Les illusions du « dossier » nucléaire
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, 27 associations et syndicats lancent un appel à la société civile pour la défense du droit à l’information sur le nucléaire et ses dangers !
afin d’obtenir l’abrogation de l’arrêté
du 24 juillet 2003
En France l’électronucléarisation prend une accélération spectaculaire en 1974 (alors qu’aux USA les industriels sont méfiants et prudents). Le dossier nucléaire qui est présenté aux élus et à la population est des plus rassurants. Des scientifiques réputés se portent garants, tous les problèmes sont ou seront résolus. Le corps médical quant à lui assure que les rayonnements ne présentent aucun danger.
La précipitation du programme EDF de 1974 prenait prétexte de la crise pétrolière. En réalité la nucléarisation de la France se préparait depuis fort longtemps par la mise en place dès les années 50 d’une Commission gouvernementale pour la « Production d’Énergie d’Origine Nucléaire » (Commission PÉON) constituée de représentants de la technocratie de l’État et de l’industrie privée. Cette commission a défini le cadre et les responsabilités des différents partenaires nucléaires : l’État et les industriels.
L’activité de cette commission n’a guère eu d’écho dans les médias ou dans les institutions représentatives de la nation.
, tel était le crédo de base du dossier de l’énergie nucléaire en 1974. Elle devait servir de référence de perfection technologique dont toutes les autres industries devaient s’inspirer. Il en découlait que :
Les réacteurs n’étaient finalement que des « cocottes-minute » (Interview accordée à Énerpresse le 25 janvier 1975 par André Giraud, administrateur général du CEA puis ministre de l’industrie, puis ministre des armées). A la même époque en URSS les responsables soviétiques de culture différente de la nôtre assimilaient les réacteurs à des « samovars ».
par la mise en place de sa « défense en profondeur ». Une « triple barrière » entre le combustible et l’environnement devait assurer la protection de la population contre tout rejet intempestif.
Cela revenait à reconnaître la possibilité d’accident sur les installations puisqu’il fallait des « barrières » de protection mais cela ne fut guère remarqué.
voire inexistants et même bénéfiques pour les faibles doses de rayonnement.
L’existence d’un seuil de dose en dessous duquel il n’y avait aucun effet biologique était largement admise par la communauté scientifique. Les quelques chercheurs indépendants qui contestaient ce seuil n’eurent guère d’impact et furent mis sur des listes noires sans que leurs collègues protestent au nom de la liberté de discussion dans la communauté scientifique.
[bien qu’il fût affirmé par ailleurs que par mesure de précaution on dirait qu’il n’y en avait pas] était à la base de tout le système de radioprotection et servit de justification à des pratiques qui eurent des conséquences désastreuses (cancers) dans bien des services de recherche et dans l’industrie.
Les rejets radioactifs des réacteurs nucléaires n’étaient pas évoqués et dans l’opinion publique ils n’existaient pas.
En ce qui concernait les coeurs usés certains ont même affirmé qu’une bonne partie pourrait être utilisée comme médicaments (cela aurait transformé l’ensemble de la population en site de stockage ! ) Quant à ce qui n’était pas utilisable leur volume serait négligeable (l’équivalent en volume d’1/100ème de cachet d’aspirine par habitant au bout de dix ans d’après le Professeur Pellerin, le responsable de la santé). Des solutions seraient trouvées en laissant travailler tranquillement les chercheurs du CEA. Des scientifiques (Le Prince-Ringuet sur ce sujet était en pointe) avançaient la possibilité d’envoyer ces déchets dans le soleil, de les mettre sur la calotte glaciaire, de les introduire subrepticement entre les plaques continentales en glissement. Il serait assez curieux de ressortir cette littérature « scientifique » fantasmatique.
Il faut tout de même préciser que parmi les décideurs il y avait des gens beaucoup plus réalistes, soit sur la gestion des déchets nucléaires, soit sur la possibilité des catastrophes nucléaires. Mais ils furent suffisamment discrets et les médias suffisamment peu curieux pour que cela ne perturbât pas le consensus populaire.
