[!] Contient une parole rapportée homo/transphobe [!]

Cher ami/chère amie toto,

Je t’écris parce que j’ai fait mes premières armes dans le mouvement autonome. Je connais ses cultures que j’affectionne particulièrement.

Je suis ce que les adultes appellent un « jeune » mais je me sens avancer en âge et je sens que je vais bientôt passer un palier du système âgiste où l’on me regardera comme un daron raté et non plus comme un poto. J’ai quitté le mouvement autonome car comme partout il y a des histoires tristes aussi. Mais je conserve un bon œil envers mes camarades. J’en côtoie encore beaucoup et nous luttons ensemble, dans les fronts les plus auch. Quelle joie de se retrouver en manif après des années de chemins différents.

J’aime à croire aujourd’hui que je participe à la construction d’un syndicalisme révolutionnaire et que je participe à la construction du communisme libertaire. J’aimerais te proposer mon regard et avancer quelques critiques de la relation entre le syndicalisme et l’autonomie politique.

Je t’écris parce que lors du mouvement des retraites j’ai encore entendue une petite phrase au passage du cortège de tête qui m’a blessée. Cette petite phrase je l’ai entendue souvent mais cette fois-ci, elle n’est pas passé :

« Ces baltringues de la CGT, enculés ».

Est-ce du caractère homophobe dont je vais ici discuter ? Non. Je me sens certes doublement visé par cette attaque mais c’est d’autre chose que j’aimerais ici que nous discutions.

Ce gars balançait ça du dehors en regardant le bloc agir comme pour dire « le bloc, au moins, c’est plus deter que la CGT » en brandissant sa 8,6 (et oui, cliché, mais réel…) alors qu’une « baltringue de la CGT », tenait un parapluie face aux keufs.

C’est ici d’avantage mon cœur qui parle plutôt que ma science, j’espère que tu appréciera ma franchise.

Je vais prendre soin de ne jamais chercher à t’offenser, j’espère ne pas le faire malgré moi. Il est des évènements historiques qui nous restent en mémoire à toutes et tous et je sais la défiance qui s’exprime entre nous quand nous nous retrouvons dans les bars ou dans les concerts, dans les lieux autogérés ou sur les lieux de lutte.

Mais j’ai plus que cela en mémoire. J’aimerais te parler un peu de la CGT. Père castor, raconte nous l’histoire de la CGT en 2spi :

La CGT, comme tu le sais sûrement, était très forte après la second guerre mondiale – on dit 5 millions de syndicalistes et beaucoup étaient armés/armées en tant que résistants et résistantes.

Le problème, comme tu le sais également, c’est que l’idéologie dominante à gauche était le « marxisme-léninisme », c’est à dire l’idéologie de Staline et de l’URSS.

La CGT d’après guerre est donc investie par un Parti Communiste Français largement dépendant des ordres de Moscou. En contrôlant le syndicat, son but n’est plus de devenir le lieu d’organisation de la vie sociale et économique, comme mentionné dans la chartes d’Amiens, texte fondateur du syndicalisme, mais de neutraliser la potentielle puissance politique du syndicalisme au profit de l’élection au suffrage universel.

Si la grande majorité des cadres de la CGT sont dans un parti qui se présente aux élections, pourquoi inciteraient-iels la base syndicale à s’engager dans une méthode révolutionnaire différente de leur conception de la prise du pouvoir d’État ?

Pour moi qui suis plutôt inspiré par la pensée libertaire, ou par d’autres expériences révolutionnaires comme le communisme des conseils, le néo-zapatisme ou le confédéralisme démocratique… le « marxisme-léninisme » du PCF représente probablement le pire de ce qu’a pu produire l’histoire révolutionnaire en France.

Si ces références historiques t’évoquent quelque chose, j’aimerais te dire que je garde en mémoire l’histoire de la Maknovtchina, de la révolte de Kronstadt, de l’enterrement fantoche de Kropotkine, de la torture de la Tchéka, des goulags et ladogaïs, de l’holodomor, des procès de Moscou, de la guerre d’Espagne, du « Il faut savoir terminer une grève », des accords de Grenelle… Et de tant d’autres choses encore.

