Thèses sur la grève des chômeurs et précaires
Catégorie : Global
Thèmes : EcologieExclusion/précarité/chômageResistances
Plaidoyer pour une coordination politique des gestes de désaffection envers l’économie
I Travail vivant, chômeurs et précaires
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La grève des chômeurs et précaires n’est autre qu’un processus politique d’émancipation du travail vivant, la construction d’une rupture politique entre coopération et commandement capitaliste. Le travail vivant est l’activité créatrice de richesses, de liens, de commun en tant que s’inscrivant à même la vie, elle configure les formes de vie des hommes. Le travail vivant vérifie l’égalité des êtres parlants, attestée par le caractère immédiatement commun, transindividuel de l’intelligence. Cependant, le travail vivant ne s’actualise jamais que dans des formes singulières et instituées d’organisation. Ces formes ont pour fonction de solliciter le travail vivant dans le cadre d’une répartition instituée des pouvoirs et de la richesse. La sollicitation va donc de pair avec un assujettissement qui contredit, contrarie l’égalité des intelligences en la contraignant à s’exercer dans le cadre et au service de l’inégalité instituée socialement. L’émancipation, l’autonomie du travail vivant, c’est la politique elle-même, politique des classes populaires ou encore politique communiste s’opposant à la confiscation institutionnelle de la politique par l’oligarchie. Cette confiscation s’opère aujourd’hui sous la forme d’une subordination de la politique à l’économie cherchant à s’imposer comme réalité universelle, horizon historique nécessaire et clé d’interprétation ultime des rapports humains. L’économie comme politique du capital peut être envisagée comme le gouvernement des conduites qui vise à assujettir le travail vivant en lui assignant la fonction de force productive.
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Une force productive est à la fois sujet du travail produisant de la survaleur et objet, capital humain produit par l’ensemble des processus productifs sollicitant, consommant, reproduisant le travail vivant. C’est en désarticulant le processus productif que le sujet du travail peut se construire comme sujet politique. L’autonomie du travail vivant est la construction politique de ce démantèlement envisagé comme coopération égalitaire, en conflit ouvert avec ce qui n’est pas elle. Une telle coopération, inséparablement productrice de subsistance matérielle, de liens et de communisme signifie l’affrontement avec toutes les institutions chargées de ramener les individus déviants dans l’ordre de la productivité sociale, où tous doivent concourir par leur participation à l’économie au dégagement de survaleur.
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L’économie vise à installer comme une évidence, à naturaliser la séparation entre la vie, qui serait spontanément improductive, et le travail productif, et à œuvrer à leur fausse réconciliation sous la forme d’une intégration tendancielle de tous les moments de la vie au circuit de valorisation. L’exploitation du travail vivant implique donc sa sollicitation par delà le temps de travail, temps de vie nécessaire à son développement et à son entretien, tout en maintenant la distinction entre temps de travail et temps libre. Cette distinction est fondamentale sous le capitalisme, parce que ce dernier entretient le pouvoir d’une classe de déterminer ce qui est travail productif (et rétribué comme tel) et ce qui ne l’est pas. Ce pouvoir discriminant permet également de mesurer et d’agir sur cette productivité, sur la base des procès de travail arraisonnés à un temps de travail contractualisé, mais s’incorporant les richesses créées par les territoires productifs officiellement laissés en dehors. Autrement dit, cette distinction permet de définir les formes admises d’activité et de gouverner les processus qui actualisent cette activité, dans l’emploi comme en dehors.
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Le capitalisme, pour assurer son développement, ne peut que vouloir l’extension indéfinie de son emprise sur le travail vivant, c’est à dire chercher à faire entrer tout ce qu’il rejette d’abord comme non productif, dans le circuit de valorisation. Le travail hors temps d’emploi, s’il est également exploité par des capitalistes particuliers, l’est globalement par l’ensemble des institutions qui ont pour fonction de contrôler la répartition des revenus et le développement, la formation, l’entretien des forces productives. Les chômeurs, les intermittents, les intérimaires, les étudiants, tous ceux pour qui l’emploi salarié n’est pas le principal lieu de captation et d’assujettissement du travail vivant doivent faire preuve devant ces institutions, d’une discipline productive analogue à celle exigée du salarié dans l’entreprise. Une grève des chômeurs et précaires, plus qu’une grève contre un patron particulier, appareil d’Etat ou direction d’entreprise, est donc une grève contre la société envisagée comme capitaliste collectif, ou encore, organisation capitaliste du travail. Celle-ci se caractérise par un travail permanent d’harmonisation et de fluidification des processus productifs, construisant une solution de continuité par la mise en réseau de ces processus à tous les moments de la vie des sujets, quels que soient les accidents que ceux-ci peuvent être amenés à rencontrer ou à provoquer. Il s’agit au contraire pour le travail vivant de s’affirmer comme une force politique réfractaire à l’intégration institutionnelle, de se nier comme force productive et moteur de développement, autrement dit : de construire des formes d’auto-organisation autonomes aptes à désorganiser le maillage des réseaux productifs et des adhésions subjectives à l’économie.
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La grève des chômeurs et précaires n’est, au sens courant, que partiellement une grève, et que partiellement le fait de chômeurs et précaires en tant qu’ils relèveraient de catégorisations sociologiques et statistiques. Elle est la construction, à partir de gestes d’interruption et de blocage de l’activité économique, de tout ce que l’usage habituel du droit de grève interdit trop souvent: la mise en cause du lien de subordination en tant que tel, le rejet de la dette (l’argent reçu doit toujours être payé en retour, qu’il s’agisse des endettés, des salariés ou des bénéficiaires d’allocations) comme mode de gouvernement, la réappropriation d’une intelligence collective des gestes et techniques ajustés au processus d’émancipation. Elle indique donc le possible que la grève « traditionnelle » recèle toujours et actualise quand elle excède l’exercice ritualisé des « journées d’action » syndicales. Mais elle est aussi, en partant de l’absence d’emploi stable et de garantie pour l’avenir parmi les classes populaires, la mise au jour de la menace perpétuelle qui s’exerce sur les conditions de vie, et même de simple survie, de l’ensemble des exploités. Elle est donc une proposition de lutte adressée à l’ensemble des classes subalternes, sur fond de désarticulation entre appartenance à une catégorie socio-professionnelle et subjectivation politique. Le sentiment de déclassement, sentiment de désappartenance à une classe organique, provoqué par la disparition, non des ouvriers, mais du sujet historique « classe ouvrière », doit aujourd’hui être assumé comme motif d’un travail de liaison et construit comme effet d’une transversalité politique des luttes, capable de construire une perspective commune aux segments disjoints qui constituent les classes subalternes. Lesquelles luttes peuvent être dites de classe à exposer leur commune condition de précarité, qui ne peut être véritablement assumée qu’à parier sur la fragilité de l’ordre établi et à choisir la précarité politique comme rupture dans la solution de continuité productive à laquelle demeure homogène la seule précarité économique.
