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Une vingtaine de personnes prennent d’assaut un chantier de construction du gazoduc Coastal Gas Link dans l’ouest du Canada. Armées de haches et de fusées éclairantes, elles menacent les employés, volent les poids-lourds, s’en servent pour détruire le bâtiment du chantier et finissent par démolir les véhicules mêmes. Les dégâts se chiffrent en millions. C’était il y a près d’un an. On ne sait toujours pas qui a saboté la construction du gazoduc dans la province de la Colombie-Britannique. Le gaz fracturé devait bientôt être acheminé par ce gazoduc, qui traverse des terres autochtones, jusqu’à la côte ouest, d’où il serait expédié vers l’Asie.

 

 Un appel…

Que vous occupiez des universités, des écoles, des arbres ou des rues. Que vous passiez vos nuits à vous inquiéter ou à saboter. Que vous fassiez la grève ou que vous écriviez sur le sujet.

La certitude que le système actuel entraînera l’effondrement de l’écosystème fortement endommagé a déjà poussé d’innombrables personnes à entrer en résistance. Des dizaines de milliers de personnes descendent dans la rue contre le « business as usual » de la machinerie capitaliste, les gens s’opposent en masse aux grands projets destructeurs, les infrastructures du système sont bloquées et des combattantes courageuses mettent le feu aux machines qui sont utilisées pour les priver de la base même de la vie. Ce dont nous avons besoin dans la lutte contre la dévastation de la nature et la misère sociale qui en découle, c’est la quête commune d’une véritable rupture révolutionnaire et de la liberté pour toutes et tous. La poursuite d’une initiative qui rejette tous les compromis et les corrections cosmétiques de l’État et qui entraîne une transformation de nos relations sociales. Parce que la dévastation de la planète par le système économique néolibéral est inextricablement liée aux schémas de pensée patriarcaux, au racisme et au colonialisme. L’initiative doit nécessairement venir d’en bas. Des luttes des exclus. Des luttes de ceux qui mettent en œuvre une solidarité auto-organisée contre les promesses de salut de l’État. Des luttes de celles qui voient qu’il ne peut y avoir de compromis dans la lutte contre la destruction systémique de la biosphère.

Nous sommes convaincues que les luttes auto-organisées sont la seule réponse réaliste pour faire face au changement climatique et à la crise écologique. Non pas parce que notre position idéologique nous y incite, mais simplement parce qu’il n’existe aucune preuve, aucune expérience, aucun exemple de la manière dont les États et les entreprises ont pris des mesures efficaces pour lutter contre.

Quelques centaines d’années de capitalisme d’État et l’humanité est au bord du gouffre. Les mouvements radicaux contre le développement dévastateur de l’environnement, en revanche, ont souvent prouvé qu’ils avaient le pouvoir, la créativité et la persévérance nécessaires pour arrêter, au moins partiellement, la gigantesque machine de dévastation. Et même si elles n’aboutissent pas, ces initiatives constituent des expériences sur lesquelles nous pouvons nous appuyer. Ces expériences de lutte, dans la forêt de Hambach, dans la forêt de Dannenrod, à Bure, contre les transports Castor dans le Wendland, sur la ZAD – ont prouvé l’efficacité des mouvements sans leader, offensifs et solidaires. Ces luttes ont également prouvé que nous pouvons construire des liens horizontaux avec d’autres personnes qui ont des expériences et des méthodes de lutte différentes, et que nous pouvons rejeter les tentatives de l’État de nous diviser sur la question de la violence.

Si nous laissons notre regard se porter sur des territoires plus lointains, nous voyons, du nord du Canada à la Patagonie, de la Colombie à l’Indonésie, comment des groupes, des communautés, des villages et des organisations autochtones luttent depuis des centaines d’années contre la domination coloniale des États et contre la dévastation de la nature. Ces luttes sont souvent invisibilisées dans leur efficacité et leur radicalité. Nous voulons rompre avec cela et s’en inspirer.

Les luttes locales contre le changement climatique soulignent également par leurs actions l’urgence nécessaire d’agir, même si elles s’arrêtent souvent aux demandes et aux appels lancés aux politiques en place pour mettre en œuvre ces actions.

Le problème est que la catastrophe climatique est la conséquence logique de cette même politique. Et cette politique continue d’adhérer à la logique du profit financier pour quelques-uns, à l’exploitation impitoyable des personnes et de la nature à cette fin, et à la compétition comme moteur d’un progrès technique continu.

