Danser au son de l’utopie…
Catégorie : Local
Thèmes : Archives
Historiquement, révolution a toujours été associé au concept de lutte, de militantisme, de barricades et de prise du pouvoir. L’idée d’un parti révolutionnaire rappelle une masse humaine marchant derrière des drapeaux rouges vers la future liberté, entonnant des hymnes révolutionnaires. Mais pourquoi ne pas remplacer ce concept de révolution par l’idée d’un carnaval révolutionnaire, d’une fête de la liberté ? Pourquoi ne pas créer ces zones autonomes où nos rêves d’un monde juste seront réalités ? Pourquoi ne pas danser au son de l’utopie ?
« The revolution, in general, is no longer imagined according to socialist patterns of realism, that is, as men and women stoically marching behind a red, waving flag towards a luminous future. Rather it has become a sort of carnival. »
Subcomandante Marcos, Zapatistas
« Si je ne peux pas danser, ce ne sera pas ma révolution », déclamait l’appel pour un bloc rose et argent aux manifestations contre le G8 à Evian. Avec ses nombreux tambours, djembes, et son groupe de samba qui hurlent la joie d’un monde nouveau et repoussent fermement la noirceur du corps policier, avec ses nombreux danseurs et danseuses tout de rose vêtus qui invitent la population locale à se joindre à la fête, avec sa guérilla de l’amour qui colle des coeurs sur les boucliers des robocops de l’escouade anti-émeute, et avec ses guérillas argents qui montent des barricades pour bloquer l’accès aux représentants du G8, ce « pink and silver block » fusionne fête et révolution, plaisir et rebellion, joie et contestation. Il n’est plus question de seulement lever le poing, scander des slogans préparés par les leaders du mouvement et les écouter faire leur discours sur l’estrade ; en créant une zone autonome où cet autre monde que l’on rêve tous devient réalité, manifester devient vivre l’utopie, joindre le plaisir à l’efficacité, ridiculiser la répression policière. La révolution devient un carnaval où chacun participe également, la rébellion efface la distinction entre participant et spectateur.
Plusieurs se demandent pourquoi les activistes donnent tant de temps volontairement au mouvement. Pourquoi ils sont prêts à participer à de nombreux meetings, à agir et participer à des actions durant leurs temps libres, en plus de travailler et gagner leur vie comme chacun d’entre nous. Je résumerais ce sentiment dans la phrase suivante : une fois que tu l’as essayé, tu ne peux plus t’en passer… Une fois que tu as participé à un mouvement égalitaire, autonome, que tu as collaboré volontairement avec d’autres tout en respectant leur autonomie, et ce réciproquement, que tu as vécu l’ombre de quelques instants dans cet autre monde qui hante nos rêves, que tu as ri et dansé devant les bombes lacrymogènes, il devient quasiment impossible de ne pas accorder de temps pour construire ce mouvement de rébellion carnavalesque, il devient impensable de ne pas tout mettre en oeuvre pour que ces instants de liberté et de bonheur que tu as vécus ne puissent être partagés par tous, ne puissent devenir réalité et dépasser les limites de ces quelques zones autonomes…
Combien démoralisante est la politique pour la majorité de la population, combien de fois entend-t-on la fameuse phrase « Mais qu’est-ce que je peux faire ? » À l’opposé, combien stimulante devient la politique lorsque c’est nous-même qui la faisons, combien inspirant devient participer à des organisations non-hiérarchiques où chacun collabore et respecte autrui d’égal à égal… La politique ne réside pas dans les discours, dans les députés ou les ministres, dans l’ONU ou le FMI : la politique est ce que chacun de nous en faisons ! Nous sommes tous maîtres de notre politique ! Il suffit d’agir et de s’organiser ! Pour permettre à ces autres mondes de naître, il n’est plus question de demander et de s’agenouiller devant nos « responsables politiques », de pétitionner les « grands de ce monde », les « leaders de demain » et les « tenants du savoir » : il suffit d’agir, de se réapproprier ce qui appartient à tous, et de provoquer ce changement que nous recherchons. Bâtissons ce monde nouveau étape par étape, fusionnons ces espaces autonomes de liberté et de justice avec la contestation d’un monde d’exploitation et d’injustice.
La révolution en est une de tous les jours. Un monde nouveau ne pourra naître que si chacun le vit constamment. La fin n’est pas séparable des moyens, la fin est les moyens. Si nous voulons un monde de justice, d’égalité, d’autonomie, de fête et d’entraide, vivons ces valeurs dans toutes nos organisations, dans tout ce que nous faisons. Il m’est impossible de décrire le but ultime vers lequel je marche, l’utopie d’un monde parfait, car cette marche est infinie, cette quête de l’utopie est en constant changement. L’absolue vérité n’existe pas, le monde se redéfinit constamment par ce que nous en faisons. Mais il m’est possible d’entreprendre cette marche, et combien épanouissante devient-elle ! Il nous est possible de nous organiser de façon horizontale, autonome, libre et de participer dans cette lutte carnavalesque contre les immenses murs défendus par le système capitaliste. Il est possible de vivre ces valeurs sur lesquelles nous voulons bâtir ce monde nouveau dans notre façon même de le construire, il est même nécessaire de le faire, car chaque étape de la construction en est une d’émancipation. Et chacune de ces libérations perce l’ombre qui nous cache de l’infinie beauté de ce monde, de cette Terre, de cette Nature et de l’humanité dont nous faisons partie…
Je ne veux pas lever les armes, je ne veux pas prendre le pouvoir, je ne veux pas décider de l’avenir des autres. Mais je veux participer à la fête de la vie, et je veux le faire à ma façon, je veux pouvoir partager ces instants de bonheur et de justice avec chacun et tous en même temps, je veux pouvoir collaborer avec chacun pour leur permettre de vivre et de participer dans le carnaval de la vie comme ils le veulent. Je veux lutter contre tous les gens, systèmes et situations qui créent l’injustice, la discrimination, et qui empêchent certains de participer à la fête à leur façon. Je veux jeter à terre les systèmes qui limitent l’autonomie, engrisent et individualisent la beauté de l’espèce humaine ; et pour mettre à jour leur aspect sombre, je veux le faire avec joie, je veux fêter leur destruction, je veux participer au carnaval contre le capital. Je veux un autre monde, et je le veux maintenant : un monde qui embrasse la diversité, un monde qui contient une infinité d’autres mondes.
Commentaires
Les commentaires sont modérés a priori.Laisser un commentaire