Merci, mais cette chanson on la connaît trop et elle nous tape vraiment sur le système ! D’autant que c’est elle qui, au boulot, nous rappelle « qu’on ne doit pas faire de politique dans l’entreprise », ou « qu’on est là pour négocier en position de force »… les miettes que le patron voudra bien nous accorder ou l’aménagement des reculs qu’il nous a préparés ! C’est aussi le même air qui nous est cyniquement servi pour marteler que « les gens, ils ne se mobilisent pas, qu’est-ce que vous voulez faire ? », au moment même où les syndicats sont les premiers à organiser la capitulation générale. C’est encore celui-là qui nous est aboyé à des fins d’intimidation, voire de répression, quand notre colère devient ingérable. Donc, tu l’auras compris, ce qui suit est écrit par des prolos, comme toi, qui n’en peuvent plus de voir leur révolte constamment bâillonnée, confisquée, alors que leur temps, leur énergie, leurs aspirations, sont déjà capturés par le capitalisme, ses entreprises, son Etat, ses marchandises. Voilà ce qu’on a à dire :
Dans le marasme de la contestation somnambule

Par où commencer ? C’est d’entrée la question qui vient à l’esprit tant est criante la nécessité de remettre les choses en perspective en ces temps chaotiques où le néant le dispute au n’importe quoi, phénomène que certains illustrent en célébrant « débout » les ténèbres du confusionnisme politique dans des foires participatives autant conçues que manœuvrées par la gauche en vue de canaliser la lutte des classes et, simultanément, se refaire une santé en dehors des institutions à un an des élections présidentielles ! Quoi de plus logique puisque c’est dans et par ces institutions (gouvernement, parlement, collectivités locales) que le PS, le PCF, EELV et consorts, en bon serviteurs des bourgeois, nous livrent une impitoyable guerre sociale (écrasement des salaires, destruction des services publics, liquidation de nos droits, répression tous azimuts) ? Ils veulent reproduire, ici, Podemos ou Syriza. On sait où ça mène : la débâcle avec l’énergie, dépensée à soutenir « la vraie gauche », en moins. Autrement dit : un gros foutage de gueule qui débouche sur un KO « debout »! Si cette machination semble fonctionner suffisamment au point de squatter la scène médiatique au détriment du mouvement social contre la « Loi travaille ! », c’est notamment parce que le sabotage syndical dudit mouvement a jusqu’à présent été efficace. On se souvient de cette honteuse déclaration de l’intersyndicale du 23 février dernier, qui n’appelait aucunement à l’abandon du projet de loi mais seulement à quelques allègements. Rien d’étonnant : les syndicats avaient participé en 2015 à la réalisation du « rapport Combrexelle », document gouvernemental qui reprenait les préconisations du MEDEF inscrites dans son « plan d’urgence pour l’emploi » afin de servir de base à la présente réforme du droit du travail. Il aura fallu une agitation sur internet (pétition et mobilisation sur/par les réseaux sociaux) pour que la CGT, FO et SUD daignent ne plus assumer publiquement leurs positions réactionnaires de la veille. Même schéma concernant l’UNEF et la FIDL, dont la frilosité des premiers jours a insulté la colère de la jeunesse, qui allait une nouvelle fois être attisée par l’empressement de ces syndicats-écuries-à-arrivistes à aller négocier à la table de Valls. Pourtant, un mois et demi après les premières manifestations, les premiers blocages, des milliers de coups de matraque et beaucoup d’arrestations, toujours pas de grève générale, pas de mouvement unitaire public/privé, pas de lutte illimitée mais ces sempiternelles « journées d’action » étalées sur un calendrier en forme de bouche d’évacuation de la riposte prolétarienne. Pas d’occupations d’entreprises mais des invitations (syndicales) à devenir somnambules sur des places publiques cernées par les flics.
Le sordide manège des partenaires sociaux du capital

Les mêmes qui hurlent en cœur « c’est une attaque historique contre nos droits ! Un siècle de lutte à la poubelle ! » jouent aux effarouchés quand il s’agit de rendre coup pour coup face aux capitalistes. Ils nous verrouillent dans les entreprises, imposent de ridicules « agendas de mobilisation », ménagent leur statut de négociateurs. Pour que la corde ne cède pas, ils prennent des décisions pseudo-radicales, parodient la solution. Ainsi, pas d’unité d’action entre les métiers, les professions, les lieux de production. Des « assemblées générales interpro » peuvent se tenir, mais n’y sont conviés que les seuls permanents syndicaux. Des préavis de grève illimitée sont déposés dans certains secteurs (Fonction Publique) au niveau national mais c’est pour ne pas être relayés sur le terrain.La mobilisation concrète (très policée) que l’on a observée par le passé quand les consignes confédérales l’exigeaient (1995) est inexistante (pas d’assemblées générales, pas d’orientation claire vers la lutte illimitée et reconductible, pas de caisse de grève). Les plus déterminés pourront dès lors « se bouger » et perdre vainement du fric dans leur coin. Les points névralgiques de la circulation du capital sont prioritairement épargnés : rien n’est entrepris pour que la grève se reconduise dans les transports. A la RATP, abject modèle de corporatisme, SUD et la CGT appellent même à des actions catégorielles, en plein mouvement social dans toute la France, de sorte qu’il n’y ait aucune ambiguïté sur leurs dociles doléances.L’une après l’autre s’enchainent les ballades sous les drapeaux et les ballons, merguez, bières et fumigènes à gogo, comme pour nous confirmer qu’étrangères aux mouvements de masse vers l’émancipation, ces processions tiennent plutôt de la promenade de cour de prison.