Nous pensons que nous pouvons réellement obtenir des succès effectifs si nous parvenons à rapprocher nos luttes, si nous approfondissons les liens de solidarité et les points de référence, si nous luttons pour des espaces de projets écologiques, des espaces de contre-attaque, de sabotage, des espaces d’apprentissage de l’histoire des luttes. Beaucoup sont conscientes qu’il s’agit de mettre fin à l’ensemble du mode de production capitaliste. Il ne s’agit pas de se serrer la ceinture, mais de développer une perspective de révolution éco-sociale.

Région de La Araucanía, Chili – Au petit matin du vendredi 8 juillet 2022, sur la route de Traiguén à Lumaco, le chauffeur d’un camion forestier de l’entreprise Forestal Mininco est arrêté par cinq personnes armées et contraint de descendre. Le conducteur d’un grumier de l’entreprise Forestal Mininco est arrêté par cinq personnes armées et contraint de descendre. Le groupe met ensuite le feu au camion et disparaît. La CAM (Coordinadora Arauco Malleco), une organisation mapuche qui défend son habitat sur le territoire chilien, a ensuite revendiqué l’action. Lors d’une attaque similaire à Forestal Minico en 2021, Pablo Marchant Gutiérrez, 29 ans, a été abattu par des carabiniers. Un an après ce meurtre, des dizaines d’attaques ont lieu contre les infrastructures forestières, leurs opérateurs et les forces de sécurité. 

 

Le même jeu en vert – Technocratie et géo-ingénierie

L’idée que nous allons résoudre le problème du changement climatique et de la dévastation écologique par la technologie est au mieux naïve, mais il s’agit bien plus probablement d’une stratégie délibérée visant à tirer encore plus de profit des problèmes générés par l’exploitation de la terre.

La soif d’énergie de l’économie mondiale, qui n’a cessé de croître depuis l’industrialisation, n’est souvent pas considérée comme un problème ; au contraire, des recherches sont menées sur de nouvelles sources d’énergie, prétendument vertes.

Par exemple, les récentes percées dans le domaine de la recherche sur la fusion nucléaire ont été saluées par les politiciens comme une nouvelle salvatrice. Aucune attention n’a été accordée à l’avertissement des chercheurs concernés selon lequel l’utilisation de cette technologie arriverait des décennies trop tard pour résoudre le problème de l’énergie dans le monde.

À l’heure actuelle, les nouvelles sources d’énergie verte ne couvrent même pas les besoins énergétiques supplémentaires de l’économie mondiale, sans parler d’une transition complète. Au lieu de cela, les sources d’énergie « renouvelables » existantes – soleil, vent, eau – sont intégrées dans la production et augmentent l’offre. La raison en est ce que l’on appelle l’effet de rebond. Cet effet se produit dans le capitalisme depuis plus de 150 ans : la machine à vapeur brûlait le charbon plus efficacement qu’auparavant, mais c’est avec elle que l’industrialisation a vraiment décollé. C’est ainsi que, malgré une technologie plus économique, la consommation d’énergie a augmenté de manière significative.

Un capitalisme vert, c’est-à-dire neutre sur le plan climatique et durable, est tout simplement impossible. En effet, parmi ses principes fondamentaux figurent la croissance constante et la consommation de masse au lieu de la durabilité, et le profit de quelques-uns au lieu du bien-être et de la pérennité de l’humanité tout entière.

La recherche de mesures efficaces pour atténuer le changement climatique se limite également à des solutions technologiques au lieu de s’attaquer à la racine du problème.

Actuellement, il s’agit principalement de technologies que l’on peut regrouper sous le terme de géo-ingénierie. Cette fois, l’intervention intentionnelle de l’homme dans le système climatique doit permettre de réduire le réchauffement de la planète. Dans le cadre de la « gestion du rayonnement solaire », par exemple, de minuscules particules sont libérées dans la stratosphère et réfléchissent une partie de la lumière du soleil dans l’espace.

Les avertissements scientifiques concernant les interactions imprévues d’une intervention aussi massive dans le système climatique sont balayés d’un revers de main sous prétexte que c’est le seul moyen de préserver notre économie et notre prospérité actuelles.

