Maître Hervé Gerbi,

Nous sommes membres d’un collectif engagé depuis 2010 dans un combat contre les violences policières et pour une meilleure connaissance des armements utilisés par les forces de l’ordre dans le cadre du maintien de l’ordre. Nous animons un site d’information pour informer et sensibiliser sur les violences commises par les forces de l’ordre : desarmons.net

A ce titre, nous sommes partie prenante de l’Assemblée des blessé-es, un réseau constitué en 2014 et regroupant un certain nombre de personnes mutilées par des armes de police et de gendarmerie, et notamment par des grenades (DBD / DMP dites « de désencerclement », GLI F4 dites « lacrymogènes instantanées ») et des lanceurs de balle de défense (Flashball 44 mm et LBD 40 mm), ainsi que leurs proches et leurs soutiens.

Dans ce cadre, nous sommes amené(e)s à mettre sur pieds en France et à l’étranger des rencontres et des discussions portant sur les violences policières et le maintien de l’ordre, produisons du contenu utiles aux personnes concernées et participons à leur démarches juridiques. Nous menons également campagne contre l’utilisation d’armes à l’encontre de la population civile et mettons au cœur de notre intervention la question des impacts politiques et psychologiques à long terme de blessures que nous considérons comme des blessures de guerre.

A ce titre, la manière dont les avocat(e)s interviennent auprès des victimes n’est pas sans conséquences : elle est primordiale et leurs discours impactent la manière dont les victimes se perçoivent et reconstruisent leur rapport au monde à la suite des traumatismes subis.

Le choix que vous avez fait, autant dans la défense de Maud C. (Grenoble) que de Maxime P. (Notre Dame des Landes), de construire votre défense sur la dissociation par rapport aux militant(e)s politiques pour attester que vos client(e)s « ne sont pas de ces gens-là », ne les sert pas et ne sert pas la manifestation de la vérité. Surtout dans le cas de Maxime, qui par sa présence sur la ZAD lors des opérations militaires manifestait la sincérité de son implication politique. Par expérience, nous savons que des modes de défense consistant à arguer de la naïveté des victimes ou de leur présence hasardeuse sur les lieux leur portent préjudice du point de vue de l’opinion publique, de leur estime de soi, et de surcroît ne sont pas payantes, ni juridiquement, ni médiatiquement.

Les blessures par armes lors d’opération du maintien de l’ordre ne sont pas des « accidents de la vie » et l’indemnisation du préjudice corporel ne peut et ne doit être le seul objectif des recours judiciaires. Nous comprenons bien que vous soyez spécialiste en droit du dommage corporel, mais il y a derrière l’affaire de Maxime des enjeux politiques, éthiques et humains qui dépassent la réparation pécuniaire. Organiser le déni et l’omerta pour s’en tirer avec quelques sous ne peut être une option valable pour celles et ceux qui ont été mutilé(e)s pour leurs idées.

Au regard de la violence sociale que ces blessures impliquent, nous attendons des avocat(e)s qui interviennent sur des dossiers qui nous concernent tou(te)s davantage de compréhension des enjeux qui sont les nôtres en tant que personnes visées volontairement par les violences policières : il n’y a ni incident, ni bavures, ni dommages collatéraux, il n’y a qu’une violence institutionnelle qui s’abat indistinctement sur la foule. Le débat ne porte aucunement pour nous sur l’implication politique ou la responsabilité des victimes. S’engager sur ce terrain est non seulement glissant, mais justifie également l’usage des armes à l’encontre des personnes qui ne correspondent pas à vos « critères d’innocence » et organise l’impunité des forces de l’ordre, qui recourent consciemment à des armes de guerre contre des personnes désarmées.

La peur scénique de l’avocat(e) face à l’argument de la légitime défense amené systématiquement par la défense adverse révèle la faiblesse de son argumentaire. Elle vous coince dans une position défensive alors que l’enjeu des procédures judiciaires portées par les victimes est d’attaquer la responsabilité incontestable de l’État. Un recours au tribunal administratif est par conséquent préférable à une plainte au pénal, qui n’aura pas beaucoup de peine à amener l’affaire vers un non-lieu ou une relaxe, car le policier n’agit que rarement de sa seule initiative lorsqu’il lance une grenade ou lorsqu’il tire sur la foule depuis les rangs de son régiment.

Nous avons été nombreux/ses a déplorer vos déclarations publiques dans l’affaire de Maxime et nous serions très heureux/ses que vous laissiez ses proches bénéficier de cet immense soutien que constitue la rencontre avec les autres blessé(e)s, leurs proches et les collectifs qui les soutiennent.

Nous souhaitons exprimer notre pleine solidarité à Maxime et ses proches, sans que les choix stratégiques scabreux de leur avocat ne viennent y faire obstacle et ne laisse planer une atmosphère de suspicion à l’égard des blessés qui s’organisent politiquement. En aucun cas notre relation ne pourrait porter préjudice à vos client(e)s, contrairement à ce que vous semblez penser.

Nous restons ouvert(e)s à la discussion et serions heureux/ses que Maxime et ses proches souhaitent aller à la rencontre des autres personnes et familles ayant vécu des situations similaires.

Cette lettre n’implique que les membres du collectif Désarmons-les ! et non celles et ceux de l’Assemblée des blessé-es. Nous choisissons de la rendre publique pour rester transparent(e)s sur nos positions et honnêtes envers tou(te)s celles et ceux que nous soutenons.