Aucun fasciste espagnol n’a eu son “nuremberg” (askapena)
Category: Global
Themes: Prisons / Centres de rétentionResistances
Aucun fasciste espagnol n’a eu son “Nuremberg”
Interview de Ruben Sánchez (Beatriz Morales)
+ info : http://www.askapena.org
Cette entrevue a été publié sur rebelion, mondialisation.ca, lahaine, Michel Collon, Silvia Cattori (fr/cast), oxygene.re, boltxe, Coco Magnanville, ajintem.com, Sare Antifaxista, Jacques Tourtaux.
Ruben Sanchez est un citoyen basque inculpé dans la répression contre « Askapena », organisation basque de solidarité internationale entre les peuples. Il est en liberté sous caution de 10 000 euros, tandis que ses cinq camarades arrêtés le même jour, le 28 septembre 2010, sont en prison. Dans cette interview Ruben nous donne son point de vue sur la répression contre Askapena et sur la réalité d’Euskal Herria, du Pays Basque.
Beatriz Morales Bastos : Ruben, qu’est-ce qu’Askapena ?
Ruben Sanchez : Askapena est une organisation internationaliste basque fondée en 1987 avec le double objectif de travailler à la solidarité avec d’autres peuples qui luttent pour le socialisme et pour leur souveraineté, comme Cuba, le Venezuela, la Bolivie, les peuples originaires d’Abya-Yala (les Zapatistes, les Mapuches, les Aymaras, les Guaranis …), la Palestine, le Sahara. Mais aussi, avec l’objectif de travailler à ce que ces peuples connaissent le peuple basque et sa lutte pour l’autodétermination et le socialisme. Dans ce sens, nous nous coordonnons avec les groupes « Amis et amies d’Euskal Herria », soit plus de 30 groupes qui travaillent à promouvoir la solidarité internationale avec Euskal Herria, principalement en Europe [1].
Beatriz Morales Bastos : Vous attendiez-vous à être arrêté ?
Ruben Sanchez : C’était une possibilité très réelle. Au cours de ces derniers mois, Askapena a été attaqué et criminalisé dans de nombreux médias espagnols, colombiens, chiliens. Nous avons été accusés de choses absurdes comme de former les Mapuches aux techniques de guerrilla, ou de chercher des sanctuaires pour l’ETA en Bolivie ou au Venezuela, on nous a associés aux FARC. Les infiltrations de la police sont à l’origine de toutes ces intoxications médiatiques qui visent à préparer la société pour qu’elle approuve la répression, le jour où la rafle aura lieu [2]. En outre, dans le monde entier, la criminalisation de la solidarité internationaliste est également en augmentation. Les exemples sont nombreux, en Palestine, en Colombie, en Tchétchénie, en Afghanistan, en Euskal Herria, etc, où des personnes sont mortes ou ont été emprisonnées pour avoir dénoncé les États impérialistes.
Beatriz Morales Bastos : Selon l’Audience Nationale espagnole [3], vous constituez l’appareil international de l’ETA. Que répondez-vous à cette accusation ?
Ruben Sanchez : Nous ne sommes pas une organisation clandestine ; depuis 1987 nous agissons publiquement, il y a des centaines d’organisations et des milliers de personnes en Euskal Herria et parmi les peuples du monde qui connaissent notre travail de première main, aucune de ces personnes ne pourrait dire que les membres d’Askapena sont des membres de l’ETA. N’importe qui peut visiter notre site web ou aller aux dizaines de manifestations publiques que nous organisons dans nos villes, ou rencontrer nos brigadistes dans les peuples du monde que nous visitons.
Beatriz Morales Bastos : Alors, comment expliquez-vous la répression du gouvernement espagnol contre Askapena ?
Ruben Sanchez : Certaines personnes peuvent ne pas connaître la situation des violations des droits humains, civils et politiques à laquelle nous sommes confrontés dans ce pays par les États français et espagnol, et ont seulement entendu parler de l’ETA. Au cours des 10 dernières années, des centaines de militants d’organisations sociales et politiques ont été arrêtées sous l’inculpation d’être des membres de l’ETA, alors qu’ils ne l’étaient pas. Au Pays Basque, il y a eu des journaux fermés, des partis politiques interdits, des organisations de jeunesse, de défense des droits des prisonniers ou des assemblées d’élus mises hors la loi. Au Pays Basque, les militants peuvent appartenir à l’ETA sans le savoir ; un jour la police se présente à votre domicile et vous communique que vous êtes accusé d’appartenir à l’ETA. À partir de ce moment on vous applique la loi antiterroriste, c’est-à-dire une détention de 5 jours au secret (incomunicado), qui peut être prolongée par 5 autres jours, avec le risque évident de la torture, après quoi vous êtes mené devant un juge et un procureur de l’Audience Nationale, un tribunal spécial espagnol dont la fonction politique de combattre la lutte du peuple basque date de l’époque de Franco, et continue aujourd’hui.