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Le chômeur et le précaire sont, parmi les classes populaires, les figures productives correspondantes à l’actuelle crise systémique du capitalisme. Celle-ci présente au moins deux aspects, relevant chacun de tensions contradictoires. En premier lieu, il est nécessaire pour le capital de briser les rigidités du code du travail, des statuts, des collectifs de travail rompus aux luttes revendicatives, de ce qui s’apparente à un emploi, une condition, un revenu relativement stables, de tout ce qui constitue socialement en face de lui le travailleur, comme autant de freins à l’extorsion de survaleur. Mais il a également besoin d’exercer un gouvernement sur le travail vivant comprenant des formes d’émulation, impliquant notamment de s’attacher une consommation de masse qui assure la pérennité de son développement. La crise des subprimes marque l’échec patent de l’articulation de ces deux exigences, en tant que tentative de généraliser l’endettement populaire pour s’attacher cette consommation de masse (en l’occurrence, l’accès de masse à la propriété du logement) et contourner la nécessité d’augmenter les revenus des classes subalternes. L’autre aspect est celui de la nécessaire reconversion « écologique » de l’économie qui ne peut s’accomplir sans une remise en cause des modalités de l’exploitation, de l’échange et du rapport au vivant constitutives de l’existence même de l’économie. Dans ces conditions, aucune résolution, aucun « dépassement » n’est possible. Depuis plus de trente ans, les luttes contre les restructurations nous ont appris que la « crise » est devenue la forme structurelle du capital et qu’elle constitue le mode d’existence normal de l’économie mondiale. Ainsi le capitalisme n’est il absolument pas voué à s’effondrer, hors de l’action délibérée des classes populaires cherchant à porter les contradictions jusqu’à leur point de rupture. Chômeurs et précaires constituent des figures d’une incomplète et insatisfaisante subjectivation par le salariat, entendu comme paradigme du travail industriel capitaliste entré en crise profonde.
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Le chômeur incarne la crise du salariat comme inadaptation structurelle, et vouée à s’aggraver, entre la puissance coopératrice et organisatrice du travail vivant et les formes de gouvernement imposées à cette puissance. Le capital exploite l’activité des chômeurs effectué hors contrat de travail (formation, production de biens-connaissances, tissage de réseaux, soins affectifs…) en empêchant que ce travail soit pleinement reconnu, et donc rétribué comme tel. Par là, il renforce en partie sa maîtrise sur l’activité, en sélectionnant ce qui mérite d’être reconnu comme du travail. Mais, de ce fait, s’ouvre inévitablement un espace à l’autonomie, à l’auto-organisation du travail, susceptible de mettre à distance ses injonctions disciplinaires. En effet, le chômeur est étymologiquement celui qui s’adonne au caumare, au repos lorsqu’il fait chaud ; c’est à dire, celui qui sera toujours suspecté de vouloir échapper à ces injonctions. Suspicion qui pour être fonctionnelle à une tentative de mise au pas généralisée de l’ensemble des chômeurs, n’en traduit pas moins une frayeur bien compréhensible devant l’ampleur de la désaffection, particulièrement sensible dans la jeunesse, à l’égard du salariat subalterne.
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Le précaire incarne la crise de l’économie conçue comme hypothèse de subjectivation et modèle de civilisation. Le précaire est celui dont la subjectivation économique, faute de revenu assuré et de statuts reconnus et garantis, et comme telle structurellement insatisfaisante, s’accompagne d’une revendication d’accomplissement de soi qui, bien que moteur de la valorisation, appelle pour être effective un au-delà des rapports d’exploitation. Le précaire devient également une figure de l’ensemble des exploités soumis aux logiques prévalentes d’évaluation individualisée et de promotion de la concurrence comme principal stimulant collectif du travail. Il est une figure de la volatilité de la reconnaissance sociale accordée temporairement pour la maîtrise d’une compétence. Le précaire devient enfin une figure de l’espèce confrontée aux bouleversements climatiques et écologiques entraînés par le déploiement mondial du capitalisme industriel, bouleversements qui mettent en jeu les conditions de possibilité de sa survie.
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Ce qui fonde un mouvement de chômeurs et précaires, ce n’est ni l’affirmation de la valeur-travail, ni le refus du travail en soi, mais une affirmation politique du travail vivant, d’après laquelle les gestes politiques sont portés depuis l’affirmation d’une coopération, d’une communauté déjà là et en devenir, en prise et aux prises avec les rapports d’exploitation et de domination. Réciproquement, la coopération est alors construite depuis une visée politique élaborée au cours d’un processus de liaison des expériences et luttes particulières. La visée étant bien d’exacerber l’inadéquation entre travail vivant et ce qui le gouverne, il ne peut s’agir pour un tel mouvement de se faire porteur de la revendication d’un emploi pour tous ceux qu’on choisirait de définir comme des « privés d’emploi » plutôt que comme des chômeurs et précaires. Une telle revendication, outre qu’elle propose de répondre au problème par ce qui fait problème, exacerbe l’aura de sacralité dont se pare le salariat pour conjurer sa crise profonde. Il s’agit plutôt de prendre en compte la consistance effective du chômage, qui est devenue une forme à part entière, et non une parenthèse, de l’exploitation.
II L’avènement du travail social
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La non-reconnaissance du travail hors temps d’emploi, travail indispensable à l’accès à l’emploi mais aussi à la production de connaissances, au maintien et à l’entretien du lien social, point de vue qui prévalait dans l’approche solidariste et assurantielle du chômage conjoncturel, donne lieu à une reconnaissance ambiguë d’une telle activité avec l’époque du chômage de masse structurel: puisqu’il est incontestable que le chômeur doit travailler à son employabilité, alors le « bon chômeur » doit être rémunéré et le « mauvais chômeur » sanctionné, voire licencié de son droit à rémunération. L’indemnisation chômage classique, sans pour autant disparaître, perd du terrain face à ce que l’approche solidariste nomme minima sociaux, mais qu’on doit de plus en plus analyser comme un salaire social. Le RSA accélère cette évolution : les chômeurs et précaires tendent à être non plus secourus au titre d’un principe de solidarité, mais rétribués par la société au titre d’un travail social. Les travailleurs pauvres ont désormais un statut et un revenu « mixte », salarié et social.
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Le travail social, à la différence du travail salarié, n’est pas une activité essentiellement fondée sur la vente d’une force de travail sur le marché, sur l’établissement d’un contrat de travail, sur la rétribution d’un certain nombre d’heures de travail mises au service d’un employeur. C’est le travail illimité qui consiste à entretenir une disponibilité subjective permanente à l’injonction de valoriser son « capital humain » dans la perspective de vendre sa force de travail au meilleur prix sur le marché de l’emploi, et de coopérer pour cela avec les institutions. L’accumulation d’un tel capital exige paradoxalement la mise à distance des injonctions disciplinaires du salariat : le développement de soi comme force productive implique une disponibilité à la mobilisation de savoirs, d’expériences et de compétences susceptibles d’entrer dans la composition de nouveaux agencements productifs « personnalisés ». Travail social comme travail de production, mais également de reproduction de soi : l’alimentation, le soin, la santé, les loisirs, la culture que l’on se prodigue par le biais du marché (ou des espaces de gratuité qui dépendent de lui) déterminent une consommation productive qui entretient un tel capital, dégage de la valeur, confère leur stabilité aux rapports sociaux et aux médiations institutionnelles. La consommation productive peut être aujourd’hui définie comme la sollicitation et la captation par le capital des désirs, aspirations et représentations des consommateurs dans la production, comme leur participation effective à l’innovation dans la production.
