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LETTRE OUVERTE AUX INSTITUTIONS MEDIATIQUES ET AUX TRAVAILLEURS DE LA PRESSE

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Chers collègues,

Je m’appelle Hasan Subaþý et je suis le rédacteur en chef de la revue turque « Kerbela ». En ce moment, je suis en grève de la faim depuis 27 jours dans un petit parc de Bruxelles. C’est donc en plein jeûne que je vous adresse cette lettre. Je jeûnerai ainsi pendant 50 jours. J’en ai donc encore pour plus de trois semaines..

Pourquoi, me direz-vous.

Parce que les prisonniers politiques de mon pays sont en grève de la faim depuis 1182 jours en se relayant dans un enchaînement fatal de décès et de mutilations provoquées par des tortionnaires en blouse blanche.

L’Etat oppresseur et assassin qui sévit en Turquie a en effet bâti des prisons de type F dans le but de pousser les prisonniers politiques à renoncer à leur personnalité, à leurs idéaux et à se résigner à lui. C’est précisément par refus du supplice de l’isolement carcéral et de la déprivation sensorielle que ces prisonniers observent leur jeûne de la mort depuis le 20 octobre 2000.

Le 19 décembre 2000, l’armée est intervenue simultanément dans 20 prisons pour mettre un terme à cette résistance passive. Le bilan de cette attaque durant laquelle des bombes chimiques ont été utilisées, a tourné au massacre: 28 morts, près de mille blessés. Six femmes ont été brûlées vives. Ces atrocités ont été corroborées par les rapports d’autopsie. Après ce massacre qui rappelle à bien des égards les pratiques nazies, les prisonniers politiques ont été déportés vers les prisons de type F. Depuis lors, c’est du fond de leurs cellules et dans une solitude absolue, qu’ils poursuivent inexorablement leur jeûne…

Entrée dans sa quatrième année, cette résistance à la torture et à l’isolement a coûté la vie à 107 détenus et leurs proches. En outre, 500 prisonniers ont été rendus infirmes des suites de la pratique de l’alimentation forcée. Cette résistance se poursuit aujourd’hui par 8 grévistes de la faim faisant partie du 10e groupe de volontaires. Ils sont en grève de la faim depuis 3 mois exactement et ont donc atteint l’article de la mort.

Malgré cette hécatombe, l’Etat refuse toujours tout compromis avec les prisonniers qui demandent uniquement la levée du régime d’isolement. En ignorant le problème, le pouvoir ne fait que l’aggraver. Pire, l’Etat ne se contente pas de l’ignorer: il impose un black-out médiatique total pour que ces prisonniers meurent dans le silence.

Moi-même suis en grève de la faim pour que cessent l’isolement, la censure et le martyre des prisonniers politiques. Je mets ainsi ma santé et ma vie en danger. De la même manière, d’autres sympathisants des prisonniers politiques observent le jeûne pour une durée de 50 jours à Berlin, Londres et Vienne.

Chers collègues,

Je vous prie de prêter l’oreille à ce cri de douleur et de le retransmettre sur les écrans télévisés et dans vos pages de journaux.

Moi-même, je suis un travailleur de la presse. J’écris depuis le 23 décembre avec la faim au ventre. Et je continuerai de le faire tant que ma santé et ma mémoire me le permettront.

Tout comme vous, tout comme les prisonniers politiques qui se sont sacrifiés, j’aime la vie. Mais je veux vivre dans la dignité. Je ne veux plus entendre de nouvelles de décès en provenance des prisons de type F.

Je ne vous demande pas la lune. Juste vous voir à mes côtés…

J’espère que vous tiendrez compte de ma demande. J’espère ne plus devoir rebuter contre le « mur » de la censure.

Je vous prie de croire en l’expression de ma plus haute considération.

Hasan Subaþý

Rédacteur en chef de la revue « Kerbela »

hasansubasi@hotmail.com