Une erreur dans le budget
de l’Éducation Nationale ?

Quand – dans un contexte de réformes brutales imposées par Blanquer (parcoursup, réformes des lycées, du bac, « école de la confiance », etc, etc…) créant toujours plus de concurrence, d’inégalités, de stress, de musèlement des enseignants, auquel se rajoute la situation de crise sanitaire aggravant encore les conditions des élèves – les enseignants du département ont pris connaissance des moyens alloués à leur établissement l’année scolaire prochaine, ils se sont demandés si il n’y avait pas une erreur dans le budget de l’Éducation Nationale :

  • 1883 suppressions de postes à l’échelle du pays, dont 105 à l’échelle de la Bretagne et jusqu’à 15 dans un seul lycée rennais (!), alors que l’année prochaine il y aura 43 500 élèves supplémentaire dans le système scolaire,
  • recours contraint pour chaque établissement à un volet croissant d’heures supplémentaires imposées aux enseignants,
  • non-renouvellement subi de nombreux temps partiels,
  • non-remplacement dans les écoles des collègues absents, etc, etc…
    Le tout sachant que pour la deuxième année consécutive, Blanquer a fait en sorte de ne pas dépenser 200 millions d’euros sur le budget prévu de l’Éducation nationale (soit l’équivalent de 4200 postes d’enseignants). Ces 200 millions d’euros ayant été rendus à Bercy au lieu de maintenir et créer des postes !

Mais non, pas d’erreur : la destruction méthodique d’un service public est bien à l’œuvre, les réformes ont été faites pour ça et elles s’appliquent.

Écœurés par de telles mesures, des enseignants de plusieurs établissements ont choisi de s’adresser à la population pour dénoncer cette politique : ils ont confectionné des « silhouettes » symbolisant les postes supprimés dans leur établissement, ont imprimé des affiches décrivant la politique menée et se sont donné rendez-vous place de la Mairie de Rennes, le mercredi 10.02.21 à 15h, sous le soleil et sur fond de neige, en respect des distanciations sociales évidemment…

Menace de 135€ d’amende
sans fondement légal

Mais voilà, à peine arrivés sur place, dans une ambiance joyeuse et déterminée, la soixantaine d’enseignants a reçu la visite d’une quinzaine de policiers qui ont immédiatement donné l’ordre de se disperser sous peine d’une amende de 135€ pour « participation à une manifestation non-déclarée » ou pour « non-respect des règles de distanciation sociale ». C’est là que la loi n’est plus respectée : la confusion entre ces deux motifs de contravention est la base de ce qu’on nomme en droit administratif d’une « voie de fait » (lorsque l’État porte, de fait, une atteinte grave à une liberté fondamentale du citoyen).

En effet, il n’existe pas d’amende pour « participation à une manifestation non-déclarée », mais pour « participation à une manifestation interdite », or pour qu’une manifestation soit interdite il faut qu’il y ait un arrêté préfectoral d’interdiction, et que cet arrêté se base lui-même sur une déclaration préalable en préfecture de la volonté de faire le rassemblement qui aurait été refusée. Or ce rassemblement n’ayant été déclaré par personne (il était purement informel), il n’a pu être interdit, et même si un arrêté l’avait interdit, cet arrêté aurait été entaché d’irrégularités et donc contester les amendes qui en auraient découlées eût été chose facile…

En réalité, et contrairement au discours des policiers, l’amende qui aurait été infligée aurait portée non-pas sur la « participation à une manifestation interdite », mais sur le « non-respect des règles de distanciation sociale », prévue par le décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures de l’état d’urgence sanitaire qui prévoit que les rassemblements de plus de 6 personnes sur la voie publique sont interdits (en dehors des cas autorisés par la préfecture).

Mais dans la pratique, sur le moment du rassemblement, si les flics entrent dans un discours de type « vous ne respectez pas les règles de distanciation sociales », ils n’ont pas vraiment de prise sur la situation et s’exposent à ce que les manifestants se distancent, discutent individuellement de « à combien de mètres ils sont les uns des autres », etc… et du coup ils n’arrivent pas à « disperser ». Tout repose sur « ce qu’est un rassemblement » et quand il n’y a pas de déclaration officielle c’est à l’administration de prouver qu’il y en a un…

Or, en disant d’emblée « ce rassemblement n’est pas déclaré, dispersez-vous sinon amende » ils apparaissent comme ayant un discours beaucoup moins discutable et plus facilement menaçant, bien que n’ayant pas de fondement légal en soi : c’est seulement quand ils recevront le courrier dans leur boite aux lettres que les manifestants verront le vrai motif « non-respect des règles de distanciation sociale » qui est un motif légal (bien qu’également discutable et contestable selon les cas). Mais ce sera trop tard : le rassemblement aura été dispersé sur la base de menaces n’ayant pas de fondement légal et les quelques-uns qui auront donné leur identité auraient une amende à contester.

Voilà comment sont détournés ces deux dispositifs juridiques (récrimination de « participation à une manif interdite » et « non-respect des distanciations sociales ») pour permettre dans la pratique (alors qu’en théorie rien ne l’autorise) le genre de situation à laquelle on a assisté : l’application à des individus de conséquences pénales découlant de leur participation à un rassemblement collectif que seule la police estime, alors que dans les faits il est beaucoup plus difficile de dire qui participe à un rassemblement ou pas, et donc si ce rassemblement existe bel et bien, ou non.

La police dénit
notre droit à manifester

Bien sûr, tout est plus simple si on a l’accord de la préfecture, mais en passant systématiquement par la demande d’autorisation, on avalise le fait que, dans la pratique, manifester n’est plus un droit en France, c’est seulement quelque chose qui peut être autorisé par la préfecture. Alors qu’en théorie, les lois et les conventions internationales disposent que manifester est un droit en France, qu’on ne peut être poursuivi pour s’être seulement rassemblé à un endroit à un moment…

Certes le décret sur l’état d’urgence sanitaire donne la possibilité de disperser ou réprimer les rassemblements non-autorisés de plus de six personnes, mais établir l’existence de ce rassemblement et le fait que des individus y participent ne peut être une décision arbitraire de la police.

Ainsi, si on met bout à bout les mesures liberticides de « l’état d’urgence sanitaire » et la pratique qu’en a la police on aboutit au déni des droits dont nos dirigeants se prévalent si fièrement mais qu’ils détruisent dans la pratique. On peut ainsi être dans une démocratie théorique, mais une dictature pratique.

Menaces de la police : un fait
qu’il faut taire chez Ouest-France ?

Il est également intéressant de lire l’article Ouest France de la journaliste qui a couvert ce rassemblement (Rennes. Une cinquantaine de profs alertent sur les suppressions de postes). Il reprend les principaux reproches que les enseignants font aux mesures budgétaires et relate l’ambiance « bon enfant », ce qui n’est déjà pas si mal pour ce média. Mais, alors que la journaliste a assisté aux pressions très menaçantes et incessantes de la police directement intervenue, jusqu’à dispersion effective, aucune trace ne mentionne ce fait dans l’article… Est-ce un fait qu’il faut taire ?