Une religion érigée en idéologie d’occupation
Catégorie : Global
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La guerre qui se déroule depuis plus de 60 ans entre Israël et la Palestine est devenue centrale. La plupart des guerres et des bouleversements de la région sont liés à la question palestinienne. Les problèmes fondamentaux du droit des peuples, de l’égalité, du colonialisme, du droit international ou de l’impunité de régimes qui commettent des crimes de guerre sont posés par ce conflit.
Une destruction méthodique et préméditée
Un peu d’histoire pour comprendre cette guerre :
l’immigration continue de Juifs venus principalement d’Europe à partir du début du XXe siècle a progressivement marginalisé le peuple palestinien en le dépossédant de sa propre terre. La volonté des institutions juives de créer un Etat Juif où les Non-Juifs seraient, soit expulsés, soit réduits à une condition de citoyens de seconde zone a abouti à la guerre de 1948-49. Cette guerre que les Israéliens appellent guerre d’indépendance et que les Palestiniens appellent la Naqba (la catastrophe) a abouti à l’expulsion programmée de 800.000 Palestiniens (les 3/4 de la population) de leur pays. L’Occident et les institutions internationales ont favorisé ou laissé faire cette « purification ethnique ». C’était une façon facile de se laver de leur responsabilité collective dans l’antisémitisme européen et le génocide nazi. Sauf que le peuple palestinien n’avait pas la moindre responsabilité dans ces crimes.
C’est une idéologie au départ très minoritaire parmi les Juifs, le Sionisme, qui a créé l’Etat d’Israël. Dès le départ, cette idéologie manifeste un caractère ultra-nationaliste en niant totalement les droits et même l’existence du peuple autochtone. En accaparant les terres (toutes les terres des Palestiniens expulsés sont confisquées dès 1950) et en en convoitant sans cesse de nouvelles, le projet sioniste est un projet colonial. Les Israéliens auraient souhaité réussir ce que les Nord-Américains ont réussi avec les Amérindiens ou les Australiens avec les Aborigènes : marginaliser les Palestiniens à un point tel qu’ils ne soient plus capables de revendiquer quoi que ce soit. Pendant très longtemps en Israël, on parlait « des Arabes », les Palestiniens n’avaient pas d’existence. Le Sionisme n’est pas une idéologie religieuse, mais c’est dans une lecture partiale de « la Bible » qu’il va trouver la justification de son projet fou de « regrouper tous les Juifs du monde dans un seul Etat ». Dès les années 50, l’immigration massive des Juifs du monde arabe est organisée. Israël devient un pays hypermilitarisé et un avant-poste de l’impérialisme américain au Moyen-Orient.
La fin du XXe siècle est une succession de guerres de conquêtes. En 1967, les Israéliens occupent les 22% de la Palestine qui leur avaient échappé 20 ans auparavant.
Aussitôt, la colonisation commence. Les colons, qui sont souvent des intégristes religieux, mais parfois aussi des banlieusards attirés par des logements à bas prix, accaparent les meilleures terres et l’eau de la région. Les Palestiniens s’accrochent à leur terre. La première Intifada révèle au monde entier un peuple qui combat à mains nues une des armées les plus puissantes. Depuis 1967, 650000 Palestiniens ont connu la prison. Certains y sont depuis plus de 30 ans. Il y a 11.000 prisonniers aujourd’hui.
Expulsée de Jordanie puis du Liban, la direction palestinienne résiste. L’OLP reconnaît en 1988 Israël dans ses frontières de 1949. C’est une concession énorme. Les Palestiniens renoncent à 78% de la Palestine historique. Ce processus aboutit aux accords d’Oslo (1993). Pourquoi ce processus a-t-il échoué ? Parce que jamais les Israéliens n’ont songé à évacuer les colonies (50.000 nouveaux colons s’installent entre Oslo et l’assassinat de Rabin). Parce que jamais les Israéliens n’ont accepté la moindre égalité des droits entre eux et les Palestiniens. Parce que 25% de la société israélienne est gangrenée par des idées intégristes voire fascistes (aujourd’hui Avigdor Liebermann est ministre). Parce que les gouvernements israéliens n’imaginent comme Etat palestinien qu’une espèce de bantoustan formé de cantons isolés, privés de terre, d’eau, de ressources naturelles et d’unité.
Depuis la deuxième Intifada, une destruction systématique de la société palestinienne est à l’œuvre. Un mur balafre la Cisjordanie, coupant les villages, détruisant les terres agricoles , isolant des zones promises à l’annexion. La construction du Mur a été condamnée par la Cour de La Haye, mais le gouvernement israélien se moque du droit international et procède par fait accompli. 750 check points rendent la vie des habitants impossible, empêchant la population de se déplacer, d’étudier, de se soigner. Les exécutions extra judiciaires se multiplient. La bande de Gaza est devenu un véritable « laboratoire ». La population y est enfermée, affamée, soumise à des attaques incessantes (plus de 400 assassinats ces six derniers mois). Privé de toute perspective de vie normale, le peuple palestinien a exprimé son refus en votant pour le Hamas. L’Europe a répliqué en coupant les vivres. C’est l’agressé qui est sanctionné, l’agresseur ne l’a jamais été. Même impunité lors de l’attaque contre le Liban cet été. 34 jours de guerre et 1.400 morts principalement civils. Le Sud-Liban a été détruit et de nombreux crimes de guerre commis. Il y a un consensus tragique en Israël pour dire que Hamas ou Hezbollah = terrorisme et pour trouver « moral » de tuer 20 civils pour abattre un « terroriste ».
