Entre mai et juin 2008, près d’une centaine de travailleurs immigrés sont morts, victimes de pogroms perpétrés par des bandes armées dans les bidonvilles de Johannesburg. Des groupes munis de couteaux et d’armes à feu s’introduisent à la nuit tombée dans les quartiers délabrés à la recherche de “l’étranger” et se mettent à frapper, à tuer, même à brûler vifs des occupants et à chasser des milliers d’autres.

Les premiers massacres ont eu lieu à Alexandra, dans un immense bidonville (township) se situant au pied du quartier d’affaires de Johannesburg, capitale financière de l’Afrique du Sud, avec ses buildings de luxe tapageur. Les attaques xénophobes se sont étendues progressivement dans les autres localités sinistrées de cette région dans l’indifférence totale des autorités du pays. En effet, il a fallu 15 jours de tueries pour que le gouvernement du président Thabo Mbeki se décide à réagir mollement (cyniquement en fait) en envoyant les forces de l’ordre s’interposer dans certaines localités tout en laissant les massacres se poursuivre ailleurs. La plupart des victimes sont originaires des pays de la région (Zimbabwe, Mozambique, Congo, etc.), pauvres hères qui viennent tenter leur chance en Afrique du Sud, première puissance économique du continent dont le développement repose largement sur l’exploitation de la main-d’œuvre immigrée.

Ils sont près de 8 millions dont 5 millions de Zimbabwéens qui sont poussés à fuir leur pays d’origine, comme le montrent des témoignages rapportés par Courrier international du 29 mai 2008 : “Nous mourons de faim et nos voisins sont notre seul espoir. (…) S’ils ne peuvent rien faire pour améliorer notre situation politique, nous ne pensons pas que ce soit trop leur demander de nous laisser acheter de la nourriture chez eux” ; “Cela ne sert à rien de travailler au Zimbabwe. On n’y gagne même pas assez pour se loger dans les pires banlieues de Harare (la capitale du Zimbabwe). Nous sommes prêts à prendre des risques en Afrique du Sud” ; “C’est notre vie à présent. Nous passons beaucoup de temps sur la route qui mène en Afrique du Sud. Voyager dans ces cars est risqué. Mais si nous ne le faisons pas, nous mourrons quand même.” ; “Le pain coûte aujourd’hui 400 millions de dollars zimbabwéens (0,44 euro) et un kilo de viande 2 milliards (2,21 euros). Il n’y a plus de bouillie de maïs dans les magasins, et les gens qui travaillent ne peuvent plus vivre de leur salaire”. Voilà l’enfer dans lequel les responsables politiques de cette région ont plongé la population. La seule politique du gouvernement de Pretoria envers les immigrés illégaux, notamment du Zimbabwe, consiste à les arrêter massivement puis à les reconduire à la frontière manu militari en les livrant ainsi à la famine et à la répression.

De surcroît, quand ils ne sont pas expulsés, les immigrés sont harcelés tous les jours par la propre police de Mbeki qui profite de leur extrême précarité pour les racketter tout en les tabassant systématiquement. Mugabe s’est comporté en parfait complice de son “camarade” sud-africain en se contentant d’annoncer l’envoi de quelques véhicules pour rapatrier les Zimbabwéens blessés lors des pogroms. D’où les réactions indignées de la population qu’exprime ce ressortissant zimbabwéen : “Nous sommes choqués que le gouvernement ne reconnaisse pas qu’il a contraint une partie de sa population à devenir des réfugiés au risque de leur vie. D’autres Zimbabwéens vont sacrifier leur vie en recherchant en Afrique du Sud ce qui leur est refusé chez eux : le droit de vivre.”

“Les régimes sud-africain et zimbabwéen sont responsables de la misère et des pogroms”

Il est clair que derrière les massacres à caractère xénophobe se cache la misère extrême dans laquelle s’enfoncent des millions de miséreux sud-africains dont nombre d’entre eux ont participé directement aux pogroms en accusant les travailleurs étrangers de leur “voler” leurs emplois. En effet, comme le reconnaissent d’ailleurs certains médias bourgeois, c’est bien la misère produite par la crise capitaliste qui est à l’origine de la chasse à l’étranger : “On aurait tort de penser que cette explosion de xénophobie est une simple réaction face à une immigration incontrôlée. C’est aussi la conséquence de l’envol des prix des produits alimentaires, de la chute du niveau de vie, d’un taux de chômage dépassant 30 % et d’un gouvernement qui paraît aveugle à la situation des plus pauvres” (Jeune Afrique du 25 mai 2008). Voilà la réalité, une société qui, frappée de plein fouet par la crise économique mondiale, n’a rien à offrir à la population que misère et détresse. En effet, comme partout dans le monde, les entreprises licencient massivement pendant que le gouvernement, lui, laisse augmenter les prix tout en se chargeant de prélever impôts et taxes. C’est bien cette même crise qui a poussé au désespoir un grand nombre de sans-travail et autres précaires, ce sont eux les premières victimes de la décomposition sociale du système capitaliste. Dès lors, il n’est pas étonnant de voir certains d’entre eux rejoindre les rangs des gangs qui sèment la terreur dans les quartiers misérables. Il y a bien un lien direct entre les violences xénophobes et la misère économique qui frappe aussi bien les victimes des pogroms que ceux qui les commettent ; les premiers vrais responsables sont précisément les dirigeants capitalistes des deux pays, Mugabe et Mbeki.