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Le travail social est l’activité productive des sujets de l’économie accomplie globalement au bénéfice de la société entendue comme capitaliste collectif, organisation socialisée du travail capitaliste. Ce n’est pas du tout une activité « de solidarité », mais un travail de tissage et d’entretien du lien social comme lien économique, autrement dit, de mise en conformité de soi avec les attentes qui nous sont signifiées par les institutions : il s’agit de se comporter comme des professionnels en formation permanente et des consommateurs éclairés à chacun des moments de notre vie. La corporation des dits « travailleurs sociaux » a pour fonction de conduire les plus pauvres et précaires vers l’exercice autonome du travail social.
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Le travail social est l’assujettissement social du travail vivant, la sollicitation de l’intelligence coopératrice par l’injonction sociale à se produire soi-même en tant que puissance productive. Travail exploité par l’ensemble de la société, rendant indistinct la simple vie et l’exigence productive, il permet la participation de tous à l’accumulation du capital. Travail subordonné aux institutions, il coopère à leur fonction de modélisation des liens et de nécessaire médiation dans la production du commun.
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Le travail social n’est pas l’antichambre du « vrai » travail qui serait l’emploi salarié ; il est bien plutôt la relève du salariat comme norme des rapports d’exploitation, le modèle à venir de l’activité rémunérée de subsistance dont le salarisation directe ne serait plus qu’une forme parmi d’autres. Néanmoins, pour exercer un pouvoir sur le travail vivant, il convient de maintenir l’ambiguïté quant à la reconnaissance d’un tel travail social, qui doit être gouverné par la perspective de trouver preneur sur le marché du travail ou des biens, et qui ne doit donc pas échapper au contrôle par la dette, matérialisée par le caractère à la fois « minimal » et conditionné du salaire social. Il s’agit d’installer parmi les chômeurs et précaires l’évidence que, s’ils travaillent sans relâche à leur employabilité, ils travailleront toujours moins que le « vrai travailleur », et à ce titre ne seront jamais fondés ni à revendiquer autant que lui, ni à revendiquer du tout. Tel est le corollaire de l’autonomie consentie par le pouvoir: il convient de maintenir le doute, de la part des institutions comme de la part des chômeurs et précaires eux-mêmes, quant à l’effectivité et la valeur d’un tel travail. L’exercice de ce travail social n’est pourtant pas la preuve de notre incapacité à nous hisser au « vrai travail ». Il s’agit du travail qui est réellement attendu de nous, qui est réellement une forme hégémonique du travail capitaliste ; et c’est justement parce qu’il nous voue à l’inconsistance d’une tension vers la forme achevée de l’emploi, parce qu’il nous éloigne des possibilités de nous émanciper par la coopération égalitaire, qu’il y a un enjeu politique primordial à le refuser. Le travail social constitue l’emploi comme l’horizon déceptif sur fond de quoi nous élaborons nos activités, nous obligeant à nous détourner des virtualités politiques ouvertes par la vacance du temps non salarié.
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Dire que le salariat classique est en train de perdre son hégémonie au profit du salariat social ne veut pas dire qu’il est en voie de disparition, mais plutôt qu’il a perdu son monopole de l’activité dégageant de la valeur. Il est promis à jouer une fonction essentiellement disciplinaire au sein d’un travail social qui tend à reconfigurer le salariat lui-même (développement de l’emploi discontinu, illimitation croissante du temps de travail, rétribution des prestations de service et plus seulement du temps de travail…) Fonction disciplinaire qui consiste à attacher une force de travail social à des lieux, des rythmes, des rapports hiérarchiques capables d’exercer un contrôle accru sur elle, de réduire une autonomie qui, tout en étant préservée pour être réellement productive, ne doit jamais pouvoir s’émanciper de la tutelle institutionnelle.
III L’auto-entrepreneur
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Le travail social est le lieu de déploiement d’une subjectivité productive hybride, empruntant aux valeurs historiquement rétives aux aspects les plus conservateurs du salariat : autonomie, créativité, gratuité, mobilité, épanouissement de soi, mais qui a aussi subsumé, à même la vie, le monde de l’entreprise et ses diverses injonctions : productivité, compétitivité, adaptabilité, accumulation de capital-compétences. La figure qui l’incarne est celle de l’auto-entrepreneur. Une telle figure exige néanmoins pour se développer une extension du salaire social, et donc la préservation d’une importante marge d’autonomie à l’égard du salariat. Elle n’est donc pas unilatéralement la transformation des exploités en entrepreneurs individuels, mais elle est aussi l’affaiblissement du modèle de l’entreprise et des structures hiérarchiques dans les rapports de travail.
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Il y a pour la société urgence à préserver d’une privatisation favorable aux seuls intérêts des grandes entreprises les « externalités positives » induites par les mutations technologiques du capitalisme. Celles-ci peuvent être définies comme le devenir-commun, le devenir-gratuit d’un grand nombre de « biens-connaissances » sous l’effet de l’appropriation de masse des NTIC (nouvelles technologies de l’information et de la communication, notamment ordinateur, Internet, télévision et téléphone portable) et le développement corrélatif d’une « intellectualité diffuse » parmi les sujets productifs contemporains. Il importe à une société capitaliste soucieuse de sa pérennité de soutenir les activités économiques autonomes, qui s’appuient largement sur ces externalités et contribuent à les développer, par le tissage de réseaux sociaux productifs par delà l’entreprise et le marché. En effet, l’auto-entrepreneur a pour fonction économique d’opérer la rénovation des modèles productifs à la base à partir de la désaffection des modèles productifs hiérarchisés traditionnels, et de convertir le refus du travail industriel taylorisé en une positivité de formes de développement alternatif (autonome, localisé, coopératif) des forces productives.
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La catégorie économique d’auto-entrepreneur, récemment officialisée pour désigner une catégorie particulière d’entrepreneur individuel en free lance dont il s’agit de favoriser l’émergence par des exonérations de charges, pour inciter les chômeurs et précaires à « sortir de l’assistanat » et à « créer leur propre activité », est la partie visible d’une figure beaucoup plus diffuse. L’auto-entreprenariat ne s’oppose pas à une activité de coopération, qu’il exige au contraire. Il dégage la coopération de la forme-entreprise pour lui substituer une coopération sociale où tous les sujets de l’économie interagissent. Seulement, il ne s’agit pas d’une coopération sociale telle qu’elle correspondrait au seul secteur de l’« économie sociale », ou encore d’une coopération politique égalitaire, mais de l’extension du modèle entrepreneurial aux ex-salariés, précaires et chômeurs, invités à s’auto-exploiter en même temps qu’à être exploités par la société entendue comme capitaliste collectif. Coopération sociale donc, en tant qu’elle postule un relatif nivellement entre des sujets économiques qui ne s’exploitent pas entre eux, du moins sous la forme unilatérale du salariat classique, c’est-à-dire sous la forme de l’échange travail contre salaire. Coopération sociale, ou encore co-exploitation réciproque –qui n’exclut pas bien entendu les rapports de domination : l’auto-entrepreneur reste le plus souvent un précaire, un agent économique subalterne qui, à ce titre, demeure l’objet d’un étroit contrôle institutionnel. La figure de l’auto-entrepreneur, loin d’épargner le monde salarial, s’insinue sous la forme du travailleur autonome rémunéré à la prestation de service ou au projet, aussi réfractaire à la tradition des luttes revendicatives qu’au rapport de subordination hiérarchique.