J’ai aussi en mémoire les attaques de certains SO contre le bloc pendant la « loi travail ». J’ai aussi en mémoire les attaques de certains autonomes contre la CGT de 2021. Je ne suis ici ni juge ni parti. J’aimerai que nous pansions nos plaies et que nous passons à autre chose.

Cette idéologie « marxiste-léniniste » bureaucratique autoritaire à perdu en influence, notamment lors de l’effondrement de l’URSS. Aujourd’hui, le vrai visage des cadres syndicaux de la CGT est connu et il se décompose et recompose à la baisse numériquement parlant et financièrement aussi. Cependant les pratiques de bureau demeurent.

Le PCF s’embourbe dans une panique morale bourgeoise, une sorte de revival neo-stal comme seul logiciel de lecture possible de la lutte des classes. Un logiciel terriblement autoritaire, vieille école et dégueulasse de racisme, de sexisme, de mépris de classe, de transphobie, de validisme…

On ne compte plus les sorties essentialisantes, racistes, sexistes, ouvriéristes et misérabilistes toutes plus réactionnaires les unes que les autres de Fabien Roussel, proche PRCF. Il faut dire que son modèle est Geroges Marchais : le type qui à coulé le PCF et appliquait une « lutte » contre « l’immigration clandestine ».

Et pourtant je suis quand même syndicaliste, et à la CGT qui plus est. Pourquoi ? Je vais essayer d’expliquer cela.

Pour cela je vais te raconter une expérience. Lorsque je suis rentré dans la CGT, je suis allé suivre une formation au centre de formation de la CGT, le centre Benoît Frachon à Paris. Je savais à peu près dans quoi je mettais les pieds mais je voulais le voir de mes propres yeux.

On a eu le droit à la petite visite qui présente quelques œuvres soviétiques offertes par Staline et le centre, qui est par ailleurs assez stylé. En loose-dé un mec du PCF me montre le fond d’écran de son smartphone avec son communiste préféré dessus : c’est Henri Krasucki. En mode : « hey p’ti jeune, tu l’as celui-là à ta collection panini ? ». C’était malaisant mais ça montrait bien la couleur. Je pouvais lui dire que je conaissais ce type parce que son portrait était affiché dans le bâtiment principal avec sa biographie.

Il allait aussi dire un peu plus tard à la cantoche en citant la chartes d’Amiens : « on ne parle pas de politique au syndicat ! ». Je lui répondais que le syndicalisme est une organisation politique en soi. Son pote m’arrêtait en me racontant que son daron (syndicaliste) lui filait des taloches s’il osait parler politique… à la maison.

Je ne suis pas anthropologue ou même scientifique mais je pense qu’il y a là un héritage de la domination adulte qu’il faut regarder attentivement pour comprendre pourquoi des ouvriers et les ouvrières pétrit d’idéologie stalinienne ont les poils qui se dressent et la frayeur qui s’impose sur leur visage si on ose dire des mots « politiques » au syndicat.

Moi aussi on me filait des taloches enfant mais pour d’autres « raisons ». J’avoue avoir compati et je me suis contenté d’observer et d’écouter.

J’ai quand même eu un échange très intéressant avec des camarades informaticiens et chômeuses, privées d’emploi, dont certains et certaines venaient de l’autonomie politique. On a parlé d’institutionnalisation de l’autonomie. On a parlé communisme, anarchie et du clash entre Bernard Friot et Alain Bihr. On s’est dit aussi qu’on aimait pas la ligne néo-léniniste de Frédéric Lordon.

Plus tard, après quelques formations pratiques, un cheminot avait fait le chemin pour venir nous raconter une « formidable histoire » nous avait-t-on dit, un « véritable compte, un sketch ».

Le mec arrive et commence son exposé. La qualité oratoire était au rendez-vous, c’était pas une langue bourgeoise, c’était un one-man-show populaire. Mais un one-man-show stalinien.

J’ai pas pu m’empêcher de l’ouvrir régulièrement, parce que tout était là :

– Des punchlines anti-anar tout du long – « idéologie petite bourgeoise ». Proudhon en prends plein la gueule évidemment mais après tout il le mérite. Mais ces arguments anti-Proudhon servaient à enterrer tout épisode historique sur l’histoire libertaire et, bien évidemment, sur les crimes du stalinisme – ou alors pour les légitimer.