En Afrique du Sud, la pauvreté touche plus de la moitié de la population et le sida frappe plus de 5 millions de personnes, ce qui se traduit par un fort recul de l’espérance de vie, passant de 48 ans en 2000 à 44 ans en 2008. Le gouvernement, se comportant en parfait criminel, a longtemps nié l’importance de ce phénomène en empêchant même la mise en place d’une politique sanitaire (1) ! Au Zimbabwe, pays en total délabrement économique qui a connu une inflation atteignant (selon le FMI) 150 000 % en janvier 2008 (record mondial), le taux de chômage frappe 80 % de la population active (un autre record). C’est l’horreur absolue pour la population et la classe ouvrière et le gouvernement lui-même est bien obligé de reconnaître l’existence de 3 millions d’affamés. Du côté sanitaire, des sources avancent le chiffre de 2 millions de séropositifs, tandis que l’espérance de vie se situe autour de 40 ans. Face à la misère extrême que subit la quasi-totalité de la population, Mugabe, quant à lui, a choisi carrément la fuite en avant dans la guerre, la corruption et la répression la plus féroce pour se maintenir coûte que coûte au pouvoir.

“Mascarades électorales sous tensions impérialistes”

Loin de se soucier du sort de leurs populations en détresse, les gouvernements sud-africain et zimbabwéen rivalisent avec les puissances impérialistes qui cherchent à contrôler les régions d’Afrique australe et des Grands Lacs, en s’auto-proclamant “gendarmes locaux”. Ainsi, tous les deux se sont massivement impliqués dans les guerres qui ont ravagé cette zone dans les années 1990/2000 et qui ont engendré plus de 8 millions de morts. C’est dans cette optique que le régime de Robert Mugabe s’est lancé dans la guerre en RDC (ex-Zaïre) en y expédiant quelques 15 000 hommes, avec un coût économique exorbitant évalué à 1 million de dollars par jour (soit 5,5 % de son PIB), cela durant plusieurs années. Cette aventure militaire désastreuse n’a pu que constituer un facteur accélérateur de la ruine totale de son économie, alors que le Zimbabwe était considéré jadis comme le “grenier” de l’Afrique australe, jusque dans les années 1990 où il était encore exportateur net de céréales.

Les médias de la bourgeoisie mondiale ont déclenché une gigantesque campagne idéologique anti-Mugabe pour présenter les élections au Zimbabwe comme un enjeu entre la “démocratie” et la “dictature”  ; il s’agit en réalité d’une mascarade derrière laquelle se cachent essentiellement des luttes d’influence impérialiste. D’un côté, Mugabe, soutenu sur tous les plans (notamment militaire) par la Chine, a programmé sa victoire quoi qu’il arrive tout en disant à la population : “Votez pour moi sinon vous êtes complices des impérialistes qui nous affament” (ceux qui lui ont imposé un embargo total). De l’autre côté, les puissances impérialistes “démocratiques” (Etats-Unis et Grande-Bretagne en tête) disent aux Zimbabwéens : “Votez contre le dictateur qui vous gouverne, sinon on vous laisse crever de faim.” Quelle hypocrisie car si Mugabe bâillonne, emprisonne et tue ses opposants, il a été soutenu dans cette entreprise par tous ceux qui le condamnant aujourd’hui !2 En clair, la population est prise en otage par Mugabe, ses opposants et leurs soutiens impérialistes respectifs, avec le risque que le processus électoral ne débouche sur un scénario où les électeurs vont être poussés à s’entretuer pour le compte des cliques politiciennes criminelles qui se disputent le pouvoir.

En définitive, “démocrate” ou “autocrate”, “chouchou” ou “bête noire” des grandes démocraties occidentales, les dirigeants de l’Afrique du Sud et du Zimbabwe ne se comportent ni plus ni moins qu’en criminels bourgeois, agents du capitalisme qui exploitent et oppriment la classe ouvrière et les populations, avec la complicité active des grandes puissances.

Amina – Courant Communiste International

1) Ainsi, son ministre de la Santé a pu se permettre de se moquer cyniquement des malades en préconisant pour eux “la saine nourriture, y compris la pomme de terre africaine”, plutôt que ceux des médicaments anti-rétroviraux, dont bénéficie aujourd’hui une infime minorité des malades.

2) On a encore vu les pays de l’Union Africaine réunis à Charm El-Cheikh (Egypte) l’accueillir en chef d’Etat dès le lendemain du simulacre électoral qu’il avait organisé malgré sa défaite au premier tour.