Sur TF1, qui retransmet le match, la réaction est immédiate: « Honteux » dit Jean-Michel Larqué, fameux commentateur et ex-joueur de foot de Saint-Etienne. « ça se passe de commentaires », ajoute-t-il.

Pourtant, le soir-même, et plus encore le lendemain, ce n’est pas les commentaires qui manqueront: les politiciens français, de tous bords, se jetteront sur l’affaire comme des loups-garous affamés sur un pauvre villageois endormi. Tout le monde y va de son petit couplet pour hurler au scandale.

Il faut dire que pour tous les défenseurs de la République et de la Nation (qui ne sont pas que des noms de places, figurez-vous), la déception est grande: comme le remarquait Christian Jeanpierre, l’acolyte de Jean-Michel Larqué sur TF1, tous les efforts avaient été faits « pour que ça se passe bien, on l’a vu à l’entrée des deux équipes, ce mélange des couleurs », avec, au lieu des deux équipes côte à côte lors de l’entrée dans le stade, deux rangées avec des joueurs des deux équipes dans chacune des files. Idem lors des hymnes, les deux équipes étaient mélangées. De plus, ce n’étaient pas des orchestres qui jouaient les hymnes tunisien et français, mais deux chanteuses: la tunisienne Amina pour l’hymne tunisien, et la française d’origine tunisienne Lââm pour l’hymne français.

Mais tout cela ne pouvait suffire. Et comme lors de deux fameux précedents, France-Algérie en 2001 et France-Maroc en 2007, la Marseillaise a été huée par une grande partie des spectateurs. En général, dans les stades de foot, il est de bon ton de s’en prendre aux supporters de l’équipe adverse, notamment en huant les joueurs et en criant des slogans hostiles à l’équipe d’en face… mais on ne siffle pas un hymne national par hasard. Cela ne se passe pas systématiquement. Et là, ça s’est fait massivement.
Alors bien sûr, des joueurs ont été sifflés, ça reste un match de foot, mais aucune violence n’a eu lieu entre supporters. Même lors du match France-Algérie en 2001, quand le stade avait été envahi par des supporters algériens (dont la plupart étaient Français, rappelons-le), aucune violence n’avait eu lieu (ou alors, de la part des services de « sécurité », mais pas de la part des supporters).

Ce qui a été sifflé, c’est bien sûr la France de Sarkozy, mais c’est plus largement la France des flics et des différences de classe, de la discrimination raciale: en 2001 et en 2007, Sarko n’était pas encore président, mais les fils d’immigrés du Maghreb et d’ailleurs sont aujourd’hui comme hier parqués dans des cités dortoirs, avec un avenir de merde et une considération toute particulière de la part des flics, des administrations, des employeurs, des agences immobilières, etc. Ce qui m’étonne, ce n’est pas que l’hymne national soit sifflé, mais bien que tout le monde semble s’offusquer que tout un stade puisse huer la Marseillaise. Mais que croient nos chers politiciens ? Que tout le monde croit à leurs sornettes de la République universelle ? Liberté, égalité, fraternité ? Et mon cul, c’est du poulet ?

Moins d’un an et demi après le France-Algérie qui avait vu le stade de France huer la Marseillaise, Rudy Salles, député UDF des Alpes-Maritimes, a fait adopter le 23 janvier 2003 à l’Assemblée un amendement instituant un nouveau délit d’« outrage au drapeau tricolore et à l’hymne national ». Celui-ci est punissable de 7 500 euros d’amende et de six mois de prison « lorsqu’il est commis en réunion ». Un article paru dans Le Monde du 26 janvier 2003 signale que « les parlementaires de gauche présents dans l’Hémicycle ont voté pour cet amendement ». Dans le même article, Bruno Beschizza, secrétaire général du syndicat de police Synergie-officiers déclarait à l’époque: « S’il y a une émotion particulière, on peut demander aux services d’investigation de retrouver les auteurs après coup, souligne-t-il. Mais on ne va pas envoyer une compagnie de CRS pour faire arrêter les gens de siffler La Marseillaise dans un stade, ça serait l’émeute. ».