– Des punchlines anti-féministes tout du long – « idéologie petite-bourgeoise ». Je lui parle des grèves de femmes, il me répond ? Ah ouais lesquels ? Je lui dit : « les munitionnettes », il me répond « ouais mais je vois pas en quoi ça a pesé dans l’histoire ! ».

– Une sélection historique à la gloire de la géopolitique de Staline et des martyrs de la résistance.

– Des exemples choisis d’actes de résistance et de sabotage anti-coloniaux parce qu’« à la CGT on est pas raciste ». (J’ai pas osé poursuivre sur l’antisémitisme soviétique parce que j’avais pas envie d’en prendre plein la tronche sur un truc sensible dans ma vie).

– Des arguments de type « les trucs sociétaux divisent la lutte des classe » placés un peu partout.

A la fin, j’avais levé la main un bon paquet de fois pour poser des questions qui soulevait la partialité du sketch. Le mec m’a qualifié « d’élément perturbateur ». Je pense que j’aurais été bon pour le goulag. A la cantoche il m’a rassuré, il était un « stalinien doux ».

En fait, le groupe d’élèves avec qui j’étais se montrait assez indifférent à ces grands discours historiques. Le gars se discréditait au fur et à mesure qu’il balançait d’obscures références staliniennes qui sous-tendaient que, quand même le PCF quoi…

Il y a eu d’autres épisodes chiants dont je t’épargne les détails.

Le fait notamment que les camarades Noires soient cantinières, femmes de ménage et salariées tandis que les autres étaient en formation, regardaient des films et mangeaient oklm ce qui montre à quel point les ressources humaines de la CGT ne prennent pas en compte la reproduction de la division raciale et sexiste du travail. Sans parler de se pencher, en tant qu’employeur, sur un éventuel « plan d’action affirmative » (affirmation action plan) – ce qui resterait une perspective réformiste, qu’on se le dise.

Le clou du spectacle est quand le dernier jour, le formateur à terminé par dire : « votre génération va prendre la relève, heureusement qu’il y a les élections pour changer les choses ».

Bref.

Et pourtant je suis toujours à la CGT, pourquoi ?

Et bien au contact des camarades en formation, au gré de mes déplacements syndicaux, je me suis rendu compte que cette manière d’organiser le syndicat n’était pas du tout consensuelle mais toujours et encore imposée, structurelle. Notamment à travers la gestion salariale – la complexe question de la permanence – (et parfois même huberisée) mais surtout à travers la pratique du bureau.

Des cégétistes vener contre la bureaucratie syndicale, il y en a des tas. Et sûrement bien plus qu’on ne le croit. C’est même probablement une majorité silencieuse. J’étais même surpris d’apprendre qu’au PCF même y’avait des communistes non léninistes en minorité qui tentaient de faire changer les choses, en vain sûrement.

Dans mon union locale, j’ai raconté quelques épisodes de confrontation entre autonomes et syndicats ou autonomes et policiers et syndicats et policiers. Car quel que soit nos actes, ont est mangé à la même sauce.

Je ne m’attendais pas à entendre des discours spontanés bien plus vener que ce qu’on pense généralement des CGTistes. Des choses que j’aurais pu entendre sur une ZAD, mais avec d’autres mots. Des anciens me disaient cash que les flics ne sont pas nos amis que ce sont des faschos, des pourris, qu’il faut leur parler en leur faisant des grands sourires, de ne pas les énerver pour pas prendre des coup, mais qu’en scred on peux pas les saquer et qu’il faut se préparer. Courber l’échine jusqu’a ce qu’on soit assez forts et fortes pour exploser.

D’autres qu’on aurait pu croire appartenir au vieux monde ouvrier réformiste me lançait carrément qu’il serait temps d’aller secouer bien fort Martinez parce qu’en tant que métalos ils en pouvaient plus qu’on défende la retraite à 60 ans pour les métiers pénibles et qu’y en avait marre de produire de la merde qui détruit la planète, qu’il était temps de bosser moins et pour un truc vraiment utile.

