Qui peut réellement croire que mobiliser 7 ou 8 bonhommes pour porter un thermos et un sac à demi-vide représente une réponse pragmatique et efficace à la faim et au froid ? De qui se moque-t-on ? Où plutôt, quels faits cherche-t-on à manipuler ? En tant que militant-e-s radica-ux/les, nous sommes très critiques envers les réponses humanitaires du type Resto du Coeur, Secours Populaire ou Secours Catholique mais il faut leur accorder une capacité logistique toute autre pour parer à l’urgence. Ainsi, les Restos du Coeur 49 ce sont 691 tonnes de denrées alimentaires récoltées par an ou encore près de 19000 repas chauds distribués dans la rue (2).

Pour les fascistes, ces « actions » ne valent on le sait qu’en tant que matériau de base à la construction de leur propagande sur les réseaux sociaux. Et le sous-texte des photos colportées à longueur de fil facebook est le suivant : Regardez comme nous prenons soins de NOS pauvres (blancs/français/chrétiens et si possible tout cela à la fois), sous-entendu : « les autres peuvent bien crever ». En cela, ils rappellent les « dames-patronesses » bourgeoises et aristocrates du XIXème siècle finissant, qui pendant que leur maris fabriquaient la misère et la précarité à tours de bras, arpentaient les rues pour venir en aide aux « bons pauvres », à savoir ceux qui ne boivent pas, de bonnes moeurs, qui disent merci et qui ne subvertissent en aucun cas l’ordre social dont ils sont pourtant les premières victimes. A chacun sa place (et cela vaut aussi pour les dames-patronesses assignées à leurs obligations de genre). La charité est comme l’on dit «  bien ordonnée » : elle est sélective, elle trie, elle classe. « Les nôtres avant les autres » , l’expression est adéquate en ce qu’elle peut être réduite à un «nous » égoïste qui se moque éperdument de l’autre. Ce dernier sert de faire-valoir. C’est le résumé même de la pseudo-action sociale de l’alvarium où « Le pauvre français » ne sert que comme support d’une communication identitaire destinée à monter les pauvres les un-e-s contre les autres.

Le but n’est donc pas de s’attaquer à la misère et à ses racines. Surtout-pas même ! Par exemple, le « Noël des malchanceux » organisé par l’alvarium fin 2018 en est une démonstration symptomatique.

On peut parler de cynisme quand d’aucuns osent réduire l’injustice sociale de la pauvreté à une triviale question de chance, ne pas avoir été un « veinard » selon leur réthorique. Ce discours de l’extrême-droite passe sous silence les déterminismes historiques ou sociaux. C’est la vaste blague de l’« égalité des chances » et, si tu as raté ta vie, tu peux ne t’en prendre qu’à toi-même. Il y a une négation des rapports de classes, ce qui n’est pas surprenant quand on sait qu’historiquement les régimes fascistes/fascisants se sont aussi construits sur la collaboration de classes via l’embrigadement et le corporatisme.

L’extrême-droite identitaire cherche à substituer des réponses individuelles à un rapport de forces créé collectivement (par exemple les luttes syndicales ou encore les réquisitions). Les fascistes et autres réactionnaires préfèrent un « objet » de charité à un « sujet » acteur de sa propre émancipation et qui pourrait remettre en cause l’ordre établi. Les petits fafs qui donnent l’aumône mais ne permettent même pas la survie s’érigent bel et bien en garants du statu quo social. Les discours « anti-système » ne sont là que pour la façade et ils ne savent que trop bien qu’ils sont placés du bon côté du manche. L’extrême-droite va donc parler de « malchanceux » voire d’« exclus » parce que cela permet d’éviter de parler d’exploité-e-s, d’opprimé-e-s où de dominé-e-s.

On revient à cette caractéristique récurrente de l’extrême-droite : une vision organique et hiérarchique de la société où, comme dans un corps, chacun-e a une place et une fonction et doit s’y tenir sous peine de déstabiliser l’équilibre de la société toute entière (3). Le problème des pauvres est donc d’accepter la rigidité de leur condition de malchanceu-x/ses avec fatalisme. Cela permet de dépolitiser la question de la solidarité sociale voire tout simplement de l’évacuer.

