Il y a quelque chose d’obscène dans les réactions de presque tou.tes les dirigeant.es politiques et les médias français face à ce qui se passe en Palestine.

Personne ne peut prétendre ne pas savoir.

« Nous ne savions pas » ont dit beaucoup d’Européen.nes quand les preuves de l’extermination nazie sont devenues flagrantes. Cette prétendue culpabilité a abouti à faire payer le prix du génocide aux Palestinien.nes qui n’avaient aucune responsabilité dans ce crime.

Comment prétendre aujourd’hui qu’on ne sait pas ce qui se passe à Gaza ?

« Les Palestiniens sont des animaux humains » a déclaré le ministre israélien de la défense Yoav Galant. Et le ministre du « patrimoine » Amichaï Eliyahou a suggéré qu’Israël envoie une bombe atomique sur Gaza. Qu’importe : Israël est un « État démocratique », n’est-ce pas ?

À l’heure des réseaux sociaux et d’Al Jazeera, on ne peut pas ne pas savoir ce qui est à l’œuvre : 13000 mort.es à ce jour [plus de 20.000 au 24 décembre] dont une grande majorité de femmes, d’enfants et de vieillards. Des dizaines de tours et des centaines de petits immeubles écrabouillés, plus d’un million et demi de personnes chassées de chez elles et malgré tout bombardées, un acharnement contre les hôpitaux, la centrale électrique, les panneaux solaires, les journalistes (60 mort.es), les personnels de l’UNRWA (plus de 100 mort.es), l’immeuble du PNUD, celui de l’ONU, l’Institut Culturel Français, les écoles, les réservoirs d’eau … Des familles entières visées et exterminées : 8 mort.es le premier jour dans la famille Abu Rock, 37 dans la famille Khuder, 48 dans celle de l’ambassadrice de Palestine en France, plus de 50 dans celle de la militante féministe Mariam Abu Daqqa … Ce ne sont pas des « bavures », c’est une volonté délibérée « d’élimination ».

Les images montrant des pères transportant dans leurs bras des enfants morts ou mourants, celles où l’on voit les hôpitaux transformés en morgue et le sang omniprésent sont certes dérangeantes, mais tout le monde peut les voir. Le négationnisme vis-à-vis de ce massacre de masse n’est pas admissible.

Lors des précédents bombardements meurtriers qui ont fait 5000 mort.es en 15 ans, Gaza s’était relevé. Le tissu social s’était reformé, la population avait recommencé à cultiver la terre, à pêcher, à commercer, à éduquer les enfants, à faire la fête. Là, on assiste sans pouvoir l’empêcher, à une éradication de la société de Gaza. C’est plus qu’un nettoyage ethnique.

Tuer des humains et tuer l’histoire. Tuer le vocabulaire`Le récit sioniste tue l’histoire. Selon lui :

« Il n’y a pas eu de conquête coloniale de la Palestine, les Juifs sont rentrés chez eux après 2000 ans d’exil ».« La Palestine était une terre sans peuple pour un peuple sans terre, donc les Palestiniens sont des intrus ou n’existent pas ».« Les Arabes sont partis d’eux-mêmes en 1948, il n’y a eu aucun nettoyage ethnique ».« La création d’Israël est légitime et ceux qui en doutent sont des terroristes ».« Du désert, Israël a fait un jardin. Les intrus qui habitaient là étaient des arriérés ».« Israël était menacé d’anéantissement en 1967. L’attaque, la conquête de nouveaux territoires et la colonisation sont des actes de défense ».« Après Oslo, Arafat a refusé des offres généreuses ».Retour ligne automatique« Les colons sont chez eux, Dieu leur a donné cette terre ».« Les Palestiniens sont tous des terroristes qu’on doit enfermer ou expulser puisqu’Israël a le droit de se défendre ».« Israël a le droit à la sécurité ». Même et surtout contre ses victimes.

Ce discours qui n’a pas le début d’une vraisemblance historique continue d’être asséné avec le soutien inconditionnel de la majorité des médias et de l’Occident.

