Il explique : « La connaissance de ce qui nous opprime est une arme. » c’est là sans doute la meilleure façon de résumer l’impressionnant travail réalisé par le chercheur et militant révolutionnaire Mathieu Rigouste. Lui n’a de cesse de dévoiler le fonctionnement de l’appareil répressif, de démonter ses sombres mécanismes et de révéler ses néfastes ambitions. Il documente surtout une mutation à l’œuvre, qui voit l’appareil militaro-policier et ses sous-traitants assoir peu à peu leur – nationale autant que mondiale – domination. Le XXIe siècle sera répressif, ou ne sera pas.

En L’Ennemi Intérieur [1], ouvrage aussi fouillé que précieux, Mathieu Rigouste retraçait la naissance de la très française Doctrine de la guerre révolutionnaire (en octobre 2009, l’auteur répondait (déjà) aux question d’A11 ; l’entretien est ici). Il démontrait comment celle-ci – née des guerres coloniales – est peu à peu devenue mode de gouvernement. Décrivait méthodiquement un mécanisme à l’œuvre depuis le mitan des années 60, désignation d’un bouc émissaire pour renforcer le contrôle social, légitimer la coercition et justifier la croissance de l’appareil répressif. Et expliquait la circulation mondiale de la doctrine, entre vente de savoirs-faire et échange de bons procédés.

Une réflexion poursuivie – et élargie – aujourd’hui, plus d’un an après la parution de L’Ennemi Intérieur. Mathieu Rigouste travaille désormais sur l’industrie de la répression, devenue fer de lance d’un nouveau capitalisme. Il en met à jour les enjeux, nationaux et internationaux, et il décrit les intérêts en jeu, les forces en présence. Il analyse, enfin, l’inexorable montée en puissance de ceux qui alimentent et contrôlent cette industrie militaro-policière – qu’il s’agisse de moyens ou de tactiques. Sur la carte de ce nouveau capitalisme, Villiers-le-Bel est un point d’étape, parmi d’innombrables autres. S’il s’agissait de mater une révolte – sur le terrain puis dans les prétoires [2] – , il fallait aussi afficher l’efficacité des techniques françaises de la répression. Villiers-le-Bel était (est toujours) « une vitrine, au sens commercial du terme », explique Mathieu Rigouste. Le mieux est de lui laisser la parole.

Qu’est-ce qui se joue à Villiers-le-Bel ?

La « bataille de Villiers-le-Bel » s’inscrit dans la campagne intérieure engagée en 2005. Comme dans toutes les opérations intérieures, le pouvoir y expérimente des techniques, des matériels, des projections de force. Ce laboratoire se déploie sur deux plans. Sur le plan judiciaire, on a parlé de « procès », mais ce langage relève de l’action psychologique, ce ne sont pas des procès qui ont été menés dans le cadre de cette bataille mais une phase de « stabilisation » comme pour une opération extérieure. La communication médiatico-judiciaire a été axée sur la construction d’une figure du barbare à soumettre pour sauver la civilisation. Sur le plan du maintien de l’ordre – de la coercition physique – Villiers a notamment permis d’expérimenter les UTeQ, les Unités territoriales de quartier et la « sécurisation inter-armes » (mélanges d’unités : BAC, CRS, gendarmerie mobile, Raid, GIGN…).

Le « procès » d’abord… Tous les syndicats de flics se sont mobilisés sur le sujet, ils demandaient vengeance, des peines absolues pour les inculpés de violence envers des policiers et, pour la fraction la plus radicalisée de la police, le droit de « se défendre », c’est-à-dire de tirer à balles réelles. Le contrôle des quartiers constitue le lieu d’une transformation de la police. Comme ce qui s’était passé pendant la guerre d’Algérie, lorsque dotés des pouvoirs spéciaux, les militaires employant la contre-insurrection ont commencé à militariser la société. La campagne pour la pacification des quartiers populaires, c’est la montée en puissance de la Police comme gouvernement.

Avec les nouvelles doctrines de maintien de l’ordre qui ont été expérimentées à Villiers-le-Bel, on a assisté à quelque chose de différent. Ça s’est exprimé notamment par la radicalisation de certaines couches policières. On l’a vu, d’une certaine façon, pendant la campagne organisée en soutien aux insurgés, avant le procès de Villiers-le-Bel : à Rouen, les syndicats de policiers ont ainsi protesté contre la tenue d’un concert, arguant qu’il s’agissait d’incitation à l’émeute et annonçant leur volonté de l’empêcher [3]. Ils ne l’ont finalement pas fait, et le concert de soutien a eu lieu. Le prince a tenu ses Molosses.

Concernant le « second procès », les peines sont très lourdes, parce que la vraie question était d’empêcher qu’on puisse rendre les coups et qu’il fallait sacrifier à la police une proie pour calmer sa fureur, au mépris même de l’apparence d’impartialité. Et c’est là encore qu’une ligne de rupture se dessine, le long de celle-ci, des oppriméEs se reconnaissent comme faisant face à une même machine de coercition, là se reconstitue quelque chose comme la conscience d’appartenir au peuple face à ce qui contrôle et réprime. Il s’agissait en outre de prouver une nouvelle fois au monde l’excellence de la répression à la française. Et la phase de stabilisation judiciaire fait partie de cet arsenal.

C’est un objectif réellement affiché ?

Oui. Dans les revues et les instituts de sécurité et de défense, on explique clairement les retours d’expérience effectués et à effectuer depuis 2005 et 2007. On décrit les méthodes testées à Villiers-le-Bel et les enjeux de leur dépassement : notamment l’expérimentation des UTeQ et la coopération gendarmerie-police, ainsi que la nécessité « d’améliorer » les rapports avec les médias et la justice pour assurer une « communication de crise optimale ».

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http://www.article11.info/spip/spip.php?article863