Formation des maîtres ou propagande ?
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Formation des maîtres ou propagande ?
Le ministère de l’Education Nationale est-il devenu un relais du MEDEF ?
Dans le
cadre des " Universités d’automne " (dispositif de
formation continue des enseignants financé par le Ministère de
l’Education Nationale) deux journées de formation sont organisées
à Paris à l’intention des professeurs de Sciences Economiques
et Sociales le 23 et le 24 octobre sur le thème " Les entreprises
dans la mondialisation " sous le pompeux intitulé de " Entretiens
Louis Le Grand ". Le ministère entend donner un certain retentissement
à cette affaire puisque ces " entretiens " seront
inaugurés par Luc Ferry et par Jean-Paul De Gaudemar (directeur de l’enseignement
scolaire), la conclusion étant assurée par Xavier Darcos.
Il est évidemment
normal que des professeurs de SES réfléchissent à ce thème
qui correspond à des aspects importants du programme. Mais une formation
d’enseignants doit respecter des critère élémentaires de
garantie scientifique et de pluralité des approches. Or, toutes les interventions
sont assurées par des dirigeants d’entreprises à l’exception de
Jacques Chèrèque, de Christian Noyer (ex vice président
de la BCE) et de Pascal Lamy (commissaire européen). C’est le PDG de
SANOFI qui traitera du médicament et de la mondialisation, le PDG de
Veolia environnement qui traitera de l’eau et de la mondialisation, le PDG de
la BNP qui traitera du crédit et de la mondialisation, etc. Une après-midi
entière est consacrée à des ateliers relatifs à
des entreprises (Lafarge, Air Liquide, Danone, Axa, etc.). Pas une seule ONG
n’est conviée à donner son point de vue. Pas un seul économiste
n’est invité à apporter un peu de recul théorique. On est
à la fois dans une logique de communication (autocélébration
par les entreprises de leur stratégie de mondialisation) et dans une
logique d’imposition d’une pensée unique (le texte de présentation
indique explicitement une volonté de répondre aux critiques du
mouvement altermondialiste qui n’est bien évidemment pas autorisé
à s’exprimer).
Pour l’essentiel,
ces deux journées de " formation " sont organisées
par l’Institut de l’Entreprise, structure patronale financée par les
grands groupes industriels et financiers français. Le service public
d’éducation sous-traite donc la formation des professeurs de SES à
une officine privée qui n’a jamais fait mystère de sa volonté
d’intervenir dans le débat public pour défendre les conceptions
économiques libérales. Ce qui est choquant, ce n’est pas que l’Institut
de l’Entreprise s’exprime (c’est la moindre des choses en démocratie),
c’est qu’il s’exprime seul sur la base d’un double préjugé :
- un préjugé
empiriste selon lequel seul le discours " concret "
des chefs d’entreprises est légitime pour parler d’économie ; - un préjugé
idéologique selon lequel la pensée libérale dans
sa version patronale ou dans sa version " sociale " est
seule légitime pour parler de la mondialisation.
Tous les
autres points de vue, en particuliers les points de vue divers qui s’expriment
parmi les économistes professionnels, sont ignorés.
Le caractère
partiel et partial de cette prétendue formation apparaît aussi
par l’absence de toute référence à la sociologie (quel
est l’impact de la mondialisation sur les culture ?) et de toute référence
à la science politique et à la géopolitique (les concepteurs
de cette " formation " n’ont sans doute jamais entendu parler
du 11 septembre 2001).
Il est
incompréhensible et scandaleux que pour former des professeurs dans le
cadre d’un stage national, sur un tel sujet, on ne fasse pas appel aux universitaires
et aux chercheurs du CEPII, de l’OFCE, du CERI, de l’IFRI, de l’IRES, etc.
Mais sans
doute la liberté intellectuelle et l’esprit critique qui caractérisent
l’enseignement supérieur et la recherche sont-ils considérés
désormais par le Ministère de l’Education Nationale comme un danger
dont il faut protéger les professeurs des lycées.
Alain Beitone
4 octobre
2003
beitone@univ-aix.fr
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