Ne dites pas mouchard mais « carte intelligente sans contact destinée à héberger une
partie de la gamme tarifaire Tan, et à l’avenir d’autres services de mobilité ». Ou alors,
plus chic, « projet billetique conçu comme un levier de fréquentation ».
Dès septembre 2013, la nouvelle carte de transport utilisant la technologie RFID (Radio
Frequency IDentification) entre en vigueur sur les 91 rames de tram et les 500 bus
équipés de 1500 nouveaux valideurs verts, remplaçant les anciens boîtiers orange.
Pucé comme du bétail ? La Tan (société de transports en commun de l’agglomération
nantaise) a commandé 150 000 exemplaires de cartes sans contact pour ses abonnés
annuels et pour sa nouvelle cible, les voyageurs « occasionnels-réguliers » qui
achetaient du bifton en carton sans se mettre tout bonnement à l’abonnement. S’il
prennent la carte à puces, ils seront facturés à chaque voyage, comme dans leur super
marché, mais juste au passage, sans rien toucher.
Souriez, vous êtes badgés. La puce RFID, c’est gros comme un comprimé d’aspartame.
Faussement sucré pour faire avaler la pilule. Ce qui rend impossible la circulation
anonyme dans les transports en commun nantais.
Ceux qui cherchent des puces dans la tête voient ça comme une carte de vie
quotidienne pour le bétail humain, permettant la géolocalisation des citadins. Voire que
ce genre de carte multiplie les check-points, faisant de la ville une zone militaire sous
contrôle. Si la CNIL, la Commission nationale informatique et libertés, rappelle qu’« aller
et venir librement, anonymement, est l’une des libertés fondamentales de nos
démocraties »*, faut pas exagérer. Fondamental, c’est comme malade mental : ça se
soigne.

Pas prévu
Pour la CNIL, l’usager doit avoir « un véritable choix entre des déplacements anonymes
ou nominatifs ». La Tan a bien prévu une carte « anonyme » mais le hic c’est qu’elle
n’est pas anonyme. Si elle ne mentionne pas le nom de la personne qui l’utilise, son
mois et son année de naissance y figurent, et de toute façon la carte conserve l’identité
et les coordonnées de celui ou celle qui l’a achetée et réglée. « Oui, on garde les
données du payeur ». Qui est en général la même personne, sauf quand un parent paye
l’abonnement à son rejeton, ou une entreprise à son employé. Ce qui n’est pas non plus
très anonyme. Et pour la carte normale ? « Nous savons qui et quand nos clients sont
sur le réseau, mais pas où…, répond Pascal Leroy, directeur commercial de la Tan. Les
données personnelles ( nom, prénom, adresse, photo, coordonnées bancaires) sont
conservées deux ans après la fin de la rélation commerciale, sauf s’il y a un litige où on
les garde plus longtemps. Elle sont alors archivées, consultables par la police pendant
dix ans, mais je ne connaispas les modalités de réquisitions des données par les
pouvoirs publics ». Tiens donc. Il ajoute que les « données de validation », date et heure
de montées à bord, sont gardée quatre mois puis dix ans dans un coffre fort, pour la
carte de paiement au coup par coup. Et une journée et dix ans pour l’abonnement
illimité.
Si les valideurs ne sont pas géolocalisés, ils ont des numéros, une signature
informatique : « On peut aisément retrouver où cette borne est située, explique Jérôme
Thorel, auteur de « Attentifs, ensemble ! L’injonction du bonheur sécuritaire »**. Les
détenteurs de pass validant à chaque montée ou correspondance , tous les
déplacement sont tracés. Les « logs » (qui passe où, à quelle heure) sont là et bien là,
réquisitionnables à tout moment. C’est un peu comme avec la NSA : tout est enregistré,
et on fait le tri après. Surveillance de masse pour choper un gars. Surveiller l’essaim
pour tuer une guêpe ».

Pas prévenu
Fin août, 40000 abonnés passent automatiquement à libertan, sans qu’on leur donne le
choix ni qu’on les prévienne. « Les documents de relance des abonnés ont été imprimés
avant qu’on ait tout mis au point la charte de gestion des données pour Libertan, qui est
assez compliquée. Le formulaire indique juste que nous respectons les règles de la
Cnil » explique Pascal Leroy. Ah bon ? L’opération est prévue de longue date. Nantes
Métropole a voté une provision de 8,5 millions d’euros en juin 2010. Cette
communication escamotée, sous prétexte d’improvisation de dernière minute, ça serait
pas plutôt pour éviter les objections et résistances à cette carte à tracer les clients ?

Pas de temps perdu
Mise au point par des militaires anglais lors de la seconde guerre mondiale, pour
distinguer par radar les avions alliés des autres, les puces RFID gèrent aujourd’hui les
flux et la « traçabilité » des colis, des moutons, et des bipèdes. Pourquoi supprimer
l’oblitération dans une machine à composter ? C’est supposé faire gagner du temps au
voyageur qui présente juste le flan de son sac sans l’ouvrir. Trop pratique ! À condition
d’admettre que chacun de ses déplacements soit enregistré, date et heure, trajet, temps
de parcours, etc. Utile pour faire la chasse à tous ceux qui oublient de payer ou qui
voyagent sans billet. Utile pour marquer le passage de gens que l’on veut suivre à la
trace, ficher en temps réel ceux qui vont ou reviennent d’une manif sensible, sociale ou
politique. Idem pour les supporters remuants du stade de foot. On pourra dès qu’on
voudra croiser les bases de données, traquer un faucheur d’OGM déjà fiché, un refus
d’ADN qui reste dans les archives. Les technocrates camouflent cette entourloupe sous
le nom d’ « interopérabilité », au début pour associer dans les trains régionaux, les car
départementaux. Et plus dès que possible. Normalement ça doit nous transporter de
joie.

Pascal Diabolo

* Article premier de la loi n°78-17, dite loi informatique et libertés, du 6 janvier 1978.
** Editions La Découverte


Et si ça marche pô

La carte miracle Libertan n’a pas l’air aussi imparable que la technique triomphante
l’annonce : en décembre dernier, les délégués du personnel de la Tan demandent en
réunion : « Avec l’arrivée du système LiberTan, la CFDT aimerait connaître
concrètement la procédure à tenir pour le conducteur lors de l’utilisation frauduleuse de
ce titre de transport. » Ce n’est pourtant pas le boulot des conducteurs de faire la police.
Réponse de la direction : « La procédure est en cours d’établissement. » Réponse à la
conférence de presse en juin : « Le client peut avoir vu son abonnement résilié pour non
apiement, Il a pu demandé un duplicata et utiliser toujours l’ancienne carte, désactivée.
Ou il peut y avoir un dysfonctionnement. Il faut que le conducteur prévienne le client qu’il
peut se faire contrôler et avoir une amende ».