Alors soyons clair sur ce qui est à l’œuvre.

Ce n’est pas une guerre d’Israël contre le Hamas, c’est une guerre de destruction contre l’ensemble du peuple Palestinien.

Israël ne se défend pas contre un peuple qu’il a expulsé (75% de la population de Gaza est constituée de réfugié.es) et qu’il enferme. Israël agresse en permanence une population qui vit dans une prison à ciel fermé depuis 17 ans. Il n’y a eu ni « riposte », ni « représailles ». D’ailleurs en 2019, les « marches du retour » totalement pacifiques ont eu un bilan terrible : 350 mort.es et 8000 estropié.es.

Le but de l’agresseur n’est pas d’éradiquer le Hamas qu’il a largement contribué à mettre au pouvoir. Son but est « d’achever la guerre de 48 » pour reprendre une expression d’Ariel Sharon. Détruire définitivement Gaza. Transformer ce territoire en monceau de ruines vidé de ses survivant.es, annexer l’essentiel de la Cisjordanie.

En Israël, la parole raciste s’est libérée. Sylvain Cypel prête ces propos à beaucoup d’Israélien.nes : « on ne veut pas vivre avec ces gens-là. Et on n’en a rien à foutre de ce que vous pensez ». Cette parole devenue majoritaire annonce une nouvelle « Nakba . Celles et ceux qui font semblant de ne pas le voir sont complices des fascistes suprémacistes au pouvoir en Israël.

De l’usage du mot « terroriste ».

Après 1945, le « droit international » s’est élaboré. Le concept de « terrorisme » n’existe pas dans le droit international. Si on considère qu’est terroriste tout groupe armé qui tue des civil.es désarmé.es, alors comment parler du terrorisme du Hamas sans parler de celui de l’armée israélienne et des colons ? Comment ne pas parler du terrorisme états-unien dans les guerres que ce pays a mené au Vietnam, en Irak ou en Afghanistan ? Comment ne pas parler du terrorisme de l’armée française en Indochine ou en Algérie ? Ou plus récemment au Sahel ?

En fait, ce mot est systématiquement utilisé par les États dominants pour désigner tout groupe armé qui s’oppose à eux. Cela permet de gommer la « raison d’être » de ce qu’ils appellent le terrorisme. Quand quelqu’un s’évade de prison en tuant son gardien et ceux qui l’entourent, ce n’est pas un « terroriste ». C’est ce qui vient de se passer à Gaza. Gommer l’occupation, la colonisation et l’enfermement, c’est inverser les responsabilités.

Par contre les termes « apartheid », « crimes de guerre », « crimes contre contre l’humanité » ou « génocide » sont parfaitement définis dans le droit international. Ils s’appliquent totalement à ce qui est à l’œuvre.

Le fait que, malgré la nature évidente du régime israélien, il bénéficie d’un tel soutien signifie que le capitalisme ne fait plus semblant de respecter les droits de l’homme et les libertés fondamentales. On passe, au niveau mondial, à une nouvelle phase de violence sans limite contre les « dominés ».

Manifestations et complicité.

En Occident comme dans le monde arabe, il y a un divorce manifeste entre les dirigeants politiques et les peuples.

C’est clair dans le monde arabe. Le Maroc a normalisé ses relations avec Israël qui l’aide militairement contre les Sahraouis. Et pourtant, les manifestations pro palestiniennes sont quotidiennes dans toutes les grandes villes du pays. En Égypte, les premières manifestations depuis le début de la dictature militaire ont eu lieu au Caire et à Alexandrie, et c’est pour soutenir la Palestine. En Jordanie, les manifestations ont forcé le roi à annuler un sommet de Biden avec les dirigeants arabes.

En Amérique latine, où vit une importante communauté palestinienne, plusieurs pays ont rappelé leur ambassadeur en Israël.

En Asie, les manifestations ont eu lieu dans des pays musulmans (Turquie, Malaisie, Bahreïn) mais aussi à Bangkok.