Donnons-en deux exemples :
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En 1974 la revue Science et Vie publiait une polémique entre le physicien Hannes Alfen (prix Nobel 1970) et Marcel Boiteux, directeur général d’EDF, considéré comme le père du nucléaire français.
Ainsi, Alfen affirmait : » Le réacteur à fission produit à la fois de l’énergie et des déchets radioactifs : et nous voudrions nous servir maintenant de l’énergie et laisser nos enfants et nos petits-enfants se débrouiller avec les déchets. Mais cela va à l’encontre de l’impératif écologique « Tu ne lègueras pas un monde pollué et empoisonné aux générations futures » .
A cette position morale, sans nier qu’il n’y avait pas de solution satisfaisante pour éliminer les déchets, le responsable du programme nucléaire français, Marcel Boiteux répliquait : » N’est-ce pas une évidente et dangereuse illusion que de vouloir extirper de notre héritage toutes difficultés, toutes responsabilités, que de vouloir transmettre à nos descendants un monde sans problèmes « . En somme, on pouvait considérer l’absence de solution pour éliminer les déchets nucléaires comme une bénédiction pour nos descendants, une garantie de santé mentale. Marcel Boiteux a dû se réjouir en 1986 car Tchernobyl allait laisser un héritage particulièrement difficile à gérer et pour longtemps…
–
Avant de s’engager sérieusement dans des programmes électronucléaires importants, les industriels, gens prévoyants et prudents, exigèrent d’être assurés contre les effets d’accidents graves qu’ils estimaient possibles. Ils firent voter des lois limitant la responsabilité des exploitants nucléaires en cas d’accident. Dès 1957 le Congrès des États-Unis votait une loi (le Price-Anderson Act) qui limitait la responsabilité civile des exploitants en cas d’accident nucléaire ; une nouveauté dans le droit de la responsabilité civile.
En Europe, le 29 juillet 1960 était signée la « Convention de Paris » par 16 pays européens définissant la « responsabilité objective et exclusive » mais «
» [souligné par nous] en cas d’accident grave nucléaire. Il s’agissait d’après les termes de la convention de prendre »
« .
C’est en 1968 (loi du 30 octobre 1968) qu’ont été précisées en France les modalités de l’application de la convention de Paris.
Il est intéressant de mentionner l’intervention au Sénat le 17 octobre 1968 de M. Pierre Mailhe, le rapporteur de la commission des lois :
»
« . On s’attend à un ajustement du droit à ce nouveau risque pour une protection correcte de la population. »
«
[souligné par nous] (J.O du 18 oct. 1968, p. 831).
Cet élu de la nation avait la prémonition de Tchernobyl et d’ une version française possible. Avec le droit sur la responsabilité civile admise habituellement, l’accident nucléaire pouvait se doubler d’un désastre financier pour l’industrie nucléaire. Il fallait à tout prix éviter un tel « désastre ». Il est probable que la Commission PÉON n’a pas été étrangère à l’introduction de cette responsabilité « limitée » préalable au développement de l’industrie nucléaire en France.
Lors de la discussion de cette loi le 2 avril 1968 à l’Assemblée Nationale, Maurice Schumann, ministre d’État chargé de la recherche scientifique et des questions atomiques et spatiales, précisait dans son exposé des motifs que »
« . Cela garantissait une immunité totale aux sous-traitants en cas de malfaçon grave non détectée lors de la construction. Il semble bien que ceux-ci ne se sentaient pas capables d’assumer une technologie totalement parfaite. Le Price-Anderson Act américain ne prévoyait pas une telle limitation et les fournisseurs de composants de réacteurs pouvaient être tenus pour responsables au même titre que les exploitants.
Cette loi de 1968 fut modifiée le 16 juin 1990. Elle précisait dans son article 3 que »
« .