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L’avènement de l’auto-entrepreneur est l’effet de processus contradictoires. D’abord, il est l’effet du consensus qui s’est imposé depuis le début des années 80 autour du motif de l’entreprise comme espace de désactivation des conflits politiques, consensus rendu possible par les défaites ouvrières, l’éloignement de la perspective révolutionnaire, l’effondrement du « socialisme réel » mais aussi la sollicitation accrue de la coopération, de la polyvalence, de l’initiative ouvrière dans les processus de production. Un tel consensus a permis, et continue de permettre l’offensive néolibérale de privatisation et d’ouverture à la concurrence des ex-services publics. Mais il est aussi l’effet d’une pénétration massive des critiques faites aux rapports hiérarchiques ayant cours dans les institutions, et notamment les entreprises. L’auto-entrepreneur est ainsi celui qui n’accepte pas d’autre autorité que celle de la nécessité économique «objective » et l’exigence de vivre de son activité. Il faut également mentionner, dans le même ordre d’idée, l’incidence de la critique de la séparation entre vie et travail : l’auto-entrepreneur est bien celui qui ne cesse de travailler, selon des règles qu’il invente lui-même, travail qui est travail sur soi, production de soi avant d’être production d’objets particuliers. Enfin, l’auto-entrepreneur incarne, si ce n’est la réalité, du moins l’aspiration à l’épanouissement de soi par le travail. En cela, il est hanté par deux fantômes historiques inconciliables, deux figures de l’ « immersion » dans le travail : le poujadisme et son culte du labeur ; la conception socialiste « utopique » du travail comme attraction passionnée.
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L’auto-entrepreneur, figure émergente, est pris dans la même tension que l’économie qui est son environnement naturel. La défaite du socialisme, en même temps qu’elle a découragé les classes populaires, a décomplexé l’ensemble des entrepreneurs d’avoir pour but de dégager du profit. L’auto-entrepreneur n’entend pas plus qu’un autre qu’on lui fasse la morale sur cette question. Mais l’impossibilité de dénier plus longtemps les catastrophes écologiques ramène avec une urgence inévacuable la nécessité d’un compromis éthique dont les entrepreneurs avaient pu se croire libérés. De se faire l’avant-garde de la mutation écologique du capitalisme est ce qui permet la conciliation de ces deux exigences (nul doute que le prototype de l’écologisme dominant aujourd’hui soit auto-entrepreneurial). Mais cette opération ramène l’auto-entrepreneur sous le joug de la société qui est directement intéressée à ce que les activités économiques génèrent des externalités positives, quitte à payer le prix pour se l’attacher, en lui assurant notamment une base de revenu sous forme de salaire social.
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L’auto-entrepreneur, figure incarnant à la fois l’indépendance libérale et la coopération, l’amoralisme en matière d’argent et une disponibilité à des considérations politico-éthiques, la subsomption de la vie dans l’économie et la subsomption de l’économie dans la vie, est une figure à la fois relativement unifiée en tant que sujet économique émergent, et pourtant soumise à de profondes tensions éthiques susceptibles de se traduire en divisions politiques. En effet, une part non négligeable des auto-entrepreneurs compose ce qui s’est trouvé institutionnellement désigné sous le vocable de « tiers-secteur » et dont les sujets économiques répertoriés comme acteurs de l’ « économie sociale et solidaire » ne constituent que la part la plus visible et reconnue. Les racines d’un tel « secteur » remontent au courant coopératif socialiste et à l’autonomie ouvrière pré-marxiste. Un tel « secteur », tantôt complice, tantôt en opposition, a toujours accompagné le mouvement ouvrier et ce qui est aujourd’hui convenu d’appeler « mouvement social ». Les acteurs du tiers-secteur, comme le « mouvement social » cherchent actuellement à construire l’articulation des thématiques « solidaires » et écologistes. Comme lui, ils constituent ce qu’on pourrait nommer des « oasis », c’est à dire des abris face aux dispositifs disciplinaires hiérarchisés, notamment salariaux, abris qui permettent aux sujets de mettre à l’épreuve leur désir d’établir des rapports égalitaires. Mais cette constitution d’oasis, généralement présentée comme le summum de la cohérence et de la radicalité politique en l’absence de mouvement révolutionnaire tangible, est toujours menacée de jouer à son corps défendant un rôle conservateur, de par la distinction qu’elle opère entre alternative (construction) et conflit (destruction) et la supériorité supposée du premier terme. Pour résumer cette impasse, on dira qu’elle tend à confondre autonomie du travail vivant et autonomie du travail social, à confondre politique égalitaire et élaboration de nouveaux territoires productifs. Seule leur disjonction peut conduire les auto-entrepreneurs de la nouvelle gauche « solidaire et écologique » à saisir la nécessité d’une rupture politique avec le paradigme du « développement des forces productives ». Cette disjonction implique le primat accordé, dans la construction politique, à l’élément de conflictualité. La conflictualité est ainsi conçue, non comme le revers promis, mais comme le véritable moteur de la socialisation égalitaire.
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La figure de l’auto-entrepreneur, dont le développement est transversal aux diverses classes, est ce qui doit être exposé comme ce qui contient, et conjure incessamment les possibilités d’émergence d’un mouvement de chômeurs et précaires. L’avènement de l’auto-entrepreneur appelle la radicalisation, par les chômeurs et précaires, du motif de l’autonomie du travail vivant, qui doit être dégagé de sa gangue productive. L’alternative est ici même, dans la lutte politique immédiate. Décrire cette figure d’auto-entrepreneur implique de vouloir la défaire, de vouloir lui substituer la subjectivation politico-éthique des chômeurs et précaires, construisant leur combat à partir des aspirations d’accomplissement mutuel sollicitées en même temps que déçues, contrariées par cette figure.
IV Grève des chômeurs et précaires
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L’explosion actuelle du chômage, la généralisation de la précarité exacerbent les larges brèches opérées dans le salariat par les luttes ouvrières des années 60-70. La raréfaction et la faible attractivité de l’emploi salarié subalterne, couplées au développement ininterrompu des revenus socialisés, ouvrent un espace inédit aux possibilités d’auto-organisation susceptibles d’articuler intervention politique et processus d’accomplissement mutuel, appropriation collective des moyens de subsistance et pratiques coopératives écologistes à la base. Ces possibilités réelles existent à ce point qu’en période de relative stabilité politique, elles constituent l’un des principaux moteurs de l’hégémonie, jusque dans les milieux « radicaux », de la figure de l’auto-entrepreneur, figure qui les sollicite en même temps qu’elle les rabat sur une participation à la rénovation des modèles productifs, sous couvert d’alternative ou d’aspiration à l’« autonomie matérielle ». Tout l’enjeu du mouvement est d’opposer à cette figure d’acquiescement la figure rétive des chômeurs et précaires, figures de l’inadéquation entre aspiration à l’accomplissement et à l’émancipation, et réalité présente des rapports d’exploitation : figures de la résistance au devenir entreprenarial des subjectivités. Ces figures, si elles sont choisies et assumées comme opératrices de subjectivation, donnent à entendre que les sujets qu’elles animent ne sont productifs que malgré eux. A être assumées et non plus déniées, elles constituent potentiellement des figures politiques d’une démobilisation offensive des forces productives.
