L’apocalypse présente n’est pas le début de la fin, mais son ajournement perpétuel. La crise permanente n’est plus la crise classique qui signifiait “moment décisif”, fin de la suspension, mort ou salut, c’est l’état du monde, et de sa gestion. Elle est fin sans fin, apocalypse durable, suspension indéfinie, différemment efficace de l’effondrement effectif, et pour cela état d’exception permanent.

La fiction Apocalyptique (et sa version capitaliste, de la « crise ») qu’elle soit dans la bouches des gouvernants ou des réalisateurs de films est une opération politique à plusieurs étages :

Déstabilisation. Les effondrements boursiers du monde, la mise en cessation de paiement de pays entiers, l’instabilité planétaire la plus fracassante ne doivent pas nous abuser : il n’y a pas présentement de crise du capitalisme en tant que commandement politique global. Ce qu’il y a, c’est un discours capitaliste de la crise, qui forme depuis les années 1970 une nouvelle technique de gouvernement. « Prévenir par la crise permanente toute crise effective ». Cela s’apparente, à l’échelle du quotidien, à la pratique contre-insurrectionnelle bien connue du « déstabiliser pour stabiliser », qui consiste pour les autorités à susciter volontairement le chaos afin de rendre l’ordre plus désirable à la population que la révolution.

Dépolitisation. Dans sa version apocalyptique, le changement vient d’un ailleurs totalement étranger : comète, martiens, dieux, zombies. Parfois plus familier : cataclysme climatique, guerre nucléaire, épidémie. Il en est de même quand il s’agit de la « crise » : marchés, spéculateurs, étrangers ou encore fainéantise. Au final le même effet : les changements majeurs de sont pas l’œuvre des hommes et si elles le sont, c’est contre leur volonté et à leurs dépends. Notre seule attitude possible est la réaction, et au pire l’attente. Et d’ici là, passer le temps.

Anticipation. Dans le même temps, les gouvernements travaillent à une ingénierie toujours plus fine permettant à leur pouvoir et à l’économie de perdurer, quoi qu’il se passe. Pensant les infrastructures de communications, de transports ou énergétiques, la résilience devient la science d’un gouvernement durable (face au catastrophe) et diffus (pour tenir, la décentralisation est plus efficace).

Maintenant.

Que peut-on apprendre de ce mouvement ? Comment s’en inspirer, le contrer ? Est-ce qu’une modification des formes de pouvoir appelle une modification des formes de résistances ?

Comment dans la catastrophe qui vient et qui ne vient jamais, dans cette catastrophe d’un temps qui n’est pas vraiment là, faire durer et consister un temps présent ? Comment dans un embrassement, résister à la fatigue et à la peur, le faire durer ? Comment le susciter ?

Comment ne pas revenir à la normale ? Comment s’épaissir ?