Une autre proposition au potentiel destructeur émane du Ministère vert de l’économie. L’injection de CO² filtré de l’air dans des couches rocheuses profondes a récemment été considérée comme une technologie à haut risque. Le « stockage final » du CO² a été interdit en raison de ses effets incommensurables sur l’environnement. Récemment, le ministre de l’économie Habeck, autrefois farouche opposant à cette technologie, est devenu convaincu que le problème du climat ne peut être résolu sans cette technologie.

Cette même approche, avec l’écocide, le réchauffement climatique et d’autres horreurs, nous a déjà donné un amas de déchets nucléaires hautement radioactifs sans solution pour le problème du stockage permanent.

Pour nous, cette approche représente une technique de domination pour imposer de nouvelles technologies sans se soucier des conséquences pour l’humain, la nature et la société. Avec une foi inébranlable dans le progrès technique, on fait référence à des technologies futures qui seront créées par les mêmes acteurs que ceux qui ont causé les problèmes précédents. Les technocrates au pouvoir font ainsi étalage de leur capacité d’action orientée vers les solutions.

Le système économique, qui est responsable de la destruction de notre capacité à vivre, n’est pas remis en question. Tout comme les positions de pouvoir occupées par ces acteurs.

 

Nous ne pouvons plus nous permettre d’avoir des riches

Qui sont ceux qui ont toujours su profiter des crises et des guerres de ces dernières années pour asseoir leur suprématie ? Qui est responsable de la majorité des émissions de gaz nocifs pour le climat ? Ce ne sont pas ceux qui sont déjà exclus, les réfugiés et les pauvres. Ce sont les compagnies énergétiques, les banques et les entreprises de défense. Ce sont les riches, dont le mode de vie ne peut exister qu’aux dépens des autres. Et à l’échelle mondiale, c’est le mode de vie de la consommation de masse et les déchets produits par les sociétés du Nord.

La lutte contre la destruction du climat est donc inévitablement une lutte de « classe ». En Allemagne, le 1 % le plus riche de la population émet beaucoup plus de CO² que les 50 % les plus pauvres de la société. L’appel des gouvernants à la hausse des prix des carburants et de l’énergie, « nous devons tous nous serrer la ceinture », est une farce. La majorité des émissions est causée par l’industrie automobile, gazière et charbonnière subventionnée, par l’agriculture industrielle et par le style de vie jet-set des patrons et des cadres. Aucun changement dans le comportement des consommateurs en faveur des SUV électriques et des saucisses végétaliennes n’y changera rien.

La consommation n’est pas simplement un choix individuel, mais un élément indispensable de la création de valeur capitaliste – c’est l’étape à laquelle la valeur redevient de l’argent. Il y a donc un puissant intérêt à maintenir, voire à renforcer les modèles de consommation actuels. La consommation « verte » fonctionne également de cette manière. C’est la raison pour laquelle, malgré la double contrainte de la protection du climat et de la réduction du trafic, elle ne sera pas ébranlée.

Le simple fait de taxer davantage les émissions de CO² ne résout pas non plus le problème. Cela lierait les émissions de CO² à la richesse – mais ce sont précisément ceux qui causent beaucoup qui ont l’argent nécessaire pour payer ces taxes.

La compensation par l’achat de certificats de CO², en revanche, ne fait qu’aggraver le problème. Le commerce des certificats de CO² ouvre un énorme marché pour l’accaparement des terres en mettant à la disposition des marchés financiers (occidentaux) des portions de terre de plus en plus grandes.

Etant donné qu’aucune politique de réforme ne peut viser, et encore moins imposer, un budget CO² équitablement réparti, il incombe à la partie de la population « consciente du climat » d’imposer le bien commun écologique en s’opposant à la propriété destructrice. Ceux qui font aujourd’hui remarquer que cela équivaut en fin de compte à une expropriation ont vu juste et ont saisi l’ampleur systématique du problème climatique.

 

Le colonialisme, pierre angulaire éternelle du capitalisme

Les pays du Nord sont responsables de plus de deux tiers des émissions historiques de gaz à effet de serre, mais les pays du Sud sont deux à trois fois plus vulnérables aux conséquences du changement climatique. Ces chiffres indiquent à eux seuls que la crise climatique n’est pas causée de la même manière par tous les peuples.