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Un mouvement de chômeurs et précaires est donc un mouvement d’auto-entrepreneurs subalternes attachés à refuser leur subordination à l’économie, attachés à mettre en cause leur condition. Un tel mouvement n’exclut en rien les salariés puisque « chômeurs et précaires » n’est pas une catégorie sociologique mais une grille de lecture politique, de classe, un possible opérateur de liaison des subjectivités exploitées. Chômeurs, précaires, salariés plus protégés ne peuvent s’unir dans la lutte qu’à travers la coopération effective du travail vivant, c’est-à-dire l’articulation entre blocage de l’économie et pratiques autogestionnaires égalitaires. Ainsi une lutte de salariés peut être en quelque sorte une lutte de « chômeurs et précaires », dès lors qu’elle remet en cause le rapport de subordination économique, le gouvernement exercé sur le travail vivant, tel que l’ont récemment essayé pendant quelques jours de « contrôle ouvrier » les salariés de Philips à Dreux.
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La grève des chômeurs et précaires, en tant que grève du travail social -travail qui traverse le salariat classique, mais qui se confond avec la production de soi comme capital humain- n’étant pas une grève exclusivement dirigée contre un capitaliste particulier, peut prendre une grande diversité de formes. Mais elle a chaque fois à voir avec une volonté de se réapproprier son propre travail vivant, et d’opposer un principe coopératif de réciprocité entre égaux au principe contractuel des droits et devoirs, au principe humanitaire de l’assistance qui engendre une dette, au principe solidariste qui suppose la norme du travail salarié, au principe économique de l’investissement et du retour sur investissement. La grève du travail social est un processus d’émancipation à l’égard du travail social : le travail vivant, coopératif, s’affirme dans le conflit comme immédiatement social, capable de faire société, communauté non communautaire, et d’inventer ses propres formes d’organisation autonome, en se dégageant des médiations institutionnelles qui entretiennent le motif de l’accès à l’emploi, moteur fondamental de la socialisation capitaliste.
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La forme la plus évidente de la grève des chômeurs et précaires est une offensive contre les institutions chargées d’appliquer la conditionnalité du revenu, c’est à dire de le faire dépendre d’un comportement adéquat à leurs exigences, et d’interpréter les règlements en vigueur selon deux impératifs : exiger la transparence, la lisibilité des parcours productifs, et réduire les coûts. Dans ces conditions, la grève peut être diversement déclinée à partir de l’établissement d’un rapport de force dans les espaces institutionnels : grève du PPAE (projet personnalisé d’accès à l’emploi, signé par chômeurs et conseillers) ou du contrat d’insertion, grève des rendez-vous obligatoires, grève du 3949 (plate-forme d’appel téléphonique), grève de la recherche d’emploi, grève du coaching de son employabilité, et plus globalement, grève de la disponibilité à l’emploi, grève de la mobilisation productive. La grève implique, au contraire de promouvoir des formes de protestation isolées qui exposent inutilement les précaires à des mesures de rétorsion, d’effectuer collectivement la mise en œuvre du mot d’ordre « fin des radiations », d’inconditionnaliser dans les faits le revenu en imposant aux institutions la stricte exigence de satisfaction des besoins immédiats des chômeurs et précaires : de l’argent « gratuit », sans contrepartie.
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La situation actuelle des chômeurs en fin de droits ramène avec urgence la question des conséquences de la crise pour les revenus des classes populaires, alors que les mesures gouvernementales pour indemniser le chômage technique dans les entreprises avaient laissé penser que les récents emballements de l’économie justifiaient des entorses aux politiques systématiques de réduction des coûts. Il peut dans cette perspective être pertinent de viser prioritairement Pôle Emploi, institution ayant fusionné activités de placement, de contrôle et d’indemnisation, qui traverse actuellement une crise interne profonde, et qu’il importe de harceler jusqu’à renégociation de la convention d’assurance chômage, abandon des mesures coercitives contre les chômeurs, retour à de strictes missions d’indemnisation et d’information sur les droits et les offres d’emploi. Naturellement, les CAF, CCAS, les agences d’intérim, les boîtes de coaching, comme autant d’espaces coproduits par les chômeurs et précaires au titre du travail social, peuvent être investies avec la même exigence d’interrompre la continuité productive qui nous lie à eux, continuité qui passe par la surveillance et le management qu’ils prétendent exercer sur notre temps et notre attention.
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Un tel conflit peut trouver à s’alimenter dans les pratiques d’autoréductions de supermarchés, dans les transports, les espaces culturels, mais aussi la grève des loyers, des factures, dans tous les refus collectifs de payer. Il est important dans cet esprit de ne pas confondre la vertu d’exemplification de certaines actions avec une supposée exemplarité : les actions constituent des exemples de ce qui peut être fait et non des modèles à suivre, en deçà desquels on serait dans le symbolique. Cela implique également un souci pour le caractère assez aisément réappropriable de ces actions, celles-ci ayant pour enjeu essentiel que des militants traditionnels, comme des non-militants prennent confiance dans leur capacité à participer à une lutte qui ne se tient pas dans les limites de la stricte légalité. Par ailleurs, il convient de saisir que ces luttes à la potentialité déstabilisatrice réelle, élargissent plus qu’elles n’excèdent le cadre des luttes pour s’auto-garantir le revenu et refuser l’assignation au travail social : elles supposent toutes le même refus de payer le prix monétaire et subjectif de l’accès à la satisfaction des besoins.
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Il faut accorder également une importance particulière aux activités coopératives égalitaires mises en œuvre par ceux qui luttent : jardins potagers collectifs, élevage, réseaux d’éducation populaire autonome, artisanat, crèches, recherches médicales alternatives, mais aussi recherches scientifiques et esthétiques en rupture avec les technosciences et l’humanisme qui relègue le vivant à un appendice de l’humain, objet de sa maîtrise et de son exploitation. Toutes ces réalisations, pour être émancipatrices, doivent avoir pour visée de socialiser la politique révolutionnaire, autrement dit de se traduire en pratiques quotidiennes structurantes d’une communauté politique ouverte et indéterminée. Cette exigence d’émancipation, qui ne peut être accomplie que politiquement doit néanmoins être socialisée parmi les classes populaires pour qu’une telle politique dispose de bases à la fois subjectives et objectives. A la socialisation capitaliste du travail vivant doit s’opposer la socialisation communiste d’un faire-société, d’une contre-société à l’œuvre dans et contre la société capitaliste pour éviter le risque auquel s’expose une communauté politique en constitution : celui de se refermer sur un communautaire de « subjectivités radicales », ou encore de « singularités quelconques ».
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Il est d’ailleurs naturel et nécessaire que ces dimensions de la politique et de la socialisation s’articulent concrètement. Par exemple imposer au Pôle Emploi la signature d’un contrat où les « démarches entreprises » sont celles de développer des activités coopératives sans visée d’intégration au marché. Ce qui ne constitue pas pour autant des espaces affranchis de l’économie, mais des espaces de socialisation des présupposés égalitaires qui motivent le conflit. Espaces qui n’ont d’autre raison d’être que de construire les conditions subjectives d’émergence d’un mouvement révolutionnaire. Lequel doit être moins conçu comme mobilisation générale éphémère, suspension ponctuelle de toute activité autre que directement politique, que comme ce qui a pour souci immédiat de démanteler en profondeur et irréversiblement l’économie en complétant les gestes d’interruption des flux économiques et de pouvoir institutionnels par l’auto-organisation du travail coopératif à la base.
