Compte-rendu des maraudes décembre 2008 dans le 10ème arrondissement de Paris : de plus en plus de mineurs en provenance d’Afghanistan

jeudi 15 janvier 2009

Des mineurs de plus en plus nombreux

En décembre 93 nouveaux mineurs sont arrivés à Paris, et depuis janvier nous en avons rencontrés 668 (contre 483 en 2007).

Et ils sont toujours aussi nombreux à ne pas être pris en charge

La DASS n’a pas jugé utile de fournir les financements nécessaires à la prise en charge effective de ces mineurs. Le dispositif de primo accueil ne dispose toujours pas de moyens nécessaires à l’hébergement et au suivi de plus de 50 de ces jeunes. Le 2 décembre, 14 ont dû dormir dehors, le 7 ils étaient 16, et avant la mise en place du bricolage d’urgence grand froid le 29 décembre, ils étaient 25.

Le 4 décembre Hervé Diaité, conseiller de Myriam El Khomri à la Mairie de Paris a pu voir ces jeunes, dont certains attendaient une prise en charge depuis un mois. Le 10 Myriam El Khomri elle aussi a pu se rendre compte de la situation. Hélas nous n’étions pas là (faute d’avoir été informés) pour lui faire part de nos remarques et lui permettre d’avoir les réactions des jeunes laissés dehors comme ceux rencontrés un peu plus tard ce même soir près du parc. Le 17 c’était au tour de la nouvelle secrétaire générale de la Mairie de Paris entourée d’autres personnes (de la mairie du 10ème et bien entendu de FTDA) de venir voir ce qui se passait.

Malgré ces visites, le dispositif supplémentaire de la Mairie de Paris (20 places) a été mis en place sans se presser. Fin décembre, il restait apparemment encore 4 places non utilisées : lenteur et complexité administratives comme le dit FTDA ? Manque de personnel à FTDA comme l’indique la Mairie de Paris ? Difficile de s’y retrouver mais comme d’habitude le fautif est toujours l’autre.

Et comme il y a peu de places, le tri au faciès continue. « Qu’en penses-tu ? Est-ce que M ne l’a pas trouvé trop vieux ? Je ne sais pas, on va attendre D ! ». La décision ne revient plus aux intervenants sociaux mais aux « chefs ». Quelle défiance ! Et quelle efficacité : 4 personnes à chaque maraude pour souvent ne prendre aucun jeune ! Et toujours l’incompréhension des jeunes déclarés trop vieux au faciès par FTDA et déclaré trop jeunes, toujours au faciès, par l’équipe du cour des haltes. Ils n’ont alors d’autre choix que de dormir dehors dans le froid.

Une variante cependant : avec la complaisance de deux des responsables de FTDA mineurs, une française qui depuis qu’elle a découvert les afghans lorsqu’elle était elle-même sous les tentes des « Enfants de Don Quichotte » passe beaucoup de temps avec eux, fait son propre tri et présente ceux qu’elle considère comme mineurs à FTDA. Ces jeunes sont ainsi soumis à deux tris successifs sur des critères pour le moins discutables, et certains n’ont aucune chance ! « C’est la loterie et c’est comme ça » a-t-on pu entendre de la part de FTDA. Par ailleurs cela entretient une confusion dans l’esprit de ces jeunes qui ne comprennent plus très bien qui fait quoi, surtout quand cette personne les accompagne, toujours avec l’approbation de ces mêmes responsables de FTDA mineurs, au lieu de l’hébergement ouvert à cause du froid rue Bourret. Ceci ne semble ni très professionnel ni très conforme à la déontologie de la protection des mineurs.

Confusion également due à l’intervention d’un groupe, certainement bien intentionné, mais ignorant tout de la situation des exilés et des actions des différentes associations et structures (qu’il jugeait d’ailleurs inutiles et inefficaces). Les mineurs étaient un peu perdus face à ses initiatives qu’ils pensaient être des promesses fiables d’hébergement et qui se révélaient souvent des espoirs déçus.

Et que dire de ce jeune français plein de bonne volonté qui avait écrit pour eux une traduction en farsi, pensant ainsi les aider. Hélas sa phrase n’était pas très adaptée : « J’ai moins de 18 ans. Je veux aller à la police et avoir un avocat et un interprète ». un bon moyen pour qu’ils se retrouvent majeurs après une expertise d’âge osseux.