En Grande-Bretagne, le divorce entre les dirigeant.es politiques et la population est flagrant. Malgré la complicité des leaders des deux grands partis, des centaines de milliers de manifestant.es ont défilé à Londres et une soixantaine de député.es travaillistes ont défié leur chef.

Aux États-Unis où Biden s’est tiré une balle dans le pied en réarmant Israël et en apparaissant à juste titre comme celui qui aura empêché le vote d’un cessez-le-feu, de sérieuses fractures sont apparues, y compris dans l’establishment au pouvoir. Il y a aussi l’engagement de nombreux/ses Juifs/ves dans des actions spectaculaires contre le génocide en cours : occupation d’une gare, de la statue de la liberté …

Pour arrêter la liquidation du peuple palestinien, il y a un espoir : que les peuples du monde entier se soulèvent.

Mariam Abu Dagga.

En France, la complicité avec les suprémacistes israéliens a franchi un nouveau pas. Pour avoir rappelé ce qu’aurait été le positionnement d’un De Gaulle ou d’un Chirac, Dominique De Villepin est apparu comme un gauchiste. Macron, après avoir proposé l’engagement des troupes françaises contre le Hamas, a chargé Darmanin de criminaliser tout soutien à la Palestine.

Le gouvernement a participé aux manifestations organisées par le CRIF.

La présidente de l’Assemblée est allée en Israël avec Éric Ciotti et le député des colons Habib Meyer. Darmanin a interdit les premières manifestations avant d’être désavoué par la justice. Ses préfets en ont rajouté, celui du Tarn et Garonne considérant que « soutenir la Palestine était une atteinte à la dignité humaine ».

Entre Télé Bolloré et Télé Drahi, sans oublier France Info, il y a eu un matraquage pour présenter les Israélien.nes comme des victimes du terrorisme islamique et surtout pas comme les citoyen.nes d’un État d’apartheid qui votent très majoritairement pour les diverses formes de l’extrême droite depuis des décennies.

Le cas de Mariam Abu Daqqa est emblématique. Dirigeante du Front Populaire de Libération de la Palestine (FPLP), militante féministe du monde arabe qui n’a jamais porté le foulard et qui est unanimement respectée à Gaza, elle a été arrêtée dans ma voiture le 16 octobre. Nous avons fait casser l’arrêté d’expulsion le 20 octobre. Darmanin a fait appel au Conseil d’État. Manque de chance, celui-ci était présidé sur cette affaire par celui qui avait rédigé l’état d’urgence à l’époque de Valls.

Les affirmations de Darmanin contre Mariam sur le Hamas, l’incitation à la haine ou à la discrimination, l’assassinat d’Arras ont été balayées. Restait le « FPLP terroriste » ou plutôt considéré comme tel par l’Union Européenne. C’est le prototype de la complicité occidentale : à Oslo, l’OLP a été chargée d’assurer la sécurité de l’occupant et à ce titre, a bénéficié d’une reconnaissance internationale. Or, le FPLP est, après le Fatah, le deuxième parti de l’OLP.

Pourquoi terroriste ? En 2001, l’armée israélienne assassine le secrétaire général du FPLP Ali Mustafa. En réponse, le FPLP exécute un authentique criminel de guerre, le général Rehavam Zeevi. Et toute la direction du FPLP, avec à sa tête Ahmed Saadat est capturée et se trouve en prison dans des conditions très dures depuis plus de 20 ans. Pour l’UE, c’est le FPLP qui est terroriste.

Le Conseil d’État a rétabli l’expulsion de Mariam le 8 novembre. Le soir, elle animait le débat au cinéma sur le film Yallah Gaza. Elle a été enlevée violemment dans un lieu privé à minuit par quatre policiers en civil. SK qui l’accompagnait a été jetée à terre et a 45 jours d’ITT. Mariam a été trimbalée dans divers lieux de rétention jusqu’au CRA près de l’aéroport de Roissy. Alors qu’elle avait un billet pour le Caire le 11 novembre, ils ont essayé de l’embarquer vers Israël. Elle est finalement partie pour le Caire avec 24 heures d’avance. Tout ça pour ça.