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Intervenir sur les lieux de travail salarié est une nécessité pour qu’un mouvement de chômeurs et précaires ne se contredise pas en dégénérant en mouvement corporatiste. Les lieux du travail salarié temporaire et précaire sont bien souvent des espaces encore régis par une organisation tayloriste du travail qui proscrit toute forme d’implication ou d’initiative ouvrière trop poussée, même si elle sollicite des compétences techniques et relationnelles; l’auto-appropriation du travail vivant y passe encore essentiellement par la grève, l’absentéisme, le sabotage. Il y est encore demandé d’abord de la conformité, de l’obéissance, un respect des horaires et des cadences, bien plus que de la créativité. Ces formes de travail salarié constituent des composantes à part entière du travail social sous son versant disciplinaire, puisque leur exercice, souvent temporaire, fait pleinement partie des « démarches » par lesquelles on s’assure la bienveillance des institutions qui nous versent le salaire social. La grève des chômeurs et précaires peut donc également passer par une classique interruption de l’activité économique dans les espaces de travail salarié ; ce qui est en jeu, c’est l’affirmation du conflit de classe, du refus de la communauté éthique, de la communauté d’intérêts entre précaires et managers.
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Un mouvement de chômeurs et précaires ne peut qu’être attentif à toute forme de remise en cause de l’organisation manageriale du travail et de son monopole sur la décision. Il peut s’agir du refus des licenciements et des attaques menées contre les collectifs de travail et leur capacité de résistance, de contestation de la stratégie de développement ou des injonctions à augmenter la productivité… Mais il peut également s’agir d’une volonté de refuser l’injonction à élargir le temps de travail au temps de la vie, qui peut passer par l’imposition de la baisse du temps de travail avec maintien du salaire et non-augmentation de la productivité. L’exigence de liaison avec les luttes de salariés, à travers le partage d’expériences, de mots d’ordre et de revendications, mais aussi par des solidarités concrètes et des initiatives communes face à l’ennemi de classe, est constitutive d’une hypothèse politique non catégorielle, transversale.
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Les luttes des salariés intéressent un mouvement de chômeurs et précaires en tant qu’elles font entendre un processus de rupture subjective avec le management et son collaborationnisme intrinsèque, en tant qu’elles dénient la légitimité des directions à prendre seules des décisions qui engagent l’ensemble des salariés, en tant qu’elles remettent en cause l’organisation du travail, la distribution des pouvoirs dans l’entreprise. Tels sont aujourd’hui les critères d’un conflit politique sur les lieux dits de travail. Elles l’intéressent donc essentiellement en tant qu’elles sont des luttes offensives, c’est à dire des luttes qui, même si leur point de départ peut être la défense d’un acquis existant, ouvrent par leurs revendications, leurs formes de lutte, leur manière de se coordonner entre elles, l’horizon du possible, de ce qui n’est pas encore et reste à conquérir. La lutte des chômeurs et précaires intéresse la lutte des salariés en tant qu’elle doit exemplifier la possibilité de victoires inédites, qui vaudraient pour tous. Sa première véritable victoire serait d’abord sa propre existence en actes, c’est à dire la rupture du consensus travailliste ; et incidemment l’affaiblissement, voire la suppression de la conditionnalité du salaire social, ce qui ouvrirait la possibilité d’une réduction globale du temps de travail social pour tous et une disponibilité élargie des classes populaires à la nécessité politique de la coopération égalitaire. Il ne s’agit pas là d’ « étapes » mais d’un processus constituant susceptible de régressions comme d’accélération révolutionnaire.
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L’illimitation de l’exploitation au delà du temps de travail est allée de pair avec son illimitation par delà les espaces physiques de travail: c’est tout le territoire métropolitain qui devient le champ d’un processus de rationalisation de la coopération sociale des réseaux économiques, permettant la mise au travail tendancielle de tous les moments de la vie. La grève des chômeurs et précaires ne peut donc être circonscrite à l’intervention dans les espaces institutionnels: elle vise à créer des hétérotopies au sein même de la métropole, des lieux qui, se voulant des espaces de soustraction à l’injonction à se produire comme sujets de l’économie, s’attachent à tenir à distance ses diverses polices cherchant à configurer l’espace de manière à être partout comme chez elles. Cela pourrait impliquer de prendre au mot les injonctions diffuses à la « participation citoyenne », non pour servir de caution consultative à des décisions déjà prises, mais pour rendre à la socialisation politique des classes populaires les espaces soit-disant “mis à la disposition de la population” (conseils et maisons de quartier, centres sociaux…), contester les décisions unilatérales des pouvoirs publics, qu’il s’agisse notamment de la suppression des services publics de proximité, mais aussi des politiques d’aménagement urbain réalisées au mépris des attachements des habitants. Lesquelles obéissent à des logiques combinant gestion managériale, ségrégation spatiale et inflation sécuritaire, destinées à attirer cols blancs et investisseurs. Densifier politiquement les zones d’opacité à la lisibilité productive des territoires, reprendre durablement pied dans l’espace public configuré tant pour la quotidienneté capitaliste que pour l’événementialité culturelle, constituent des nécessités politiques pour un mouvement de chômeurs et précaires résolu à dépasser la temporalité du mouvement social et à s’inscrire dans un processus constituant.
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La grève des chômeurs et précaires ne peut pas ignorer la nécessité d’attaquer la « rigidité à la baisse » du marché du travail, sur laquelle s’appuie le consensus qui suppose que les travailleurs « nationaux » ne seront pas forcés d’exécuter les tâches les plus dévalorisées, qui seront attribuées à ceux qui relèveront de statuts d’exception : les travailleurs sans-papiers. Préserver et étendre la liberté de mouvement de ceux qui sont ainsi enfermés dans l’aléatoire et la peur dans des conditions de semi-esclavagisme, s’organiser pour empêcher rafles, placement en rétention et reconduites à la frontière, dénoncer la collaboration entre administrations et préfecture, grâce aux divers fichiers ou aux dispositifs comme la fameuse “lampe bleue” de Pôle Emploi, constituent des actes de solidarité envers les plus précaires susceptibles d’éroder l’efficacité d’un tel consensus. Dans une économie-monde qui impose aux divers pouvoirs le contrôle et l’optimisation des flux, la visée de rendre inapplicables les politiques migratoires est nécessairement complémentaire à celle de rendre inapplicables les politiques de l’emploi.
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Le refus de la conditionnalité du revenu, le refus de la conditionnalité de la carte de séjour s’appuient de la même manière sur l’idée de l’égalité de n’importe qui avec n’importe qui, et implique d’opposer à tout ce qui le restreint le principe d’un accès libre et non conditionné de tous à tout ce qui permet de satisfaire ses besoins, sans acquitter de dette envers une quelconque institution. Dans cette perspective, on doit reconnaître l’importance des luttes pour l’égalité d’accès aux droits dits fondamentaux (logement, santé, transports, culture…) en admettant que la politique, si elle peut invoquer ces droits comme motifs d’un acte qui sera bien souvent contraire aux lois en vigueur (squat, autoréduction…), implique un processus de réappropriation, d’auto-organisation populaire de ces formes de subsistance et de soin qui ne font dès lors plus l’objet d’un « accès » supervisé par l’Etat mais d’une co-élaboration et d’un usage commun.