Le « syndicaliste de base »pour alibi

Derrière les apparats en carton-pâte de la contestation, de faux-amis des exploités, de vrais ennemis de la lutte des classes, s’affairent, prospèrent, opèrent. On nous dira qu’il y a toujours des « syndicalistes de lutte », des « militants sincères » et c’est vrai. Sans eux, pas de manifestation impromptue du 9 mars 2016. Mais, continuons jusqu’au bout la réflexion : en s’échinant à lutter pour que leur syndicat corrige sa ligne, ces braves lutteurs alimentent l’idée que le syndicalisme est utilisable dans une perspective d’affrontement ouvert avec le capitalisme, qu’il est potentiellement une option sans compromis, impitoyable, pour liquider ce système avant que celui-ci ne condamne définitivement l’humanité. Or, cette idée est une illusion néfaste. Le syndicalisme est un obstacle à la lutte prolétarienne débridée, c’est-à-dire conforme à ses propres intérêts, autonome. Ce n’est pas parce que tout un chacun peut avoir besoin d’un syndicat pour se protéger contre le patron, ou pour couvrir de la légalité la conflictualité en entreprise, que cela n’en demeure pas moins vrai. Les syndicats de travailleurs sont des partenaires indispensables à la gestion capitaliste de la force de travail : ils contiennent les tensions, aménagent le rapport salarial, anticipent sur son devenir, proposent des solutions capitalistes. Et ce, même si cela est parfois peu apprécié par tel ou tel capitaliste particulier. Et ce aussi, même si la marche du capitalisme systématise l’abaissement des salaires et la dégradation des conditions de vie, comme c’est le cas depuis quatre décennies en Europe. Le syndicalisme prend alors toujours plus les traits visibles du chien de berger des travailleurs, les encadrant sur l’insupportable route de la régression sociale. Ministère informel de la gouvernance salariale, le syndicalisme est une véritable institution, dotée de ses fonctionnaires (permanents), financée par l’Etat et le patronat. Une illustration étincelante s’incarne dans la Confédération Européenne des Syndicats : Intégrée aux plus hautes sphères de la gouvernance européenne, la CES, dont sont membres les CGT, la CFDT et FO, a participé à élaborer le très anti-ouvrier Traité Constitutionnel de 2005. 10 ans plus tard, elle a sommé le gouvernement Tsipras de maintenir la Grèce dans la zone Euro, ce qui revenait à lui commander de se soumettre aux plans de la Troïka vandale.

Nous ne nous (syndi)calmerons pas : Lutte autonome généralisée !

« Bon, c’est bien gentil, mais qu’est-ce qu’on fait maintenant ? », ça aussi, on l’entend trop souvent chez ceux qui, habitués à ce qu’on les accompagne ou les dirige, quitte à faire n’importe quoi, réclament un mode d’emploi de substitution une fois qu’ils ont compris que le leur était bidon. Il n’y a pas de kit prêt-à-l’emploi pour renverser le capitalisme, auquel cas ça se saurait. Par contre, ça peut valoir le coup de s’essayer à la stratégie, surtout quand celle-ci est dialectique.
Donc, puisque la ritournelle revendication-négociation-capitulation-régression partout installée est une impasse en feu où l’Etat, le patronat et les syndicats s’acharnent à nous dépouiller, trois pistes d’intervention sont, conjointement, à tenter :

    Dépasser les luttes catégorielles
    Affronter les syndicats.
    Occuper les lieux de production par la grève illimitée.

Pour ce faire, on se rendra aux assemblées générales de travailleurs à l’intérieur et en dehors des boîtes pour y exiger l’intensification (blocage, séquestration, occupation) et l’extension de la lutte (lutter avec les salariés d’autres entreprises sur une base commune : contre la « Loi travaille ! » mais aussi contre les managers, pour virer les dirigeants et réorganiser la production). On exigera des syndicats qu’ils nous filent le pognon que les patrons et l’Etat leur versent, qu’ils mettent ça dans nos caisses de grèves. Rien à foutre de la légitimité qu’ils tirent de leurs « élections professionnelles » oblitérées par les capitalistes. On organisera nos cortèges autonomes, qui iront notamment marcher sur les sièges des centrales syndicales.

Seule la lutte compte, seule la lutte nous sauvera, seule la révolution sociale vaut la peine.

 

Irréaliste ? A toi de voir camarade…