Concernant les suites de France-Tunisie, on est à mi-chemin du projet post-pétainiste de réprimer activement l’outrage à l’hymne national: selon un article paru sur le site du Figaro le 15 octobre (Marseillaise sifflée : une enquête est ouverte), « les vidéos de surveillance du Stade de France vont être visionnées par les enquêteurs. Roselyne Bachelot demande à ce qu’un match soit arrêté si la Marseillaise est sifflée ». Dans le même article, on apprend qu’« en cas de huées, “le match sera immédiatement arrêté et les membres du gouvernement quitteront l’enceinte sportive”, a désormais prévenu la ministre des Sports Roselyne Bachelot à l’issue d’une réunion à l’Elysée à laquelle Jean-Pierre Escalettes, le président de la Fédération française de football (FFF) et Bernard Laporte, secrétaire d’Etat français aux Sports ont été convoqués. »

Sarko, notre Président à talonnettes, parle de «scandaleux incidents » et appelle ses principaux ministres à s’exprimer sur le sujet…

Bernard Laporte a suggéré sur RMC que l’équipe de France ne joue plus contre les équipes du Maghreb au Stade de France. «Arrêtons d’être hypocrites, ne faisons plus ce genre de matches, tout simplement», a dit le secrétaire d’Etat. «On va pas donner sans arrêt le bâton pour se faire battre. ça, on n’a plus envie de le revivre, plus de matches contre l’Algérie, contre le Maroc, contre la Tunisie au Stade de France», a poursuivi le secrétaire d’Etat. «N’organisons plus ce genre de match» a-t-il repris, «comme ça, ce public sera privé de son équipe (…) On ne peut pas tolérer que nos joueurs français soient sifflés en permanence durant le match, que notre Marseillaise soit sifflée». Pour celles et ceux qui se posent la question, non, Bernard Laporte n’a pas sa carte au Front National.

Sur France-Info le 15 octobre, Brice Hortefeux, ministre de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Développement solidaire, parle au sujet de la Marseillaise sifflée au stade de France d’« un acte stupide commis par des imbéciles ». Comme il le dit lui-même, il est « chargé d’organiser les flux migratoires, de favoriser l’intégration ». En insultant ceux qui ne se reconnaissent pas dans sa vieille République, je ne vois pas bien ce qu’il entend par «favoriser l’intégration»… ou peut-être que dans «intégration» il y a surtout «faire du chiffre en expulsant les sans-papiers et en enfermant les déviants».
France-Info donne aussi la parole à quelques spectateurs du match, bien choisis, dont une maghrébine bien intégrée qui qualifie ceux et celles qui ont hué la Marseillaise d’«imbéciles». C’est Hortefeux qui doit se pisser dessus en entendant ça, tiens.

Encore sur le site du Figaro le 15 octobre (Bernard Laporte « aurait dû partir » du Stade de France), plusieurs personnalités sont citées, toutes défendent la République offensée:

«Il est désolant de voir que des Français aient pu siffler des Français», s’indigne Frédéric Lefebvre, un des porte-parole du parti présidentiel, dans un communiqué. «En sifflant les Bleus, c’est aussi des jeunes Français d’origine tunisienne ou algérienne qui sont sifflés. Quand on est adopté par un pays on respecte son hymne national», poursuit le député.

« Les sifflets sont inacceptables », écrit quant à lui Razzy Hammadi, secrétaire national du Parti Socialiste. « En effet, même si la France a eu pendant des années une politique coloniale en Tunisie, même si les Français d’origine tunisienne, et plus largement les Maghrébins ou les Français d’origine maghrébine (…), sont trop souvent victimes de discrimination et de harcèlement policier (…) il n’en demeure pas moins que la République, en dépit de ses promesses non tenues, n’est pas à humilier en sifflant son hymne » écrit l’ancien président du MJS.
En gros, les supporters qui ont hué la Marseillaise avaient pas mal de bonnes raisons de le faire, mais voyez-vous, ça ne se fait pas. Subir oppression et discriminations, ok, c’est pas super, mais bon, si vous n’êtes pas contents vous n’avez qu’à attendre les prochaines élections. En démocratie, la révolte n’est jamais légitime, sachez-le. La mascarade suit son cours.

Pour Maxime Gremetz, membre du PCF, « il faut que tout le monde apprenne la Marseillaise, et dire ce qu’elle signifie. J’aurais été là-bas, je serais parti, je ne peux pas laisser siffler la Marseillaise comme cela ». National-bolchévique, ça peut ressembler à ça.