D’autres encore m’ont dit que c’était bien que des « ptis jeunes » prennent enfin la relève et passent à l’action en parlant du bloc. Ce qui suscitait des interrogation sur les méthodes d’un point de vue tactique tout de même. Le « grand soir », non merci mais « ici et maintenant » non plus. C’est plutôt « construire maintenant pour la rupture plus tard, quand on sera prêts et prêtes ».

Le discours « anti-casseur », je l’ai entendu chez des cadres syndicaux, les gens et gentes du bureaux avant tout. Un jour je proposais de parler de sabotage et quelques membres du bureau s’insurgeaient fort alors que nous restions majoritairement silencieux et agissant.

Pourtant c’est bien un des rédacteurs de la Chartes d’Amiens et secrétaire d’une fédération syndicale CGT qui proposait en son temps une théorie du sabotage. Émile Pouget pour les connaisseurs et connaisseuses.

Aujourd’hui j’observe des actions assez risquées à la CGT qui font face à une répression très dure et très intimidante (chez Total par exemple, mais pas que). J’observe que finalement beaucoup de cégétistes s’en fouttent bien de à quel « -isme » iels se rattachent, du moment que la révolution avance et que leur voix est respectée. J’observe aussi que tous les cadres syndicaux ne sont pas stals ou sos-dems même si iels sont en minorité. J’observe une direction syndicale réactionnaire vieillissante, méprisante et lâche en cours de renouvellement.

Je crains que les jeunes staliniens ne prennent la relève dans les bureaux, comme des héritiers (au masculin), et que nous ne soyons passez assez nombreux et nombreuses à avancer des modifications de statuts dans les unions locales pour enfin se débarrasser, au moins localement dans un premier temps, des bureaux, et y installer des statuts autogestionnaires permettant l’intervention directe des syndiqués et syndiquées sur les orientations locales et confédérales.

Cette tendance syndicaliste révolutionnaire existe depuis longtemps à la CGT. Il y a même eu une CGT – SR, une CGT Syndicaliste Révolutionnaire (1926 – 1939) qui rédigea la Chartes de Lyon, plus précise et anti-partis. Si aujourd’hui il n’y a plus qu’une seule CGT (hormis CGT – FO), les syndicalistes révolutionnaires, elleux, n’ont pas disparus.

C’est aussi pourquoi je t’écris.

Ainsi j’aimerai avancer l’idée que tu puisse considérer que le syndicalisme n’est pas mauvais en soi. Il l’est actuellement du fait de cadres qui nous tiennent et du fait du manque de militans et militantes révolutionnaires deter dans les syndicats, mais rien n’est figé dans le marbre, tout est encore possible à la fois dans les idées mais aussi dans la tambouille statutaire et donc les pratiques.

J’aimerais que lorsque tu regardes un syndicaliste, tu puisse te dire que potentiellement, il y a là un ou une syndicaliste révolutionnaire plutôt qu’un ou une réformiste autoritaire.

J’aimerais que tu puisse faire la distinction entre les patrons et patronnes (au sens propre comme figuré) du syndicats et les salariés et salariées (au sens propre comme figuré) du syndicat. Et ce dans tous les syndicats finalement, syndicats réformistes et co-gestionnaires comme la CFDT également (par contre je ne connais aucun révolutionnaire à la CFDT, je parle des syndiqués/syndiquées).

J’aimerais que tu puisse me regarder comme un camarade sincère qui dispose d’une critique précise de la direction de son syndicat et d’un projet politique de révolution dans la « révolution ». J’aimerais que tu puisse me considérer comme un allié.

Je te le dis car étant dans une position intermédiaire, il m’est autant désagréable d’être considéré comme un « élément perturbateur », « petit bourgeois », « gauchiste » par les stals que d’être considéré comme une « baltringue », un « co-gestionnaire », voir un « traître » par mes pairs libertaires pour qui j’ai de l’affection.

Je pense que cette critique partielle des syndicats vient du fait que le problème du mouvement autonome est qu’il est plusieurs fois marginalisé.