Fin décembre de nouveau une prise en charge au rabais

La DASS a décidé comme l’an dernier d’ouvrir un « hébergement » pour la période de froid. Ceci a été mis en place le 29 décembre seulement alors que dès le 23 le service météo extranet pour les DASS prévoyait des températures ressenties de l’ordre de -8°C le matin à partir du 26. La veille nous avions dû distribuer des duvets à des jeunes de 12 et 13 ans pour qu’ils puissent dormir. La température ressentie était de -9° C à Paris et certainement moins près du canal. 25 mineurs ont pu être mis à l’abri la nuit et ainsi ne pas dormir sous les ponts ou dans les parcs du 10ème. 25 mineurs que quelques jours auparavant ni la DASS, ni FTDA ne voyaient, le Collectif étant d’ailleurs soupçonné de voir des mineurs qui n’existaient que dans l’imagination des maraudeurs !

Reste maintenant que ce dispositif, pas plus que celui de l’an dernier mis en place avec l’association « Aux Captifs La Libération », ne répond pas à ce que la loi et les conventions internationales prévoient en matière de protection des mineurs en danger. Ils mangent le soir, sont au chaud la nuit, mais quel suivi socio éducatif existe réellement ? Solution au rabais, moins chère certainement que l’hébergement en hôtel (où au moins ils peuvent rester dans la journée – à noter que l’ESI St Martin refuse maintenant systématiquement ceux qu’ils estiment mineurs) mais qui ne permet ni de donner les informations nécessaires, ni de préparer les dossiers de prise en charge pour l’ASE.

L’an dernier les responsables de FTDA mineurs étaient très critiques vis-à-vis de cette mise à l’abri, estimant même qu’elle remettait en cause le bien fondé du dispositif Versini et du travail des intervenants sociaux. Bizarrement cette année ce bricolage semble ne pas être critiqué, au point même que le Directeur de FTDA lui-même était présent tous les soirs la première semaine. Une question se pose, que fera-t-on de ceux qui vont quand même rester après la période de froid, malgré cette non prise en charge ? Auront-ils accès au dispositif Versini et à l’espoir d’une prise en charge ASE ou les remettra-t-on à la rue ?

La prise en charge « normale » ne s’améliore guère ; le parcours du combattant d’un jeune qui veut rester est compliqué

La première étape est d’être « reconnu » par FTDA mineurs. Les jeunes ne comprennent toujours pas pourquoi lorsqu’ils se rendent dans les bureaux de FTDA, on leur dit le plus souvent « allez ce soir à Colonel Fabien » ou « revenez demain ». Certains, fatigués de ces réponses n’y vont même plus, ne voyant pas l’utilité de se déplacer pour avoir ni entretien ni rendez vous, ni même un début d’intérêt, un début de prise en charge. « A quoi sert de prendre notre nom s’ils ne s’occupent pas de nous » disait un jeune le 2 décembre. Certains ne jugent même plus utile d’attendre la maraude de FTDA à Colonel Fabien. Le 12 décembre il a fallu convaincre un jeune de 15 ans de rester car il repartait dormir dans la « jungle » (le jardin Villemin). Il a bien fait de rester car après deux semaines dehors il a enfin été pris en charge. Et pour ceux de 17 ans qui veulent demander l’asile encore moins de chance que leur cas soit pris en considération. Un se serait même entendu dire « mais pourquoi viens tu au bureau ? »

Du côté de « Enfants du Monde Droits de l’Homme », le manque de place limite les prises en charge possibles. Un jeune qui avait décidé d’y aller lui-même avec un copain s’est vu renvoyer vers la CAMIE, qui elle-même l’a fait prendre en charge par la brigade de mineurs. Expérience traumatisante pour ce jeune envoyé dans un foyer dont il a fui le lendemain matin. Dans ce qu’il nous racontait revenait en permanence le mot police. Ce qu’il avait retenu c’est qu’on l’avait mis dans les mains de la police, envoyé au docteur de la police puis au « camp » de la police ! Il est depuis parti, ce qui n’a rien d’étonnant. Une fois de plus il semble nécessaire que les intervenants sociaux prennent en compte la spécificité du parcours de ces jeunes et les aventures traumatisantes qu’ils ont vécues lors de leur voyage, en particulier avec les forces de l’ordre surtout en Turquie et en Grèce. EMDH semble toujours aussi loin pour les jeunes afghans, même si on entend moins de critiques sur les règlements trop stricts du foyer (il y a deux ans certains nous demandaient pourquoi on les avait envoyés en « prison »). Il aura fallu que S, 12 ans, reste plus de dix jours dehors avant qu’il ne décide enfin le 9 décembre à aller au Kremlin Bicêtre.

Une fois cette première étape passée, il faudra attendre longtemps un rendez vous à l’ASE et une prise en charge. La situation qui semblait s’améliorer est redevenue apparemment bloquée comme cet été. Attente que les jeunes vivent mal. Ils se plaignent de n’être pas scolarisés, de ne pas avoir d’argent de poche, ni de vêtements.

