> Quand la haute direction de la multinationale Alcan a annoncée, au Forum
> de Davos, la fermeture des salles de cuves de son aluminerie d’Arvida,
> elle ne se doutait sans doute pas de la boîte de pandore qu’elle
> ouvrait. Bien sûr, tout le monde s’attendait à de la colère ouvrière, en
> témoigne la présence de l’escouade anti-émeute de la SQ à Jonquière dès
> l’annonce de la nouvelle, mais personne ne s’attendait à « ça. » En
> effet, qui pouvait prévoir qu’en 2004, au Québec, un syndicat local se
> lancerait dans une ambitieuse opération d’occupation des installations
> d’une puissante multinationale et, en guise de moyens de pression,
> relancerait la production à pleine capacité sous contrôle ouvrier ?
> C’est pourtant exactement ce que vient de faire le Syndicat national des
> employéEs de l’aluminium d’Arvida (SNEA).

> Depuis quelques mois, la classe ouvrière du Saguenay-Lac-Saint-Jean
> passe au bat et les pertes d’emplois bien payés se multiplient. En mai,
> il y a la faillite de la Coopérative forestière de Laterrière (650
> jobs). Juste avant Noël, c’est au tour d’Abitibi-Consolidated d’annoncer
> la fermeture de la papetière de Port-Alfred (650 jobs). Et voilà que la
> semaine dernière Alcan en rajoute une couche en annonçant la fermeture
> prématurée de ses cuves Söderberg, au Complexe Jonquière, détruisant
> ainsi 550 jobs. L’action du syndicat vise un peu (beaucoup) à contrer
> tout ça.

> La fin de semaine dernière, l’exécutif du syndicat réunissait une «
> cellule de crise » regroupant une centaine de militantEs pour discuter
> stratégie. Habituellement ce genre de « cellule » met sur pied une aide
> psychosociale pour les salariéEs qui perdent leur emploi et essaie de
> négocier les meilleures « conditions de séparation » possible. Lundi
> soir, une assemblée syndicale à huis-clos se tient pour présenter la
> stratégie proposée et tenir un vote. 2 000 ouvrierEs participent aux
> délibérations et pas un mot ne filtre de la salle. Les commentateurs
> s’entendent alors pour prédire que les moyens de pressions seront de
> l’ordre du boycott des heures supplémentaires.

> Ce n’est que le lendemain que les syndiquéEs dévoilent leur plan
> d’action et informent de ce qui a été fait dans la nuit. L’idée de base
> est simple : repartir la production à plein régime sous leur contrôle
> tant qu’ils n’auront pas eu d’engagement écris d’Alcan qu’elle investira
> dans la région pour remplacer les emplois perdus. Dès lundi soir, après
> la première assemblée de ses membres, le syndicat a mis en branle sa
> stratégie, demandant à ses travailleurs des salles de cuves Söderberg de
> maintenir le fonctionnement à plein régime. La première salle de cuves
> mise en mode fermeture a repris du service et le centre de coulée,
> condamné l’été dernier, a de nouveau reçu du métal chaud. Selon le
> président du syndicat, Claude Patry, les syndiquéEs ont tout en mains
> pour assurer l’exploitation des Söderberg sur une longue période. Les
> travailleurs et les travailleuses, dit-il, contrôlent toute la chaîne de
> production, de l’arrivée de la bauxite aux installations portuaires de
> La Baie jusqu’aux salles de cuves, en passant par l’usine chimique
> Vaudreuil qui convertit la bauxite en alumine, le réseau ferroviaire et
> les installations hydroélectriques. Alcan, a clairement dit le syndicat,
> n’a pas intérêt à couper l’approvisionnement en bauxite qui arrive
> d’outre-mer ou en énergie, parce que ce sont ces autres usines
> d’électrolyse d’Alma, Laterrière et La Baie qui en souffriront. Le plus
> beau de l’affaire c’est que, pour l’instant, c’est Alcan qui paie les
> salaires puisque le processus de fermeture devait durer jusqu’en mars.

> La production à plein régime sous contrôle ouvrier est en quelque sorte
> le joker dans le jeu de carte du syndicat. La grève, arme
> traditionnelle, n’est pas pensable dans le contexte. En effet, faire la
> grève ça veut dire éteindre les cuves, exactement ce que veut le patron.
> Il faut dire que dans ce cas précis, les ouvrierEs ont le gros bout du
> bâton. En effet, la fermeture d’une salle de cuves consiste en une
> opération complexe qui nécessite la participation des travailleurs et
> des travailleuses. À moins que la multinationale décide tout simplement
> de perdre la production dans les cuves en coupant l’approvisionnement en
> électricité, il faut que les syndiquéEs consentent à l’opération. De
> plus, en produisant à plein régime, le syndicat empêche Alcan de vendre
> son électricité aux USA (l’un des buts avoué de l’opération). Interrogé
> sur la portée légale de l’« occupation », Claude Patry a répondu : « Ce
> n’est pas illégal de continuer à travailler. »

> Avant de laisser Alcan fermer ses vieilles installations, les
> travailleurs et les travailleuses exigent des garanties écrites d’Alcan.
> Ils et elles veulent une nouvelle aluminerie à Jonquière. Les syndiquéEs
> réclament qu’Alcan fasse de son Complexe Jonquière une usine de services
> pour les alumineries de la multinationale dans le monde. On propose par
> exemple que l’entreprise investisse avec un géant de l’automobile dans
> une usine qui pourrait créer un millier d’emplois à Jonquière. Les
> travailleurs et les travailleuses d’Alcan réclament aussi d’autres
> usines de transformation dans la région. La revendication porte sur cinq
> grand axes : augmenter la production et diversifier les produits de
> l’usine Vaudreuil, fabriquer les anodes pour d’autres usines de la
> multinationale, rapatrier toutes les activités de débrasquage d’Alcan au
> Québec, obtenir des investissements majeurs pour les cathodes graphitées
> afin de fournir les alumineries de nouvelles générations et faire du
> service atelier/usinage/forge/garage, le fournisseur de services de
> l’ensemble des installations d’Alcan dans la région.

> Apparemment que les syndiquéEs ont l’appui majoritaire de la population
> et des élus de la région. Évidemment que l’ensemble de l’opération, bien
> que très créative et combative, se place dans un strict cadre légaliste
> (quoi que…) et réformiste. D’ailleurs, la haute direction de la FTQ ­-
> à laquelle viennent d’adhérer les syndiquéEs via la fusion de leur
> fédération avec les TCA ­ appuie de tout coeur l’action. Henri Massé a
> tenu à apporter par communiqué « l’appui le plus entier de la centrale à
> la spectaculaire opération de résistance déclenchée par ses syndiqués
> chez Alcan à Jonquière. »

> N’empêche que la brèche qu’ouvre cette action dans l’imaginaire est
> sensationnelle. Il s’agit quand même d’une négation ouverte du droit de
> gérance de la multinationale et d’une formidable affirmation de pouvoir
> ouvrier. Et puis, entre le contrôle ouvrier et l’autogestion, il n’y a
> qu’un pas…

> Nicolas Phebus

> Northeastern Federation Of Anarcho-Communists
> http://www.nefac.net