S’il impressionne par sa force, sa détermination, ses propositions théoriques et créatives, et parfois même sa mystique, il reste assez inaccessible et coupé de la majorité des travailleurs et travailleuses, syndiquées ou non. Pas simplement sur le plan des idées, mais surtout sur le plan des pratiques et du soutient numérique : la base.

C’est sans doute pour cela qu’aucune organisation autonome ne perdure dans le temps long : les collectifs se font et se défont au gré des générations militantes qui ne peuvent vivre une vie entière au rythme d’un militantisme précaire, non pas forcément dans la composition de ses membres, mais dans sa méthode.

En outre, nous sommes assez nombreux et nombreuses venant de l’autonomie à le dire : la posture intellectuelle du discours de la « performance militante » qui utilise les derniers outils des sciences sociales pour produire une rhétorique hermétique, inacessible, et concluant à l’impossibilité structurelle de s’organiser avec un syndicat ou un groupe est contre-productif. Elle culpabilise, crispe de tous les côtés, et alimente tous les mépris qui sont autant de facteurs de repli sur des identités fantasmées, romantisées et qui renforcent les antagonismes.

Par ailleurs nous nous inquiétons d’un danger qui peut être instrumentalisé par l’idéologie sécuritaire : la rhétorique de l’« urgence climatique » brandie comme argument d’autorité (« soit tu es avec nous, soit tu es contre nous ») pour légitimer tout et n’importe quoi comme une accélération de l’action militante sans base matérielle :

Par exemple : se réunir à 40 et prendre une préfecture sans se poser la question du lien avec une base syndicale en grève qui soutiendrait matériellement le processus de rupture révolutionnaire ne pourrait aboutir qu’à une auto-défense trop faible ou une prise du pouvoir avant-gardiste, à la bolchévik, autoritaire dans la méthode en ce qu’elle impose son autorité au camp révolutionaire par l’action d’une minorité. Une insurrection permanente basée sur du sable, sans base.

On entend en conséquence souvent cet argument, moralisateur et individualiste du « mouton » qui ne s’engage pas dans le conflit ici présent. Mais quel berger le mouton doit-il suivre ?

C’est comme si tu apprenais à lire et que je te donnais pour première lecture les 4 tomes du Kapital de Karl Marx et tous les écrits de Rosa Luxembourg, Emma Goldman, Judith Butler et Daniel Guérin. Tu sentirais le mépris absolu de ma démarche : « tiens p’ti jeune, toi qui ne sais rien, cultives-toi avant de l’ouvrir » et tu n’en comprendrais pas l’utilité.

Monter au charbon contre les keufs sans en montrer régulièrement la pertinence stratégique et tactique, sans aller à la rencontre des syndiqués/syndiquées en amont, et les accuser de toutes les naïvetés et de toutes les complicités, c’est un peu la même chose.

Je ne jette pas la pierre au mouvement autonome qui est riche en nuances et chacun/chaune saurait piocher dans mes arguments le bon du moins bon, mais je pense qu’une voie médiane existe. Il nous faut inscrire l’autonomie politique dans la durée.

Cette voie reconnaît la tension entre la coordination syndicale et l’autonomie politique mais elle ne souhaite ni basculer vers un contrôle du bureau sur la base ni vers une indépendance absolue coupée des travailleurs et travailleuses.

Le travail reste subit, quelque soit notre conception de la valeur que l’on accorde au travail et une vie d’abnégation et de sacrifices, une vie d’instabilité et de précarité permanente, si elle est impressionante d’engagement individuel, ne peux pas être le modèle à proposer. Notamment à nos camarades sans-papiers pour qui le syndicalisme reste la seule possibilité pratique réaliste d’obtenir en masse des papiers. Mais aussi aux camarades parents tenus par le droit de la famille. Mais aussi aux camarades handis pour qui les terrains révolutionnaires restent largement inacessibles.

Il nous faut reconnaître la nécessité, sans doute ingrate, du travail de construction des contres pouvoirs, du travail de fédération des contres-pouvoirs. C’est un travail lent mais pas forcément chiant.