Face à ces obstacles les jeunes se découragent et repartent. Après plus de 8 semaines passées dans la rue, difficile de ne pas comprendre la décision d’Ali, 15 ans mais jugé majeur par les « chefs », de partir en Finlande ! Coucher dehors ne donne pas un visage détendu et juvénile. Mais est ce que les intervenants de FTDA auront noté la différence lorsqu’enfin il a pu avoir une chambre à l’hôtel ? Même chose pour ce jeune de 14 ans, depuis 10 jours dehors qui après une tentative ratée pour aller en Irlande envisageait de repartir pour la Norvège. Il n’était plus du tout convaincu qu’après 18 ans il pourrait rester en France. Il disait que s’il était renvoyé en France par les autorités allemandes il se résignerait à rester.

La présomption de minorité fonctionne mal, même parfois avec unes taskera à l’appui ! Un, ayant sa taskera de 15 ans et huit mois a passé quand même plus d’une semaine dehors, sans d’ailleurs pouvoir avoir un entretien « ils ne s’occupent que de ceux qui sont à l’hôtel » disait-il désespéré, voyant ses projet de continuer sa formation à la lutte s’éloigner. Et certains, dont les familles sont dans des villages loin des grandes villes, ont aussi du mal à les recevoir, comme ce jeune de 16 ans et demi qui a mis un mois pour réussir à joindre sa famille dans la province de Ghazni, faute de réseau là bas.

Pour certains, pris en charge par l’ASE et envoyés en province tout n’est pas forcément simple. Deux jeunes de Toulouse en vacances à Paris, n’arrivaient pas à comprendre ce que faisaient leurs éducateurs pour leur régularisation. Un avait été pris en charge à 13 ans il y a trois ans, l’autre à 16 ans en 2007. Nous leur avons redonné les informations nécessaires. Et lorsqu’il y a conflit avec les éducateurs cela devient compliqué, comme pour celui qui a été pris en charge par l’ASE de Paris puis envoyé en Ariège et qui n’espère plus aucun soutien des éducateurs pour sa régularisation.

Mise en danger de la vie des exilés dormant dehors dans le 10ème

Le 22 décembre tous les duvets et couvertures des exilés, rangés près des toilettes du jardin Villemin ont été détruits. Impossible de savoir qui est responsable de cet acte inacceptable en plein hiver, au moment où l’on annonçait une période de froid intense. Les gardiens n’étaient pas au courant, la Mairie du 10ème non plus

Pour éviter que la situation ne devienne catastrophique nous avons dû distribuer plus de 120 duvets en trois jours. Heureusement que l’association Claver nous en avait fourni 35 de plus.

A noter que ce n’est que le 2 janvier, après une semaine où les températures ressenties étaient extrêmement basses qu’un quatrième bus a été mis en place à Colonel fabien. Le soir du 22 ils étaient plus de 50 à rester dehors après le troisième bus atlas, et 65 le 25.

Malgré notre interpellation de la Mairie, chaque matin des duvets ont continué à être détruits par l’équipe de nettoyage.

De plus en plus d’exilés (jusqu’à une quarantaine) s’étaient aussi installés sous le pont Louis Blanc et sous l’Ecluse du pont Varlin.

Le 29 une manifestation a été organisée par le 9ème Collectif, le CDSL et l’association SALAM sur la question de l’hébergement des exilés. Bonne initiative mais il est dommage que les organisateurs n’aient pas jugé utile de prendre contact avec les organisations qui depuis plusieurs années travaillent avec les exilés dans le 10ème arrondissement. Cette action aurait pu avoir une autre envergure.

Réflexions amères « pourquoi l’Europe accepte qu’on rentre si elle ne veut pas aider les demandeurs d’asile, ni les nourrir, ni les loger ? » « La France n’aide même pas ceux qui ont leur carte verte, ils dorment encore dans le parc ». Un dimanche soir l’un prenait des photos de la distribution des restos du cour « pour envoyer sur internet et montrer dans quelles conditions nous sommes accueillis ici. »

Et en dehors du froid la situation des exilés ne s’améliore pas

La police ne semble pas sensible aux basses températures et continue ses descentes hebdomadaires avenue de Verdun ou dans le jardin Villemin, arrêtant comme à chaque fois depuis septembre, une dizaine d’exilés qui seront relâchés le lendemain avec un APRF. Ceux là, s’ils désirent demander l’asile en France devront envisager de rester tout le long de la procédure sans allocation et sans hébergement.

Des jeunes ont également été arrêtés mi décembre le soir près du parc alors qu’ils étaient à la recherche de l’afghan qui était parti avec l’argent qu’il avait retiré pour eux à Western Union. Deux ont été envoyés à l’expertise d’âge osseux et déclarés mineurs.

