe prolétarienne déterminée par le stade actuel du développement capitaliste et des rapports de classe”.[6]
Ce “stade actuel” consistait dans le fait que le capitalisme était en train de vivre ses dernières années de prospérité. Le développement des conflits inter-impérialistes et la menace de la guerre mondiale, la fin de toute amélioration durable des conditions de vie de la classe ouvrière, bref, la menace croissante que représentait l’existence même de la classe ouvrière au sein du capitalisme, voilà les nouvelles circonstances historiques qui accompagnaient l’irruption de la grève de masse.
La grève de masse est le produit du changement dans les conditions de vie à un niveau historique qui, nous le savons aujourd’hui, ont signifié la fin de l’ascendance capitaliste, des conditions qui préfiguraient celle de la décadence capitaliste.
Il existait déjà en ce temps-là de fortes concentrations d’ouvriers dans les pays capitalistes avancés, habitués à la lutte collective, et dont les conditions de vie et de travail se ressemblaient un peu partout. Conséquence du développement économique, la bourgeoisie devenait une classe de plus en plus concentrée et s’identifiait de plus en plus avec l’appareil d’État. Comme le prolétariat, les capitalistes avaient appris à faire face ensemble à leur ennemi de classe. Les conditions économiques rendaient de plus en plus difficile pour les ouvriers l’obtention de reformes au niveau de la production et, de la même manière, la “ruine de la démocratie bourgeoise” rendait de plus en plus difficile pour le prolétariat la consolidation des acquis au niveau parlementaire. Ainsi, le contexte politique, de même que le contexte économique de la grève de masse, n’était pas celui de l’absolutisme russe mais celui de la décadence croissante de la domination bourgeoise dans tous les pays.
Sur les plans économique, social et politique, le capitalisme avait jeté les bases pour les grands affrontements de classe à l’échelle mondiale.
La forme de la grève de masse
L’objectif syndical (l’obtention d’améliorations au sein du système) est devenu de plus en plus difficile à réaliser dans le capitalisme décadent. Dans cette période, le prolétariat n’entreprend pas une lutte avec la perspective assurée d’obtenir de véritables améliorations de son sort. Les grèves d’aujourd’hui, les grandes manifestations, n’arrivent pas à obtenir quoi que ce soit.
Par conséquent, le rôle des syndicats qui était d’obtenir des améliorations économiques au sein du système capitaliste, disparaissait. Il y a d’autres implications révolutionnaires dérivées de la mise en cause des syndicats par la grève de masse :
1) La grève de masse ne pouvait pas se préparer à l’avance ; elle surgit sans plan pré-établi du genre “méthode de mouvement pour la masse prolétarienne”. Les syndicats, se consacrant à leur organisation permanente, préoccupés par leurs comptes bancaires et leurs listes d’adhésions, ne pouvaient même pas se poser la question d’être à la hauteur de l’organisation des grèves de masse, une forme qui évolue dans et pour la lutte elle-même.
2) Les syndicats ont divisé les ouvriers et leurs intérêts entre toutes les différentes branches industrielles alors que la grève de masse “fusionna, à partir de différents points particuliers, des causes différentes” et ainsi elle tendait à éliminer toutes les divisions au sein du prolétariat.
3) Les syndicats n’organisaient qu’une minorité de la classe ouvrière alors que la grève de masse rassemblait toutes les couches de la classe, syndiqués et non syndiqués.
La décadence du capitalisme
La lutte est liée à la réalité dans laquelle elle se déroule, on ne peut pas la considérer séparément. Depuis le début du siècle dernier, la décadence d’un système qui a épuisé les marchés extra-capitalistes limitant ainsi sa nécessité insatiable de croissance, devient évidente, provoquant une crise permanente et de permanents cataclysmes sociaux (des guerres et des misères sans précédents pour l’humanité).
La période depuis la fin des années 1960 est le point culminant de la crise permanente du capitalisme, l’impossibilité d’expansion du système, l’accélération des antagonismes inter-impérialistes, dont les conséquences mettent en péril toute la civilisation humaine.
Partout, l’État, avec l’extension redoutable de son arsenal répressif, prend en charge les intérêts de la bourgeoisie. Face à lui, il trouve une classe ouvrière qui, même affaiblie numériquement par rapport au reste de la société depuis les années 1900, est encore plus concentrée et dont les conditions d’existence se sont égalisées de plus en plus dans tous les pays jusqu’à un degré sans précédent. Au niveau politique, la « ruine de la démocratie bourgeoise » est si évidente qu’elle arrive à peine à cacher sa véritable fonction de rideau de fumée devant la terreur de l’État capitaliste.
Les conditions de la grève de masse correspondent à la situation objective de la lutte de classes actuelle, parce que les caractéristiques de la période actuelle expriment le point le plus aigu des tendances du développement capitaliste, qui ont commencé à s’imposer il y a presque un siècle.
Les grève de masse des premières années du siècle dernier furent une réponse à la fin de la période d’ascendance capitaliste et au début des conditions de sa décadence.
Ces conditions sont devenues totalement évidentes et chroniques aujourd’hui, on peut penser que ce qui pousse objectivement vers la grève de masse est, aujourd’hui, mille fois plus fort.
Les “résultats généraux du développement capitaliste international” qui ont déterminé le surgissement historique de la grève de masse n’ont cessé de mûrir depuis le début du XXe siècle.
Que pouvons-nous faire ?
Comment pouvons-nous favoriser le développement de la grève de masse, de l’auto-organisation internationale du prolétariat, de sa nécessaire unité ?
Nos contributions ne sont que cela, des contributions d’une partie consciente au sein de la classe ouvrière. Nous n’aspirons pas à plus que cela, à moins non plus.
Une des formes de ces contributions consiste justement à critiquer les actions erronées qui sont autant d’entraves à l’auto-organisation et à l’approfondissement de la conscience. Même avec la meilleure des intentions de leurs militants, l’activisme, le syndicalisme de base, le gauchisme…, font partie de ces barrières que les travailleurs devront abattre pour atteindre leur autonomie de classe.
Une autre contribution consistera à encourager la réflexion, les éclaircissements sur ce que nous avons vécu. Mais aussi l’extension des luttes véritables, leur coordination et leur information, ainsi que les rencontres et l’organisation des révolutionnaires. Ou encore, la récupération de la mémoire de nos luttes et de leur outils fondamentaux, tels que la grève de masse.
Des “Assembléistes-travailleurs indignés et auto-organisés” pour un 15-M[7] ouvrier et anticapitaliste
Courant Communiste International
[1] http://es.internationalism.org/revolucionmundial/201211…neral
[2]La CGT en Espagne est un syndicat de tendance anarchosyndicaliste, scission de la CNT. [NdT].
[3]Les Commissions Ouvrières (CO), sont historiquement lié au PC, et l’UGT au Parti socialiste. Ce sont les deux principaux syndicats en Espagne [NdT]
[4]Nous utilisons parfois ce néologisme en français pour traduire « asambleista », autrement dit des militants qui défendent les assemblées générales comme moyen de pouvoir des ouvriers lors des luttes. [NdT]
[5]Rosa Luxemburg : Grève de masse, partis et syndicats ( http://www.marxists.org/francais/luxembur/gr_p_s/greve2.htm.)
[6] http://www.marxists.org/francais/luxembur/gr_p_s/greve7.htm
[7]“15-M” fait référence au mouvement qui débuta en Espagne le 15 mai 2011. [NdT]
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