Beatriz Morales Bastos : Comment s’est passée votre arrestation ? Avez-vous été torturée ?
Ruben Sanchez : Dans mon cas, je n’ai pas été torturée, ce qui, en outre, invalide la théorie du gouvernement espagnol selon laquelle tous les prisonniers de l’ETA suivent un manuel d’instructions pour dénoncer la torture, un manuel que, étrangement, les militants basques n’appliquent pas quand ils sont détenus par l’État français. D’ailleurs, pourquoi un Basque irait-il dénoncer des tortures et signer ainsi son auto-incrimination ? Ce qui vous amène directement en prison pour de nombreuses d’années ! Les policiers sont arrivés à 1h30 du matin, une douzaine d’entre eux sont entrés dans la maison ; ils ont perquisitionné jusqu’à 4h30, je crois, et puis ils se sont rendus au garage pour chercher la voiture de ma femme. Cela a été le moment le plus difficile, car j’ai dû quitter ma femme, qui est resté à la maison mise « sens dessus dessous », avec nos deux enfants âgés de 6 mois et 2 ans. Après quelques heures au poste de police de ma ville (Gasteiz), on m’a emmenée, avec un masque, en voiture à Madrid. Avant d’aller devant le juge, nous étions en cellule d’isolement sans savoir qui avait été arrêté ni pourquoi.
Beatriz Morales Bastos : La torture est-elle couramment pratiquée contre des prisonniers politiques en Espagne ?
Ruben Sanchez : J’en suis certain pour plusieurs raisons. Tout d’abord, j’ai des amis et amies qui ont été torturés, et pour moi cela est suffisant. En tout cas, dans l’histoire de l’État espagnol il n’y a pas eu une seule année sans torture, ni sous Franco, ni au cours des 30 dernières années de « démocratie à l’espagnole ». Cela a été démontré par le Rapporteur spécial sur la torture de l’ONU, Amnesty International et d’autres organisations de droits humains.
Récemment, le groupe « Mémoire du Pays basque » (« euskal memoria ») a fait et publié un recensement des données de la répression de l’État espagnol contre le peuple basque. Dans la période allant de 1959 (année de naissance de l’ETA) à 2009, il y a eu 465 morts consécutives à des actions de la police et/ou des forces paramilitaires, 50 000 personnes ont été arrêtées pour des raisons politiques, dont 10 000 ont dénoncé la torture et 7 000 ont été emprisonnées. En outre, 2 500 sont parties en exil. Le sud du Pays basque a seulement 2,7 millions d’habitants, de sorte que vous pouvez extrapoler ces chiffres à une population comme celle de la France, par exemple, et ça donnerait plus d’un million de prisonniers politiques, et presque 250 000 personnes torturées. Jon Anza, la dernière personne tuée (en France), dans des circonstances plus que « bizarres », avait disparu en 2009.
Beatriz Morales Bastos : Comment peut-on expliquer qu’un pays comme l’Espagne, membre de l’Union européenne, agisse de la sorte ?
Ruben Sanchez : Un jour, j’ai vu une vidéo du groupe Izquierda Castellana dans laquelle un membre de cette organisation expliquait à un journaliste étranger combien l’État espagnol est « curieux ». Pourriez-vous imaginer que Hitler ne soit pas mort en 1945 et qu’il ait continué à régner en Allemagne jusqu’à sa mort dans son lit en 1975, et qu’avant de mourir il ait conçu une transition vers la démocratie (avec un roi désigné par lui même) ? Comme Franco lui-même l’a déclaré avant sa mort, il a tout laissé « bien verrouillé ». On n’a jamais demandé de rendre des comptes de rien, ni à la police ni à l’armée ou à la magistrature, ou à la classe politique responsable ; aucun fasciste espagnol n’a eu son Nuremberg. Tous sont passés, du jour au lendemain, de fascistes à démocrates. À l’école espagnole, on vous expliquera que la guerre civile espagnole a été une guerre « entre frères », entre gauche et droite, et non la conséquence d’un coup d’État militaire fasciste contre un gouvernement démocratique ; on ne vous expliquera pas que, par exemple, une fois la guerre finie, il y a eu près de 300 000 personnes dans les prisons et les camps de concentration. L’État espagnol n’a pas encore fait son mea culpa au sujet du fascisme, entre autres raisons parce que le PSOE et le PCE ont obtenu leur légalisation en échange de « tourner la page » et de ne jamais demander aux fascistes de rendre des comptes. Cela a été le prix d’une « transition espagnole » tellement « modèle », que nous préférons l’appeler « trahison démocratique ».
Beatriz Morales Bastos : Quelle issue voyez-vous à ce long conflit entre le peuple basque et l’État espagnol ? Pensez-vous que la paix soit possible dans un futur proche ?