La question du Sionisme
Cette idéologie apparaît en Europe à la fin du XIXe siècle. Alors que la plupart des Juifs résistent à la montée de l’antisémitisme et s’engagent massivement dans des mouvements progressistes ou révolutionnaires (souvent en abandonnant la religion), les Sionistes s’inscrivent totalement à contre courant de cette évolution. Ils n’ont aucune pensée universaliste, ils s’inscrivent dans le cadre de la montée des nationalismes européens avec l’idée simpliste : un peuple = un état. Pour eux l’antisémitisme est inéluctable. La citoyenneté ou l’égalité des droits sont des leurres. Ils sont contre toute forme de mélange, d’intégration ou d’assimilation. Ils pensent que les Juifs ne peuvent vivre qu’entre eux. Le Sionisme repose sur un mensonge fondateur : pour eux la Palestine serait une « terre sans peuple pour un peuple sans terre ». Les premiers colons s’emparent de la terre comme les colonialistes européens l’avaient fait dans leurs colonies. Au moment la guerre de 48, les Israéliens nieront toute responsabilité dans le départ des Palestiniens.
Le Sionisme vise quelque part à clore l’histoire juive. La diaspora est présentée comme une parenthèse alors qu’elle est l’essence même du judaïsme. Le nouvel Etat d’Israël est présenté comme le centre de toute vie juive. Un Juif est sommé d’émigrer en Israël ou à défaut, de soutenir inconditionnellement la politique de cet état. Sinon, il devient un traître ayant « la haine de soi ». La quasi-totalité des institutions juives laïques ou religieuses deviennent des officines de propagande pour l’Etat israélien. Cet Etat s’est construit en contradiction avec les valeurs du monde Juif : universalisme, cosmopolitisme, pluralisme. Les langues et les traditions des Juifs Arabes, des Séfarades, des Ashkénazes ont quasiment disparu au profit d’un modèle unique. Cette volonté d’éradiquer le passé pour construire un « homme juif nouveau » aboutit à une société malade, imbue de sa supériorité militaire et incapable d’accepter « l’autre » (le Palestinien) comme son égal.
Sans le génocide Nazi, Israël n’aurait pas existé. Pourtant le Sionisme n’a joué qu’un rôle marginal dans la résistance juive au nazisme. À partir des années 60, une instrumentalisation systématique du génocide et de l’antisémitisme est organisée. Chaque acte antisémite, réel ou supposé, est utilisé pour persuader les Juifs de venir s’installer en Israël. Le complexe de Massada est développé. Il s’agit de persuader les Juifs que tout le monde les hait, qu’ils ne peuvent compter que sur eux-mêmes et que toute critique d’Israël est fondamentalement antisémite. La propagande martèle « qu’Israël n’a pas de partenaire pour la paix » et « qu’Arafat est un nouvel Hitler ». Cet enfermement mental provoque une véritable fuite en avant, criminelle pour les Palestiniens mais suicidaire aussi pour les Israéliens. Comment peuvent-ils croire s’imposer durablement par la violence dans la région ?
Des Juifs pour la Paix
En Israël, une petite minorité que nous appelons « les anticolonialistes » résiste au rouleau compresseur. Ils ne sont pas très nombreux. En 1982, ils avaient réussi à faire descendre des dizaines de milliers de manifestants contre la première guerre du Liban. Cette fois-ci, ils n’ont été au plus qu’une bonne dizaine de milliers quand l’armée israélienne pilonnait le Liban.
Qui sont-ils ?
Des refuzniks (1.400, ce n’est pas rien) qui préfèrent aller en prison plutôt que de servir dans les territoires occupés, des personnalités politiques comme Michel Warschawski, des universitaires comme Tanya Reinhart, des historiens « dissidents » comme Ilan Pappé, des journalistes comme Gideon Lévy ou Amira Hass. Il y a des groupes politiques : le Hadash (parti communiste qui est « binational »), le Bloc de la Paix d’Uri Avnery. Il y a les Femmes en Noir et d’autres associations qui vont sur les barrages pour témoigner. Il y a « les Anarchistes contre le Mur » qui manifestent régulièrement avec les Palestiniens. Certaines associations ont des tâches spécifiques comme l’association des familles endeuillées de Nurit Peled ou Zochrot qui recherche les traces des anciens villages palestiniens avant la Naqba. Tous ces groupes qui rencontrent régulièrement les Palestiniens représentent l’espoir d’un futur pacifique possible.
En France, l’Union Juive Française pour la Paix s’est développée à partir de la deuxième Intifada. Elle fait partie d’un réseau d’associations juives progressistes européennes dans 10 pays. Par notre présence dans les collectifs pour la Palestine, nous montrons que la guerre là-bas n’est ni religieuse, ni communautaire, ni raciale. Elle porte sur la question de l’égalité des droits et de la justice. Face au CRIF qui prétend parler au nom de tous les Juifs, nous disons « pas en notre nom ». Nous nous revendiquons d’une autre histoire juive, celle des militants anticolonialistes ou des résistants au nazisme. Et puis, nous sommes en première ligne pour empêcher une instrumentalisation du génocide. Oui l’antisémitisme est un crime (européen). Non, il ne justifie en rien l’injustice fondamentale faite aux Palestiniens. Cette injustice doit cesser, c’est le sens de notre engagement.
Pierre Stambul
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