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Une telle politique implique une attention accrue à la grande disparité des situations vécues par les précaires et à la diversité des facteurs de précarisation, liées au sexe, à l’âge, aux origines ethniques ou géographiques, à la couleur de peau, au milieu socio-culturel, au secteur et au poste d’activité, à l’état de santé, aux handicaps, aux appartenances politiques ou religieuses… Il ne s’agit pas pour autant d’opposer l’irréductible pluralité des luttes spécifiques à la nécessité d’élaborer une hypothèse politique transversale, plus que jamais nécessaire pour renouveler la question des formes de l’organisation politique révolutionnaire, aujourd’hui inexistante. Cependant, l’hypothèse formulée ici n’a pas la prétention d’embrasser toutes les luttes possibles. Elle propose néanmoins comme opérateur d’unification et d’amplification de ces luttes l’auto-organisation du travail vivant comme processus de désaffection collective à l’égard des injonctions productives qui nous rendent indisponibles à la politique. Injonctions qui vouent bien souvent cette dernière à pâtir de la dispersion de nos multiples « activités », militantes ou non.
V La grève des chômeurs et précaires, proposition d’écologie communiste
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Du point de vue de l’ennemi, l’appropriation des thématiques écologistes par un nouveau capitalisme « cognitif » n’est rien de moins que la condition de sa perpétuation. Certains choisiront de voir dans une telle appropriation un combat gagné avant même d’être mené, « l’écologisme » constituant comme la quintessence d’un rapport capitaliste au vivant, rapport dont la vraie nature affleurerait avec la révélation des catastrophes écologiques. Tel n’est pas notre propos. L’appropriation des enjeux écologiques est promise à être l’occasion d’un regain de conflictualité entre capitalisme et communisme, et laisser au capitalisme le terrain écologiste, c’est lui livrer le champ de bataille sans avoir combattu. Il ne peut s’agir de résister à l’avènement du « capitalisme vert », résistance vouée à l’échec comme l’est toute résistance à l’évolution d’un pouvoir arborant son renoncement à un excès d’oppression, d’exploitation ou d’irresponsabilité. Il s’agit plutôt de contester la capacité des capitalistes à conduire la révolution écologique qui s’impose du fait de la dégradation générale des conditions de vie terrestres et de l’impasse de leur propre modèle de développement. Pour être en capacité de conduire une telle révolution, le capitalisme devrait se nier lui-même en tant que modèle de civilisation qui a construit, de manière indissociable, le rapport au travail vivant et au vivant comme un rapport d’exploitation. N’étant pas par ailleurs un sujet unifié qui pourrait être engagé par une décision, il est hors de question qu’ « il » le veuille ou le puisse : les réformes écologistes radicales ne peuvent que lui être imposées de l’extérieur par un mouvement révolutionnaire. Mener ces réformes à leur terme, c’est se débarrasser du capitalisme lui-même.
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Pourtant, dire que le capitalisme est incapable de mener des réformes écologiques radicales à leur terme ne signifie pas qu’il est incapable de se réapproprier les nouvelles perspectives de développement vert, que lui ouvrent la nécessité de réparer les dégâts qu’il a causé, de solder ses « externalités négatives ». Celles-ci désignent les effets négatifs du modèle industriel d’extraction de survaleur sur les potentialités actuelles de valorisation et de développement (épuisement des énergies renouvelables, dérèglement climatique, pollution de l’air et des sols, inégalités croissantes, criminalité, guerres…). Mettre à contribution ces externalités négatives, les convertir de freins en nouvelle opportunité de développement implique, pour réduire les coûts, une capacité à capter les externalités positives des mutations technologiques et productives contemporaines : devenir-commun, devenir-gratuit des « biens-connaissances », appropriation massive des NTIC, développement corrélatif d’une « intellectualité diffuse » s’appuyant sur l’importance croissante des revenus socialisés. Cette mise à contribution implique d’aller à contre-courant des logiques de privatisation qui, cherchant à tirer un profit immédiat de ce devenir-gratuit, entravent son expansion.
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Construire la nécessité de cette reconversion environnementale implique, pour les tenants du capitalisme vert, outre une capacité de vaincre les résistances des secteurs du capital industriel qui continuent à s’appuyer sur l’exploitation du pétrole (et qui retardent partout l’adoption de traités environnementaux contraignants), une capacité à mobiliser toutes les ressources des institutions publiques pour consentir à un investissement social massif (comprenant une extension drastique du salariat social) susceptible de permettre l’essor de l’auto-entreprenariat écologique, de soutenir et d’étendre le secteur de l’économie sociale et solidaire, d’encourager financièrement les entreprises classiques en cours de reconversion. Or il ne peut s’appuyer, pour s’assurer une base de masse, que sur la sollicitation du travail vivant autonome, c’est à dire sur l’appropriation collective, de masse, de la critique écologiste du capitalisme, qui n’a pas enterré mais corrigé et complété la critique marxiste, seul fondement sérieux d’une telle reconversion. Il doit donc, pour poursuivre le développement des forces productives, encourager leur volonté subjective d’arrêter le développement. Tâche particulièrement délicate, qui implique de s’appuyer sur les critiques, et même les luttes les plus radicales tout en désactivant leurs conséquences politiques ultimes. D’où le fait que les organisations activant une approche économique de l’écologie, s’appuyant sur le présupposé d’une auto-réforme du capitalisme sous la pression des luttes politiques, sont vouées à devenir l’équivalent pour ces luttes de ce que fut le stalinisme pour le mouvement ouvrier révolutionnaire, l’autoritarisme bureaucratique en moins : un appareil d’Etat ou un aspirant appareil d’Etat cherchant à accroître sa seule puissance au détriment de ce qui n’est pas lui, mais ne tenant cette puissance que d’une mise sous tutelle d’une autonomie politique populaire qui doit être encouragée, sollicitée, en même temps que tenue en bride.
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Empêcher cette mise sous tutelle, opérer la disjonction entre autonomie politique du travail vivant et auto-entreprenariat écologiste (et leurs relais dans le monde de la représentation politique institutionnelle), constituent aujourd’hui des enjeux de première importance du point de vue communiste. Ce que pourrait construire un mouvement de grève des chômeurs et précaires, c’est justement l’indissociabilité de l’auto-appropriation du travail vivant et de l’interruption des processus d’exploitation du vivant cristallisés dans chacun des chaînons des processus productifs. Pour qui oppose sa défiance en la capacité du capitalisme à cesser d’exploiter, la question d’opérer la suspension de l’exercice gouvernemental exercé par l’économie sur le travail ne peut pas être évacuée, qu’on l’appelle « blocage de l’économie » ou « grève générale ». Il importe que chaque processus local et singulier ne se construise pas dans la forclusion d’une telle nécessité, et au contraire cherche à préfigurer un tel événement, en faisant autant que possible de chaque rupture locale du consensus productif un moment constituant susceptible d’en rendre la perspective tangible et hautement désirable. « Bloquer l’économie », ici et maintenant, pour ceux qui luttent, c’est d’abord déposer un régime de vérité par lequel les experts s’arrogent le monopole de la définition de ce qu’est, de ce que doit et de ce que peut être l’organisation du travail et la distribution des pouvoirs dans la situation actuelle. Ce qui pour avoir lieu à une échelle révolutionnaire, doit avoir eu lieu, de manière partielle et relative, dans des luttes locales qui commencent à formuler la rupture avec l’économie comme la visée dont on peut commencer immédiatement à construire les conditions de possibilité.