Par exemple, la révolution espagnole : c’est environ 80 ans d’athénée, de coopératives, de conseils de quartier, de luttes syndicales, d’éducation populaire, de propagande communiste libertaire… avant l’insurrection. Les ouvriers et ouvrières se préparaient à monter en conflictualité progressive. Bien que leur révolution ait étée écrasée, on leur doit beaucoup d’avancées sociales en Espagne et dans le monde entier, des choses sur lesquelles la réaction n’a jamais osée revenir durant des décénies.

Les zapatistes aussi ont du revoir leurs logiciel d’avant-garde. En suivant les théories guévaristes impliquant le monde paysan dans la lutte armée, iels se sont confrontés à des pratiques militantes mayas bien différentes de l’autoritarisme intrinsèque de la posture d’avant-garde. Iels ont du apprendre à revoir leur culture révolutionaire pour préparer une insurection de masse.

De même que le PKK et le changement de paradigme du « maxisme-léninisme » tendance guerre populaire maoïste vers le confédéralisme démocratique qui prône d’avantage l’implication de la société civile et des femmes et la construction des contres pouvoirs civils. Certes non sans difficultés.

Si le terrain syndical nous apparaît miné, c’est qu’il l’est. On peut tout de même le traverser avec un détecteur de mines : un syndicalisme révolutionnaire, a-minima coordonné, et recherchant l’adhésion massive. C’est ce à quoi j’aspire.

J’aimerais qu’un jour une Confédération Syndicaliste Révolutionnaire puisse prendre la relève.

Elle serait composée des camarades non-parlentaristes : de la CGT, de SUD, des CNT, des syndicats indépendants et étudiants, des association en lutte et du monde autonome. Ce renouveau syndical garantirait l’autonomie et les usages de chacun et chacune et servirai de coordination, de réseau d’appui aux camarades prenant des risques certains.

Elle n’aurait pas de tête syndicale permanente et fonctionnerait selon la technique du mandat impératif comme devrait normalement fonctionner une confédération. Les actions ne seraient pas des ordres venant du bureau sur les syndiqués/syndiquées mais des besoins des unions locales portés par les mandatés et mandatées à la coordination qui n’aurait qu’une fonction technique, logistique et non idéologique.

Une sorte de « buen gobierno » syndical.

Cette confédération se référerait à la Chartes d’Amiens, celle de Lyon, pourquoi pas, mais y ajouterai sa patte explicite qui inclurait une vision intégrale et pragmatique de l’émancipation sociale en prenant au sérieux les luttes contre les autres systèmes d’oppression comme le patriarcat, le racisme, le validisme…

J’aimerais que ce syndicat reconnaisse réellement l’apport des théoriciens et théoriciennes marginalisées : communisme libertaire, syndicalisme révolutionnaire, dé-colonialisme, matérialisme trans, anarcha-féminisme, écologie sociale, antipsychiatrie, anti-validisme, anti-carcéralisme, judaïsme libertaire, anarchisme Noir, néo-zapatisme, confédéralisme démocratique…

Et tout ce que l’on trouvera pour renforcer notre syndicalisme sans pour autant couper les liens avec les mondes ouvriers, en cherchant constamment à aménager un passage entre ces mondes, une transmission, une médiation et non pas une condamnation, non pas une rupture nette.

Je n’ai pas la recette magique de la constitution de ce syndicat. Il peut être, dans un premier temps, simplement être une idée qui fleurit en tête afin de rassembler nos forces là ou nous sommes déjà, associations, syndicats, collectifs… afin de nous reconnaître, entre syndicalistes révolutionaires, et de nous allier, afin de garder à l’esprit qu’un autre syndicalisme existe, ni cogestionaire, ni stalinien, ni bureaucratique, ni réformiste, ni au service d’un parti : mais ayant des objectifs réalistes, une stratégie collective et des tactiques hétérogènes ET coordonnées, complémentaires et non concurrentes.

Ma proposition sonne sans doute naïve, presque angélique : on nous répondra certainement qu’on n’invente pas l’eau chaude, qu’on ne refera pas le match, que tout ceci sont des voeux pieux etc.

J’aimerai répondre à cela que souvent, les personnes bien installées, non précaires, partent du principe et fabriquent cette idée que l’adhésion à leur vision des luttes est acquise là ou elle est en réalité a re-construire sur de nouvelles bases…