La richesse du Nord, qui est à l’origine de cette inégalité, repose sur l’exploitation coloniale des matières premières et du travail humain par le biais de l’esclavage. Depuis les mines d’argent de Potosi jusqu’aux plantations de soja et d’huile de palme dans les forêts tropicales, en passant par l’exploitation des gisements de pétrole en Amérique du Sud, au Moyen-Orient et en Afrique du Nord par les entreprises énergétiques occidentales.

Ainsi se poursuit l’histoire du colonialisme, qui va de pair avec le déplacement des populations, le transfert des profits vers l’Occident et une dépendance politique et économique constante des pays du Sud, jusqu’aux matières premières dont on a besoin ici pour la mise en œuvre de la transition énergétique « verte ». Le cuivre et le lithium provenant des mêmes mines coloniales d’Amérique Latine pour les batteries de l’e-mobilité, l’uranium d’Afrique de l’Ouest pour les centrales nucléaires « vertes », le cobalt et d’autres minéraux de terres rares du Congo pour les téléphones portables et d’autres produits électroniques avancés, et enfin l’hydrogène « vert » provenant des déserts de Namibie, riches en vent et en soleil.

La rupture systémique urgente avec un gaspillage colonial des ressources changera radicalement nos vies. Une vie quotidienne conforme aux exigences d’une perspective climatique réaliste (qui n’est bien sûr jamais exempte de contradictions) exige une réorientation inconfortable mais nécessaire pour nous aussi.

Actuellement, d’immenses mouvements migratoires vers le Nord, encore vivable, sont en cours et s’intensifieront à l’avenir. D’une part, cela est dû à la pauvreté causée par le réseau économique mondial, d’autre part, cela est dû aux guerres menées pour affirmer une influence politique et s’assurer des ressources. Enfin, les conséquences du changement climatique sont déjà perceptibles dans la destruction (néo-)coloniale de la nature dans le Sud.

Les responsables de cette situation dans le Nord mondial pratiquent l’isolement militaire. Des clôtures sont construites et les frontières du Sud sont systématiquement surveillées à l’aide de drones, de satellites et d’avions. Des milliers de morts en Méditerranée et dans les déserts d’Afrique du Nord et du Mexique sont acceptés. Des refoulements ont lieu et une nouvelle avancée de la frontière extérieure de l’UE est prévue. Ceux qui ont réussi à franchir ces obstacles sont harcelés par les institutions et discrédités par les médias. Dans l’image que les pays du Nord se font d’eux-mêmes, les seuls criminels sont des autocrates comme Poutine et Erdogan, qui utilisent la gestion des migrations comme une arme politique.

Mai 2016 – Lors d’une action de protestation de plusieurs jours contre l’industrie du lignite en Lusace, la mine à ciel ouvert et le réseau ferroviaire sont bloqués à plusieurs endroits. Des milliers de personnes envahissent le site de la centrale et s’assoient sur les rails, les bandes transporteuses et les voies d’accès à la centrale. Contrairement à la volonté des organisateurs d’Ende Gelände de limiter les actions à des blocages de sites et à des actions de fermeture, plusieurs centaines de personnes envahissent le site de la centrale « Schwarze Pumpe ». Sur les voies d’accès à la centrale, la plate-forme est enlevée, ce qui rend les voies impraticables. Dans la centrale, les portes sont fracturées, les boîtes de distribution sont sabotées et les interrupteurs d’arrêt d’urgence sont actionnés. En raison de l’interaction des différentes actions menées ce week-end, plusieurs tours de la centrale ont dû être complètement arrêtées. Il s’agit d’un arrêt beaucoup plus important que l’arrêt de deux jours prévu au départ par l’opérateur Vattenfall.

 

Compromis et radicalisation

Non seulement sur les questions de migration, les dirigeants politiques se radicalisent, mais ils évitent de plus en plus de s’engager sur les voies réellement nécessaires. Ils s’en tiennent aux énergies fossiles et au dinosaure de l’énergie nucléaire. Plus on affirme radicalement que ces technologies sont propres et infinies, plus la société, et avec elle un mouvement de résistance, doit réagir radicalement et sans équivoque à la politique énergétique des entreprises. Il n’est même pas particulièrement radical de prendre au sérieux l’avenir scientifiquement attesté d’un effondrement écologique de grandes parties de la terre dans le cours actuel de la politique. Au contraire ! Il devient radicalement dangereux de ne pas se préparer aux conséquences écologiques des nouvelles technologies prétendument durables.