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La coopération du travail vivant, inséparable de la coopération avec le vivant, implique de rompre avec la perception hobbesienne de la nature et de l’homme comme puissances hostiles de destruction potentielle de la civilisation, qui obligeraient cette dernière à leur imposer subordination et domestication. Il ne s’agit pas pour autant de restaurer la bonne nature et le bon sauvage comme images d’une relation idyllique et symbiotique avec la Terre-mère originelle. Il s’agit plutôt d’éprouver le lien construit avec le vivant et les milieux d’existence comme ce qui constitue un monde commun excédant la seule humanité, monde sensible traversé d’affinités avec l’altérité. La coopération implique alors une co-adaptation des êtres en présence et l’exigence politique d’œuvrer à ce que se composent leurs exigences de développement et d’épanouissement singuliers. Ce qui implique la défiance envers la « politique » des « comités d’éthiques » posant des limites floues, et comme toujours destinées à être transgressées, à une activité humaine qui serait exploiteuse par nature. Au contraire, il s’agit de faire de cette coopération, de ce co-épanouissement la seule voie praticable de subsistance comme d’épanouissement humain. Une politique communiste s’appropriant la question écologique n’est donc pas une politique de « reconversion écologique de l’économie » mais une politique de démantèlement de l’économie, une politique en quête d’un nouveau paradigme éthique et esthétique de la communauté, une politique de l’attention généralisée aux possibilités de composition des lignes d’accroissement de puissance de chaque vivant en tant qu’il est inséparable de son milieu.
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L’hypothèse de la grève des chômeurs et précaires cherche à inscrire dans l’espace des luttes métropolitaines une politique visant à exacerber les tensions contradictoires constitutives de la crise de l’économie, qui demeurent actuellement fonctionnelles à l’exercice de la politique du capital. A partir d’une volonté de pousser à son point de rupture (avec l’auto-entreprenariat) la désaffection à l’égard du salariat, elle vise à bloquer les perspectives de développement capitaliste s’appuyant sur l’articulation des politiques de l’emploi, des politiques migratoires et des politiques environnementales. Elle propose, comme vecteur d’unification et de résonance entre les luttes la perspective d’une attaque du rapport d’exploitation lui-même, autrement dit, la mise à l’épreuve de l’attachement à une vérité de l’égalité de n’importe qui avec n’importe qui, attachement qui exige de battre en brèche le régime de vérité économique. Pour ce dernier, l’égalité et l’émancipation de tous seraient de dangereuses chimères, quand le libre jeu des sujets économiques porterait pour sa part en germe la promesse de leur épanouissement par composition spontanée et harmonieuse des intérêts particuliers. Il importe de ne pas répondre à cette religiosité, cette attente d’un progrès que toute attention aux processus réels infirme à chaque instant, par une autre religiosité. Aucun développement immanent des forces productives, aucun mûrissement des contradictions objectives, aucun effondrement soit-disant inéluctable ne peuvent se substituer à ceux qui ne renoncent pas au désir de vivre une révolution de leur vivant, à qui il incombe de formuler des hypothèses politiques et de chercher à les vérifier. Certes, la volonté est faible, mais il n’y a pas d’autre force disponible. Le désir n’est révolutionnaire que dans sa capacité à nourrir intimement cette volonté, à lui attacher l’intelligence, l’énergie, la créativité et l’imagination dont il est capable, faute de quoi il demeure homogène, serait-ce à son corps défendant, à l’ordre économique.
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Formuler une hypothèse politique et chercher à la vérifier, c’est également vouloir éviter le piège du subjectivisme critique. D’après cette attitude, on pourrait disposer de la vérité, qui nous conférerait une position de surplomb depuis laquelle assister au spectacle du monde en décomposition ; lequel viendrait, quoi qu’on fasse, confirmer cette vérité. Ce subjectivisme touche autant ceux qui se contentent de proférer cette vérité que ceux qui prétendent l’incarner. La vérité, qui doit être le souci permanent d’une pensée selon des critères d’abord éthiques et non pragmatiques, a bien à être incarnée, mais ne s’incarne véritablement que dans des processus politiques capables de s’inscrire au cœur des antagonismes sociaux, qui sont la part dynamique des rapports de classe, et à les transformer en conflits politiques aptes à renouveler la situation en profondeur. La maturité politique se mesure à l’aune de cette capacité à échapper tant au caractère velléitaire des enthousiastes qui, s’interrompant à la première difficulté, exigent à tout moment du nouveau, qu’à la posture de ceux qui maintiennent en toute circonstance leur roide conviction d’avoir raison seuls contre le reste du monde. Nous devons ainsi apprendre à accepter de reconnaître nos erreurs de jugement, nos échecs, et à comprendre à partir de quelle hypothèse nouvelle, prétendant à plus de vérité, on formule de tels jugements.
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La grève des chômeurs et précaires, pour rompre avec l’actuel cycle des luttes défensives, ne peut être jugée par la seule considération de sa suffisance ou de son insuffisance immédiate en terme d’ « intensité vécue », considération si homogène avec le présent perpétuel de l’économie dans lequel nous baignons, où chaque jour, chaque instant est comme nimbé d’une espérance toujours-déjà déçue. Construire au présent un rapport avec un futur désirable implique le souci de tenir à distance l’apologie des intensités immédiates, et de favoriser l’émergence d’un « programmatisme » politico-utopique immanent aux luttes elles-mêmes. C’est bien dans les assemblées générales, les collectifs de chômeurs et précaires, les occupations, les lieux d’auto-organisation populaire que peuvent s’élaborer la fiction d’une reconversion, non de l’économie, mais de l’organisation du travail, d’abord à la base, mais aussi de manière coordonnée et au moins partiellement « planifiée ». Il incombe à l’intelligence de quiconque de participer à l’élaboration de cette nouvelle geste populaire que serait la transition révolutionnaire, qui est tout autant affaire de combat que de production, d’invention de réalités inédites que de nécessité d’assumer tant l’irréversibilité des dommages que l’extrême gravité des désordres qui nous sont légués par le capital. Ce n’est donc ni dans les comités centraux des partis politiques, ni parmi les experts de l’écologie économiste, ni dans des cercles radicaux même réfractaires à l’idée de gouvernement, qu’un tel programme peut être formulé, faute de quoi ressurgit la vieille « science révolutionnaire » à transmettre aux masses ignorantes. L’imagination du renversement implique une stratégie d’attaque des dispositifs spécifiques qui nous rendent indisponibles à une telle imagination. La coopération des intelligences sollicitées par les luttes populaires (laquelle ne doit sans aucun doute pas s’interrompre avec l’interruption des luttes particulières), coopération attachée à ce que le tout de l’aspiration communiste soit immédiatement activé à même les conflits du temps présent, ne vise sans doute à rien d’autre qu’à conquérir pour tous cette disponibilité.
Quelques militants du Mouvement des Chômeurs et Précaires en lutte de Rennes, le 9 Avril 2010
Mais de la question de l’activité professionnelle vivante. Travail = torture.