Il n’est pas inutile pour finir, de rappeler quelques points qui séparent franchement l’action sociale de la charité et qui peuvent servir de boussole. En premier lieu un consentement libre et éclairé. Le côté souvent « volé » qui se dégage des photos de maraudes des groupes d’extrême-droite ne concoure pas à lever ce doute sérieux sur la manipulation et, sans trop s’étendre sur ce point, il y a chez les fachos un plaisir malsain à objectiver et manipuler les SDFs, à les mettre en position d’obligé-e-s. Surtout la solidarité ne peut se concevoir qu’avec le critère d’inconditionnalité. Faut-il demander ses papiers à une personne qui se noie ? Avant, seule l’extrême-droite pouvait soutenir de tels raisonnements ab absurdo. Les lignes ont bougé et maintenant Salvini n’est pas le seul politique qui porte la responsabilité d’avoir transformé la Méditerranée en cimetière, loin de là.

On peut opposer leur conception mortifère à celle de l’entraide chère à Kropotkine qui désigne un échange réciproque et volontaire de ressources et de services au profit de tou-te-s. C’est l’entraide qui anime nombre de collectifs angevins autour de thématiques aussi diverses que les réquisitions de logements, la luttes pour l’accès aux droits, l’autodéfense sociale dans les quartiers, etc. Ils/elles mettent en pratique l’entraide depuis bien longtemps et avec parfois de beaux résultats (sans nier les galères car la pauvreté génère des stigmates dont on ne se départit pas facilement) sans pour autant inonder les réseaux sociaux d’un narcissisme toxique. Ce sont ces initiatives qu’en tant qu’antifascistes nous devons appuyer si nous voulons sortir de l’ornière identitaire.

Une chanson valant parfois mieux qu’un trop long discours nous vous conseillons l’écoute de cette chanson de Jacques Brel qui résume à merveille la conception de l’action sociale lorsqu’elle est portée par l’extrême-droite.

Le RAAF

Notes :

1 – Nous avons bien conscience que cet effondrement a aussi eu pour corollaire de réalimenter une dynamique de violence assumée autour des Zouaves et autres bandes de bourrins.

2 – Quelques chiffres chiffres :
3 Chantiers d’Insertion (53 salariés en insertion + 5 CAE)
2 Entrepôts à Angers Cité du Doyenné et à St Barthélemy
16 Salariés en CDI et 5 services civiques et un mécénat Orange
1 498 bénévoles dont 54.9 % de femmes: bénévolat valorisé à: 4 482 312 €.(288 ETP)
7 831 familles accueillies de mai 2017 à avril 2018 (+ 22.7 %)
17 609 personnes accueillies de mai 2017 à avril 2018 (+ 18.2 %)
1 120 bébés de 0 à 18 mois aidés de mai 2017 à avril 2018 (+1.2 %)
1 724 349 équivalents repas distribués adultes et bébés (+ 23.7 %)
23 familles logées et accompagnées en sous-location
RestoBus : 10 894 repas chauds distribués aux plus démunis à Angers gratuitement 3 fois par semaine sur 44 semaines de l’année avec 95 bénévoles dédiés.
Petits déjeuners Chemin de traverse : 7j/7j de 7H à 9H30 depuis début février 2018 pour les gens de l’abri de nuit : 3 789 petits déjeuners dont 35% d’enfants sur 77 jours de fonctionnement.
15 Jardins de proximité couvrant 87 400 m² produisent 117 800 Kg de légumes avec 90 jardiniers encadrés par 85 bénévoles
691 Tonnes de ramasses, dons et collecte alimentaire sur l’année.

https://www.restosducoeur49.fr

3 – Cette vision explique les comparaisons de réfugié-e-s décrit-e-s comme des « corps étrangers » et autres variations plus ou moins ignominieuses sur le thème de la « corruption » voire de la « vermine ».