Le ministre du climat, M. Habeck, nous vend cela comme un compromis. Les Verts inventent des histoires sur la façon dont le remplacement des importations en provenance de Russie conduira à une révolution dans le domaine des énergies renouvelables. En réalité, ailleurs sur le marché mondial de l’énergie, ils achètent à d’autres autocrates et utilisent du gaz fracturé en provenance des États-Unis comme substitut. Le « compromis » est utilisé comme justification pour être compétitif en tant que nation exportatrice avec de l’énergie achetée à un prix relativement bas. Le compromis dissimule le fait que la décarbonisation promise consiste déjà à sécuriser les matières premières nécessaires au nouveau jeu. Ainsi, le compromis n’est pas un compromis, mais une double stratégie, une tentative de continuer radicalement, bien que sous une nouvelle forme. Dans le débat public, cependant, on dit que les activistes du mouvement pour la justice climatique n’ont pas compris la nature de la démocratie avec leurs demandes intransigeantes.

Au vu de ces revirements politico-stratégiques dans la stigmatisation de la radicalisation et du compromis, ce qui suit s’applique à nous : que nous soyons militants ou désobéissants (civilement), nous pouvons difficilement bloquer et saboter le changement climatique aussi radicalement que le capitalisme l’a rendu nécessaire.

Il n’y a pas seulement des seuils de basculement écologiques à partir desquels le système climatique se réorganise de manière irréversible, il y a aussi des seuils de basculement sociaux. Des seuils où la misère causée par les dirigeants devient si évidente qu’une grande partie de la population ressent le besoin de se battre. Ou bien où l’appauvrissement et l’extension de la répression ont tellement progressé qu’une révolution semble presque impossible. C’est autour de ces seuils de basculement que nous devons développer notre résistance. L’initiative doit nécessairement venir de la base. L’État s’est engagé dans un « business as usual » dystopique pour le système économique, à l’exception de corrections cosmétiques. S’accrocher à ce mode de fonctionnement capitaliste écologiquement dévastateur équivaut à une accélération ignorante vers l’effondrement.

Si les ministres de l’Intérieur des pays affirment aujourd’hui que la protestation climatique radicalise et remet en question l’ensemble de notre système politico-économique, la réponse qui a du sens en termes de politique climatique doit être : « Oui, nécessairement  toute autre réponse serait un compromis insensé et impardonnable pour la planète. »

Qu’il s’agisse du «petit doigt et du cerveau avec leur système de tunnels dans les « souterrains » ou du moine dans la boue du Lützerath, qu’il s’agisse d’arrêteuses de SUV ou des colleurs de climat, qu’il s’agisse des saboteurs nocturnes ou des intervenantes qui tentent de démystifier les faux récits les plus grossiers des lobbies du charbon et du nucléaire, tous les efforts devraient pouvoir être menés de manière indépendante et respectueuse, côte à côte. Et, dans le meilleur des cas, collaborer étroitement à la réalisation d’un objectif commun : endiguer la destruction progressive de la nature et vaincre le système dévastateur de l’oppression, du racisme et du patriarcat.

Celles d’entre nous qui se souviennent encore de la coexistence progressive et bien coordonnée des différentes formes d’action lors des manifestations contre les transports de déchets nucléaires vers le Wendland savent peut-être de quoi il s’agit ici : un blocage plus important des voies par un sit-in et un sabotage ferroviaire défendu de manière offensive contre les forces de police, à proximité immédiate l’un de l’autre, ont posé un plus grand défi aux chemins de fer et à la police dans leur simultanéité que les deux actions prises individuellement.

Un mouvement dynamique et large en faveur de la justice climatique ferait bien de ne pas se laisser imposer des notions identitaires et donc conflictuelles de « violence » ou de « non-violence ». Ce n’est certainement pas une tâche facile, comme nous l’avons constaté dans différents mouvements hétérogènes. Mais cela en vaut la peine.

La question de savoir s’il vaut la peine de faire appel aux dirigeants politiques nous semble beaucoup plus décisive. Ici, nous avons (sans qu’il soit nécessaire de délimiter) une position claire avec l’analyse ci-dessus : Non, cela n’en vaut pas la peine – et cela suscite de faux espoirs qui peuvent rendre un mouvement dépendant et le paralyser.