L’instrumentalisation de l’antisémitisme

Il n’est plus possible aujourd’hui de parler des « actes antisémites » sans parler de leur instrumentalisation.

Il y a un État qui se dit juif, des colonies qui se dites juives, un CRIF qui prétend parler au nom de tous les Juifs, un pouvoir qui assimile l’antisionisme à l’antisémitisme, un même pouvoir qui multiplie les actes et les déclarations contre tout ce qui est arabe, noir, rom, musulman, mais qui dit « contre les Juifs, c’est interdit ». Comme si ça protégeait les Juifs ! Il y a une propagande qui feint d’oublier que l’antisémitisme et le génocide nazi se sont déroulés en Europe et pas dans le monde arabo-musulman.

L’antisémitisme a été un racisme à part au moment de l’extermination. Il ne l’est plus. C’est contre le racisme sous toutes ses formes qu’il faut lutter. La manifestation du 12 novembre « contre l’antisémitisme » au côté de tou.tes les racistes qui réhabilitent Pétain ou Maurras et laissent crever en mer les migrant.es avait un côté obscène. En plein génocide à Gaza, ça ressemblait beaucoup à une manifestation de soutien au carnage en cours.

L’antisémitisme (le mot est impropre, il a été inventé par Wilhelm Marr, un des premiers racialistes du XIXe siècle) a été le dénominateur commun de toutes les idéologies d’extrême droite. L’antisémitisme, ça reste majoritairement le fait de l’extrême droite, à l’image d’un Elon Musk qui est toujours courtisé malgré ses propos.

Les peuples dominés et stigmatisés ont été les peuples colonisés hors d’Europe, les Juifs et les Tziganes en Europe. Face à ceux qui feignent de ne pas savoir que la guerre au Proche Orient est une guerre coloniale et n’est ni « raciale », ni communautaire, ni religieuse, on doit rappeler que la haine du Juif n’est pas seulement immorale. Elle aide objectivement celles et ceux qui massacrent le peuple palestinien.

La peur est un moteur pour l’apartheid israélien et pour l’adhésion de beaucoup de Juifs/ves à la politique meurtrière d’Israël.

Rappeler sans arrêt que Juif, sioniste et israélien, ce n’est pas pareil, que la plupart des Palestiniens font cette distinction, que 40% des jeunes juifs des États-Unis (selon un sondage) considèrent qu’Israël est un État d’apartheid est bien plus efficace que défiler au côté de pompiers pyromanes ou d’antisémites pro israéliens.

Enfin, on ne doit pas se taire vis-à-vis de courants prétendument progressistes qui sont bien silencieux sur l’apartheid israélien ou le génocide en cours et qui mettent toute leur énergie à réécrire l’histoire et à voir l’antisémitisme à gauche ou dans le mouvement de soutien à la Palestine. En Allemagne, ce sont les Antideutsches. Ici ce sont le RAAR (Réseau d’Actions contre l’Antisémitisme et tous les Racismes) et les JJR (Juifs et Juives Révolutionnaires).

Défendre la Palestine, c’est lutter pour nous-mêmes.

Le « Monde libre » a pu nous abuser un moment en dénonçant avec nous les crimes de guerre commis en Syrie, en Iran, contre les peuples ukrainien ou ouighour. L’appui inconditionnel donné aux massacreurs israéliens rappelle les pires moments : les guerres coloniales, le soutien aux militaires fascistes en Amérique Latine, le Vietnam.

Ce monde libre est en passe d’organiser une nouvelle Nakba et l’annexion d’une bonne partie de la Cisjordanie. En appuyant le déplacement forcé de centaines de milliers de personnes, il montre qu’il n’a aucun problème à piétiner un « droit international » dont il prétend se réclamer. Les conséquences sont multiples : renforcement des mesures autoritaires, information muselée, interdiction de toute opinion anticolonialiste ou égalitaire. Ne les laissons pas faire !

Pierre Stambul (20 novembre)

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