Pour les autres le problème des empreintes reste la préoccupation majeure, d’autant plus que depuis le 12 décembre la Suisse applique le règlement Dublin et donc expulse vers les autres pays européens où des preuves de leur passage existent. Ils ne comprennent toujours pas que le document d’éloignement qu’on leur remet après la prise de leurs empreintes n’est pas une autorisation d’aller chercher l’asile ailleurs. L’espoir reste pour beaucoup la Scandinavie, espoir basé sur les rumeurs, peu fondées, de non application de ce règlement Dublin dans ces pays.

D’autres se demandent s’il n’y a vraiment pas moyen « d’effacer » les empreintes d’Eurodac. Là aussi des rumeurs courent sur des avocats italiens qui seraient capables de le faire. Mais peu retournent en Italie pour tenter l’expérience.

En France les avocats sont moins forts mais réussissent quand même à obtenir des libérations lors du passage au 35 bis. Les juges de la Liberté et de la Détention, semblent de plus en plus mal accepter les « erreurs » de procédure de la police. Mais les exilés devront attendre 6 mois, si aucune convocation de la police n’arrive entre temps, pour retourner à la préfecture et pouvoir demander l’asile en procédure prioritaire. Dans les Hauts de Seine, il semble, d’après FTDA, que la préfecture délivre des APS (carte verte) à condition d’avoir une domiciliation chez un particulier dans le 92, conditions que peu peuvent remplir.

Un exilé qui était allé à la préfecture le 3 décembre après un accord de réadmission vers la Grèce, a été libéré directement après un passage au poste de police. Aucun papier autre que l’accord de réadmission ne lui a été fourni.

Certains « dublinisés » n’imaginent pas rester dehors encore 6 mois en plein hiver (et même plus s’ils sont ensuite mis en procédure prioritaire) et se résignent à aller à la préfecture en espérant une « bonne décision » d’un juge lorsqu’ils seront en rétention. Certains ont cependant été déçus d’être relâchés par le Juge de la Liberté et de la détention et de se retrouver à devoir attendre 6 mois quand même. Cette famille dont seul le père avait ses empreintes en France a eu elle la chance d’être logée par la CAFDA et peut donc attendre sans trop de problème la prochaine convocation de la préfecture à l’issue des 6 mois, le 31 janvier. Reste à savoir s’ils seront mis en procédure prioritaire.

D’autres décident de partir en espérant à tort que leurs empreintes ne pourront pas être retrouvées dans d’autres pays ou que les juges seront plus cléments ailleurs. La situation à Calais, ou le risque d’interpellation en Allemagne, les fait parfois hésiter et il aimerait bien qu’on puisse leur indiquer un chemin « sûr » pour rejoindre les pays scandinaves, qui hélas n’existe pas.

D’autres envisagent de repartir en Afghanistan ou en Iran, certains avec l’idée de revenir ensuite en espérant que leurs empreintes ne seront pas prises lors de ce retour et qu’ils pourront redemander l’asile en Europe, comme celui expulsé d’Angleterre vers la Grèce, qui ayant eu la « carte rouge » de demandeur d’asile ne voit pas comment il pourrait demander l’asile en France.

D’autres regardent du côté de la légion étrangère. Un a d’ailleurs réussi à passer les premiers tests et devait se rendre fin décembre à Aubagne.

Comme chaque fin d’année les exilés sont inquiets de nouvelles lois européennes qui pourraient rendre leur parcours encore plus difficile. L’adoption de la « Directive de la honte » a renforcé leurs craintes, même si certaines déclarations de Jacques Barrot pour la commission européenne sur un moratoire dans l’application du règlement Dublin a fait naître l’espoir qu’il n’y aurait plus de réadmissions vers la Grèce.

La fin d’année et les fêtes font aussi naître un autre espoir : celui de l’absence de contrôles dans les trains et les gares.

Des conditions de vie qui génèrent des tensions

Entre les exilés eux-mêmes comme en témoigne cette bagarre au parc qui en a envoyé deux à l’hôpital pour des blessures à l’arme blanche.

Entre exilés et autres usagers des bus comme le 18 au soir place du colonel fabien où il a été difficile de rétablir le calme suite à l’agression des afghans par un magrébin ivre et ses amis.

Entre exilés et riverains comme en témoignent les plaintes et la pétition des riverains du passage Dubail où les exilés faute d’un lieu d’accueil de jour suffisamment grand et adapté ont le culot de discuter en petits groupes sur les trottoirs.

Un phénomène inquiétant, l’arrivée de familles en plein hiver

Est-ce significatif d’une dégradation de la situation en Afghanistan, en Iran et au Pakistan ? En décembre 6 familles sont arrivées dans le 10ème avec 12 enfants, le plus jeune n’ayant que quelques mois. C’est la première année où nous rencontrons des familles en Décembre.