Dans une brève parue sur le site de « So Foot », on apprend que Jean-Marie Le Pen (FN) y est également allé de son grognement: « Une fois de plus, notre hymne national a été sifflé au Stade de France par des foules originaires du Maghreb ».

Sur RTL, François Fillon, Premier ministre, a déclaré « c’est insultant pour la France, c’est insultant pour les joueurs de l’équipe de France et ça n’est pas tolérable ». Il a ajouté « je pense qu’il faudrait interrompre les matches quand les hymnes nationaux, quels qu’ils soient, sont sifflés. C’est un manque de considération, de respect pour toute une nation ».

Julien Dray, le porte-parole du Parti Socialiste, s’est dit d’accord avec François Fillon pour « interrompre les matches » dans de tels cas. « Ce qui me choque (…) c’est qu’il ne se passe rien : l’encadrement, l’équipe de France, les autorités de la Fédération ne prennent pas la mesure de ce qui vient de se passer », a-t-il dit sur i-Télé.

Jean-Pierre Escalettes, président de la FFF, s’est pourtant dit « choqué, ulcéré, écoeuré par les sifflets qui ont couvert notre hymne national et accompagné les actions de nos joueurs ».

Mohamed Raouf Najar, l’ambassadeur de Tunisie en France a condamné mercredi les sifflets du stade de France, des agissements « irresponsables et gratuits ».

Quant à la chanteuse Lââm, elle a avoué avoir « eu un peu les boules » d’avoir été sifflée. « Pour un match amical c’est bête, a regretté la chanteuse. J’étais fière d’être là. Après il y a toujours trois abrutis, enfin là ils étaient un peu plus, pour siffler la Marseillaise… ». Un peu plus, oui. Vachement plus, même.

Parmi les joueurs, pas grand monde ne semble spécialement choqué, à part peut-être le lyonnais Jérémy Toulalan, qui semble regretter que l’on s’en prenne à l’hymne: « Les sifflets, ok. Mais ce qui est dommage, c’est surtout pour les hymnes. Que la Marseillaise soit sifflée, c’est un peu embêtant, je pense ».

Abrutis, stupide, imbéciles, honteux, scandaleux, irresponsables, les termes pour définir les sifflets envers la Marseillaise ainsi que ceux et celles qui les ont « commis » sont assez clairs. Surtout ne pas chercher à comprendre pourquoi l’hymne national a pu être sifflé. Par dessus tout, ne jamais remettre en question la République, la Nation, l’Etat, ça pourrait être dangereux. Semer le doute sur ces piliers de la société, c’est ouvrir des brèches potentiellement révolutionnaires. Vu le mécontentement social généralisé, faudrait pas trop déconner non plus…

Pour pallier à d’éventuelles menaces de déstabilisation, après le match, il était donc bienvenu de noyer les médias d’un moralisme bien-pensant aux relents vichystes assez flagrants. Mais c’est pas tout: le parquet de Bobigny a ouvert une enquête préliminaire pour « outrages à l’hymne national ». L’enquête a été confiée à la Brigade de répression de la délinquance contre la personne (BRDP), dépendant de la préfecture de police de Paris. Parce que la République sait se défendre. Hé ouais.

Selon Michèle Alliot-Marie, ministre de l’Intérieur, «il y aura des poursuites judiciaires pour ceux qui ont sifflé la Marseillaise » et ça débouchera notamment sur des interdictions de stade.

Au final, les supporters sont très sympas tant qu’ils ne visent pas des représentations du pouvoir. Gueuler des slogans homophobes ou racistes, ça va, mais la République, la Nation… pas touche !

Sur France-Info le 15 octobre, Claude Bartolone, du PS, affirme que les supporters de foot ne méritent pas qu’on leur joue des hymnes nationaux, et souhaite donc qu’on cesse de jouer les hymnes avant les matches.

A l’inverse, je dirais que les hymnes nationaux ne méritent pas d’être joués sans qu’on les siffle copieusement, qu’on cesse donc de les jouer !

Notre patrie est le monde entier, brisons toutes les frontières !

Sifflons la Marseillaise et tous les hymnes à la gloire de telle ou telle nation !