Il en va de même au niveau mondial. Un internationalisme sérieux doit relier nos luttes ici, ainsi que les luttes contre la destruction de la nature dans le monde entier, par exemple la production de GNL au Canada. Nous ne pouvons lutter contre un système mondial de dévastation que si nous sommes en relation les uns avec les autres au niveau international et si nous nous rencontrons tête à tête. Une perspective anticoloniale pour nos efforts en faveur de la justice climatique est nécessaire pour cette seule raison.

Là aussi, nous ne devrions pas nous contenter de lancer des appels à la communauté mondiale. La mise en œuvre cohérente des décisions de la Conférence de Paris sur le climat montre clairement ce qu’il est possible d’accomplir lorsque les responsables politiques du monde entier décident ensemble d’atteindre l’objectif d’atténuer le changement climatique. Une « solution technique » au changement climatique ne peut être trouvée qu’avec des mines toxiques, des armées déployées et des terres indigènes expropriées, du moins à la périphérie. Et contre les personnes qui fuient cette misère, la métropole exerce une violence brutale.

Thoothukudi, dans le sud de l’Inde – La société indo-britannique Vedanta Resources y exploite la deuxième plus grande fonderie de cuivre de l’Inde. Les taux de cancer, ainsi que l’incidence des infections respiratoires dans la ville, ont augmenté de manière spectaculaire depuis l’ouverture de la fonderie. Depuis 100 jours, la population locale manifeste par centaines de milliers contre l’expansion de la fonderie. En ce 100e jour, le 22 mai 2018, la police arrête l’immense cortège de la manifestation, lorsque les manifestants refusent d’être stoppés, elle tire spécifiquement dans la foule. 13 personnes meurent sous les balles, plus de 100 sont blessées. Après cette journée noire, au cours de laquelle la police et les politiciens se sont finalement révélés comme des laquais de l’industrie du cuivre, la société d’exploitation a néanmoins dû céder à la pression de la population et la fonderie de cuivre a été complètement fermée.

 

Même si le ciel nous tombe sur la tête…

Il devrait être clair pour nous que nous ne pouvons pas empêcher complètement l’effondrement en cours d’un écosystème massivement endommagé, ni la perte de biodiversité, ni l’épuisement des ressources. Nous ne pourrons pas empêcher la catastrophe climatique parce que nous sommes déjà en plein dedans.

Il s’agit d’une question de perte d’habitat pour des milliards de vies humaines et non humaines. La vie « humaine » est déjà un privilège et ne sera possible que pour ceux qui en ont les moyens.

Limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré est déjà hors de portée, alors que les émissions mondiales de gaz à effet de serre devraient être réduites à zéro d’ici quelques années. Les dirigeants ne cessent de montrer qu’ils ne sont pas disposés à le faire et nous ne sommes pas (encore) en mesure de réaliser un tel changement.

Admettre cela – sans pathos apocalyptique – ne nous paralyse pas. Au contraire, cela devrait nous ouvrir, à nous et à nos contextes, la question de savoir à quoi nos vies et nos luttes révolutionnaires pourraient ressembler à l’avenir.

Pour qu’un autre monde devienne possible : Coopérons les uns avec les autres dans la solidarité pour pouvoir vivre une vie digne. Réalisons nos idées ici et maintenant et déjà dans nos luttes et nos actions. Nous ne nous laisserons pas bercer par les tentatives d’apaisement des gouvernants.

Nous pensons que nous ne pouvons devenir une menace sérieuse que si nous cherchons à communiquer les uns avec les autres. Nous proposons de nous relier les uns aux autres sous le slogan « éteindre le système de dévastation » [Switch Off the system of destruction] et de placer ainsi nos luttes dans un contexte commun.

Nos actions doivent montrer clairement qu’il ne peut y avoir d’alternative verte capitaliste, ni de paix avec les conditions existantes. Nous choisissons nous-mêmes les moyens et personne n’est placé au-dessus d’un autre dans une hiérarchie. Nous serions ravis que beaucoup reprennent cette idée.

Il ne s’agit pas d’une tentative d’absorption, mais d’un appel à poursuivre l’offensive et à renforcer les luttes existantes. Lançons une vague d’action à long terme vers la révolte. Prenez soin de vous et soyez courageuses.

Pour une lutte solidaire dans des conditions catastrophiques – dans le monde entier !

L’avenir n’est pas encore écrit !

Anarchistes, autonomes et révolutionnaires sociaux des pays germanophones

Mai 2023