Fixons quelques grandeurs. L’incendie du siège du Crédit Lyonnais en 1996 a coûté 1,6 milliards de francs aux compagnies d’assurances. En clair, une catastrophe nucléaire devrait coûter moins cher à EDF pour indemniser les victimes qu’un demi-incendie du Crédit Lyonnais !
On peut remarquer, tant en ce qui concerne les déchets nucléaires, que les accidents désastreux de l’industrie nucléaire, qu’il y avait une vision assez claire et réaliste de la situation chez les décideurs, que des mesures ont été mises en place pour permettre à l’industrie nucléaire de se développer à l’abri de toute responsabilité mais que cela n’a guère transpiré dans le débat nucléaire. Les textes existaient, aucune censure ne s’est exercée mais les instances représentatives de la démocratie française les ont ignorés, voire étouffés, afin d’obtenir un large consensus de l’opinion publique, garantie d’un développement sans problème de l’industrie nucléaire. Ceci est une des composantes majeures du bas coût du nucléaire français en comparaison avec ses concurrents étrangers. C’est ce qu’affirmait cyniquement Marcel Boiteux le patron d’EDF le 6 décembre 1984 dans l’Événement du Jeudi. A la question »
« , il répond »
« .
La contestation fait monter le prix de l’électricité nucléaire, exigeant une réglementation pointilleuse, le respect de cette réglementation et des autorités de sûreté ayant un réel pouvoir sur les exploitants. L’absence de contestation permet une exploitation des installations avec de faibles contraintes. La France est devenue le rêve des promoteurs du nucléaire du monde entier. Pendant longtemps ce fut l’URSS qui eut ce privilège jusqu’à la survenue de Tchernobyl.
Marcel Boiteux, en lançant le programme d’électronucléarisation massive de la France, n’excluait pas l’éventualité du « pire », il l’admettait. Dans la polémique évoquée plus haut, (datant de 1974) Hannes Alfen précisait : «
« .
Marcel Boiteux très au fait du dossier nucléaire ne réfutait pas les arguments de Alfen sur la possibilté d’un accident nucléaire catastrophique. Il répliquait : »
« .
Non seulement Marcel Boiteux ne craignait pas le pire mais il se voyait en représentant de l’humanité. C’est ce genre de personnage qui fit la loi nucléaire en France avec l’accord et même le respect des pouvoirs politiques et l’indulgence des médias.
Enfin notre père du nucléaire français avait une vision assez lucide de l’impact que devait avoir son programme nucléaire sur l’organisation sociale par les contraintes inévitables sur la vie des citoyens. Marcel Boiteux, toujours dans l’article de Science et Vie de 1974, précisait : «
« . Et il ajoutait cyniquement »
« .
Ainsi pour lui les contraintes sociales qu’impose l’industrie nucléaire aux individus seraient la condition pour leur « liberté intérieure ». Vive la liberté intérieure dans une société nucléaire policière. Ce représentant de l’establishment nucléaire avait parfaitement conscience du slogan jadis lancé « société nucléaire, société policière ». Curieusement c’était pour lui la condition de notre liberté intérieure. Concernant notre liberté « extérieure » il ne donnait aucune précision. Aujourd’hui des antinucléaires s’étonnent et protestent contre certaines contraintes sociales imposées par l’industrie nucléaire ; par exemple les itinéraires et les horaires des transports du combustible MOX (qui contient du plutonium) sont maintenus secrets pour des raisons de sécurité. Ils oublient que ces contraintes sociales sont inéluctables, et pire encore, nécessaires pour réduire les risques de catastrophe.
extrait de : «
» de Roger et Bella Belbéoch (1997).
– en html sur : http://www.dissident-media.org/infonucleaire/index_sortir.html
– en format PDF zippé de 255 Ko sur : http://www.dissident-media.org/infonucleaire/sup_sort.zip
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