Ruben Sanchez : Nous savons que, du côté de l’ETA, il y a une trêve unilatérale et l’engagement de ne pas mener des opérations offensives ; nous savons aussi que, après un long processus de discussion, la grande majorité des bases de la gauche indépendantiste basque a décidé de poursuivre la lutte par des moyens exclusivement politiques, en renonçant à l’usage de la violence à des fins politiques.
Pour l’instant, de l’autre côté, nous voyons que l’État espagnol n’a pas renoncé à la « victoire militaire » et poursuit activement sa politique sur tous les fronts : la lutte contre l’ETA, la lutte contre ce que le juge Garzon a appelé « l’environnement » ETA, comme l’opération contre Askapena, ou contre EKIN (groupe de coordination entre les différentes organisations politiques et les mouvements populaires) et contre la SEGI (l’organisation des jeunes socialiste et indépendantistes), dont plus de 65 jeunes ont été arrêtés et emprisonnés depuis 2009 ; la torture, les punitions supplémentaires pour les prisonniers basques : en violation de leurs propres lois, il y a plus de 725 prisonniers dispersés dans les prisons des États espagnol et français, il y a des prisonniers gravement malades en prison, les lois sont modifiées afin d’élargir les peines de prison déjà accomplies (il ya des prisonniers qui ont fait 30 ans de prison), on applique la peine de l’isolement (comme à l’avocate Arantza Zulueta qui se trouve en isolement total depuis qu’elle a été arrêtée en mars ; la semaine dernière elle a entamé une grève de la faim pour protester contre la situation) et les humiliations infligées aux proches des prisonniers…
Beatriz Morales Bastos : Vous ne semblez pas très optimiste ?!
Ruben Sanchez : Eh bien, je viens de décrire la situation telle qu’elle est aujourd’hui, mais je suis sûr que, demain, il y aura plus de lumière, en particulier parce que je pense que, dans notre peuple, la majorité de la population souhaite résoudre le conflit de façon juste et démocratique, et cette majorité va faire pression jour après jour pour résoudre le conflit.
Beatriz Morales Bastos : Quels sont vos espoirs pour le Pays basque ?
Ruben Sanchez : À moyen terme, j’imagine un Pays basque dont les États espagnol et français reconnaissent l’existence, c’est à dire qu’ils reconnaissent qu’il y a un peuple en Europe, le peuple basque, qui a le droit de déterminer librement son avenir. Un peuple où des sensibilités historiquement antagonistes règlent leurs différends par des voies exclusivement politiques, et sur un pied d’égalité ; un peuple dans lequel les blessures de toutes les victimes du conflit sont refermées, et où il n’y a ni gagnants ni perdants.
À long terme, j’espère que le projet politique auquel je crois, un État basque qui marche vers le socialisme, gagnera des partisans et que, petit à petit, nous apporterons notre pierre à l’édifice du reste des peuples du monde, avant que le capitalisme ait fini de détruire la planète et les peuples qui l’habitent.
Beatriz Morales Bastos : Avez-vous, en conclusion, un message que vous souhaiteriez transmettre ?
Ruben Sanchez : Je voudrais envoyer un message à tous ceux qui vont lire cet entretien et doutent de notre sincérité ; aux personnes qui croient qu’il faut construire ce monde à partir d’autres valeurs que le capitalisme sauvage. Pendant les 50 dernières années, il y a eu au Pays basque des générations et générations de militants combattant, non seulement pour le droit à l’autodétermination, mais aussi pour le socialisme. Leur combat, notre combat, est réel, et il est juste non seulement pour notre survie en tant que peuple, mais aussi pour la lutte de l’humanité elle-même contre l’égoïsme, contre la destruction et l’anéantissement qu’implique le capitalisme. Nous sommes amis, nous sommes camarades.
Beatriz Morales Bastos : Je vous remercie.
Source : Beatriz Morales Bastos.
Sur le même sujet, voir également : « Encore des arrestations, encore des prisonniers politiques au Pays Basque », par John Brown, silviacattori.net, 18 octobre 2010.
[1] Pour plus d’informations sur ces groupes, voir :
http://www.askapena.org/?q=en/category/7/48
et
http://www.delicious.com/askapena/EHL.
[2] Voir, par exemple, un article paru dans le journal El Pais, le 1er Juin 2008, « Las « embajadas » de ETA ». Voir également : « El País, el tonto y el lápiz », et « Denuncia de las amenazas de muerte recibidas por un brigadista de Askapena ».
[3] L’Audience nationale espagnole est une institution judiciaire nationale (cour d’assises), dont le siège est à Madrid, et qui juge presque exclusivement les cas basques.
Le texte est plutôt très interessant et y a pas grand chose à redire mais par contre il a vraiment été diffusé sur une tonne de sites de merdes… Je serai pour le valider mais en même temps ça m’emmerde de voir ces sites apparaitre sur un article d’indy…
de quels sites de merde parles-tu ?
“rebelion, mondialisation.ca, Michel Collon, Silvia Cattori (fr/cast)”
Ces sites là, proches de l’extrême droite.