Des photos d’énormes morceaux de viande crue ou en train de cuire sur des braises sont régulièrement postées sur X (ex-Twitter). Elles sont le plus souvent adressées à des personnalités connues pour leur engagement antispéciste, ou en faveur de la protection de l’environnement. Tous les jours, de telles images sont ainsi adressées à la députée écologiste Sandrine Rousseau – comme pour la punir d’avoir osé considérer que le barbecue était un « symbole de virilité ».

Les mots qui accompagnent ces photos indiquent, comme les légendes évoquées par Pierre Bourdieu [1], ce qu’il faut y voir et en retenir. L’élue de droite Nelly Garnier l’a dit dans un post récent, illustré d’une photo « un peu provocante » la montrant devant un barbecue, prête à faire griller une côte de boeuf : il y aurait, affirme-t-elle un « tabou » à parler de la viande. En consommer constituerait donc un « acte transgressif » de résistance à la « stigmatisation de la viande ».

Ce geste, devenu un signe de ralliement politique, nous interroge. D’abord parce qu’il repose sur un complet renversement de la réalité. Dans le monde réel, en fait de « tabou », tout le monde parle de la viande – pour prôner, le plus souvent, la défense d’une alimentation carnée : la viandard pride défile en permanence.

Le slogan de Fabien Roussel, candidat du Parti communiste français aux élections présidentielles de 2022 pour qui le repas français idéal se compose d’ « un bon vin », d’« un bon fromage », et d’ « une bonne viande » bien « de chez nous », a par exemple connu un énorme succès dans la presse et les médias, jusqu’aux plus conservateurs : il est ainsi devenu le communiste préféré de la droite.

Et ce sont celles et ceux qui tentent de faire passer un autre message, comme Sandrine Rousseau ou le député antispéciste Aymeric Caron, qui subissent des déluges d’insultes.

S’il est devenu compliqué d’appeler publiquement à consommer davantage de viande, les lobbies agro-alimentaires et le ministère de l’Agriculture ont habilement réorienté, par leur appel à en manger « mieux », leurs campagnes publicitaires – tous luttant de façon acharnée contre les études qui mettent en évidence les ravages provoqués la consommation d’une alimentation carnée : pour les animaux qui sont tués à la seule fin d’être mangés, évidemment, mais aussi pour l’environnement et la santé des consommateurs.

Les « bons vivants » qui postent de « courageuses » photos de viande espèrent sans doute faire oublier, parce qu’elles s’accompagnent de mines réjouies et rigolardes, que ces bavettes, ces entrecôtes, ces merguez proviennent d’animaux morts. De milliards d’animaux abattus.

Ce pari est absurde, et il est voué à l’échec. Les postures qui l’accompagnent – l’ignorance revendiquée, l’arrogance, la vantardise et surtout le manque total de considération pour des croyances, des sensibilités, des goûts autres – n’en restent pas moins détestables. Au prétexte de se moquer des « rabat-joie », au nom d’un art de vivre en réalité triste et mortifère, ces messages en images sont brutaux, quand les végétariens cherchent, par des mots, des chiffres, des analyses, des affects (l’empathie pour la souffrance par exemple), à montrer une autre réalité que celle du petit plaisir individuel et à courte vue – réalité que lesdits végétariens ont découverte eux-mêmes à un moment donné de leur vie.

Le message que nous entendons est tout simplement le suivant : je mange de la viande et je vous emmerde.

Faut-il ajouter que, quand c’est au nom des classes populaires, censées être rétives à toute sensibilité antispéciste ou écologiste, ou des classes moyennes dont l’identité tournerait autour de la barbaque, le sommet du ridicule est atteint ?

notes

[1] « En fait, paradoxalement, le monde de l’image est dominé par les mots. La photo n’est rien sans la légende qui dit ce qu’il faut lire – legendum -, c’est-à-dire, bien souvent, des légendes, qui font voir n’importe quoi », Sur la télévision, Éditions Raisons d’agir, 1996, p. 19

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