Depuis des années, l’un des principaux efforts de normalisation en apparence du Rassemblement national porte sur la dissimulation de son antisémitisme. Cependant, celui-ci reste au cœur de la vision du monde de l’extrême droite, notamment en alimentant le complotisme.

« La dédiabolisation ne porte que sur l’antisémitisme. […] C’est l’antisémitisme qui empêche les gens de voter pour nous. Il n’y a que cela… À partir du moment où vous faites sauter ce verrou idéologique, vous libérez le reste. » [1]

En 2014, Louis Aliot, alors vice-président du FN, mettait au cœur de sa stratégie de dédiabolisation la fin de l’association du parti d’extrême droite à l’antisémitisme. Le 13 octobre dernier, le même, devenu maire RN de Perpignan, décorait de la médaille de sa ville Beate et Serge Klarsfeld, chasseurs de nazis dans l’après-guerre.

Le 9 novembre, à l’Assemblée, le RN revendiquait la présidence d’un groupe de travail sur l’antisémitisme, qui serait chargé de mener des études sur le sujet permettant par exemple d’auditionner des personnalités, sans octroyer des fonds au parti dirigeant le groupe ou y participant.

Un parti créé par des anciens SS

La stratégie de dédiabolisation portée depuis des années semble avoir atteint son objectif  : faire oublier un pan crucial dans l’histoire et la pensée du Front national, comme par exemple, le fait que le FN a été fondé en 1972 par un ancien SS  [2] et nombre de collabos, antisémites au dernier degré.

Cet héritage se retrouve dans la défense inconditionnelle de Pétain et dans la négation plus ou moins directe de la Shoah et des crimes antisémites menés par le régime de Vichy, mais aussi dans la reprise de ce vocabulaire adressé à des personnalités juives contemporaines. Si c’est Jean-Marie Le Pen qui s’est le plus régulièrement fait le porte-parole de ces atrocités, le faisant condamner à plusieurs reprises pour antisémitisme (1986) et contestation de crime contre l’humanité (2018), il n’est pas le seul  [3].

Deux députés RN actuels se sont particulièrement illustrés par leur antisémitisme  : Frédéric Boccaletti (Var), fondateur d’une librairie vendant de nombreux ouvrages négationnistes, et Bryan Masson (Alpes-Maritimes) qui relaie les thèses du « grand remplacement » sur ses réseaux sociaux.

Mais ces dernières années, le RN a préféré cacher son antisémitisme viscéral derrière un soi-disant passé de résistants et de républicains, en recentrant son propre récit sur la défense de la France face à l’immigration, incarnée selon eux par l’OAS lors de la guerre d’Algérie.

La mise en avant de leur islamophobie et de leur racisme antimaghrébins, pourtant également honteux, leur a permis en outre de détourner l’attention des autres racismes qu’ils incarnent et notamment de l’antisémitisme.

Autre diversion, le soutien croissant à Israël, notamment mené par Louis Aliot (encore lui) dès 2011, avec la justification islamophobe selon laquelle Israël, surtout gouvernée par l’extrême droite, se protégerait contre la prétendue « guerre des civilisations » menée par l’Islam, au Proche-Orient comme en France.

L’idée implicite est aussi qu’Israël serait le « vrai pays » des Juifs et Juives, éternellement étrangères et étrangers en France, et qu’il faut donc soutenir son indépendance pour pouvoir les y envoyer  ! Mais l’antisémitisme revient au galop, comme lorsque Marine Le Pen parlait en 2017 de Macron comme un « banquier d’affaire [qui] servirait une ambition » étrangère au bien de la France, en tant que « mondialiste, oligarchique et ultra-européiste »  [4]. Un discours reprenant implicitement nombre de mots et de clichés traditionnels de l’antisémitisme.

Juives et Juifs, des éternels étrangers

Malgré les liftings, le vieux fond rance ressort donc encore et encore. Les sorties antisémites ne sont pas des « dérapages » isolés  : elles sont l’expression de l’idéologie qui irrigue le RN. Par ailleurs, si le parti de Le Pen a policé son discours, c’est que d’autres groupes en assument la part la plus radicale  : Zemmour et Reconquête, Yvan Benedetti et son Parti National Français, Soral, le journal Rivarol, les catholiques de Civitas, les monarchistes de l’Action Française ou le GUD récemment reformé.

Au-delà de leurs différences, tous ces courants se retrouvent dans l’antisémitisme, qui reste une matrice fondamentale de la pensée de l’extrême droite. Les Juives et Juifs y sont pensés comme des étrangers par nature, qui ne peuvent pas appartenir au « pays réel » théorisé par Charles Maurras (une expression qu’on retrouve dans l’idée des « français de souche » opposés à des « français de papier ») et qui n’ont comme choix que de se taire ou de quitter la France.

Quand Macron envisage de rendre hommage aux antisémites Maurras ou Maurice Barrès, ou que Darmanin valorise dans un livre la politique antisémite de Napoléon comme un exemple d’intégration, c’est que la droite s’estime libre de tenir ouvertement ces discours.

Cette idée rejoint celle de nombreuses théories du complot, qui présentent « les Juifs » comme une communauté soudée d’ennemis de l’intérieur qui tireraient toutes les ficelles, comme celles du « grand remplacement » qu’ils orchestreraient pour détruire l’Europe chrétienne et blanche.

Sans être aussi clairs, ces mots d’ordre sont parfaitement compris par l’extrême droite. En témoigne la pancarte « Qui  ? » portée par Cassandre Fristot (ancienne membre et candidate en 2012 aux législatives pour le Front national, également ancienne cheffe de cabinet de Louis Aliot), ou la dénonciation des « banquiers » et de « la finance mondiale » contre « l’économie réelle » ainsi que celle d’ennemis comme les Rothschild, George Soros, Jacques Attali, à qui des pouvoirs d’influence démesurés sont prêtés.

Ce discours qui se prétend social est un moyen artificiel de détourner l’opposition de classe vers une division complotiste et raciste de la société qui permet d’unir patrons et prolétaires considérés comme français face aux Juives et Juifs.

hommages de Macron à Maurras et Pétain

L’antisémitisme du RN et de toute l’extrême droite n’est pas une vieille lubie associée aux années 1930 et 1940 et dont les tenants auraient quitté le parti avec Le Pen père  : il est fondamental, toujours présent, et ce malgré les efforts incessants faits pour faire oublier cette sinistre association au nazisme.

Si le RN est moins critiqué aujourd’hui sur ce thème, ce n’est pas qu’il y est absent  : c’est que le reste de la classe politique est devenu plus tolérant sur ces questions.

Quand Macron envisage de rendre hommage aux antisémites Maurras ou Maurice Barrès, ou que Darmanin valorise dans un livre la politique antisémite de Napoléon comme un exemple d’intégration, c’est que la droite s’estime libre de tenir ouvertement ces discours.

C’est pourquoi il nous faut être vigilants  : laisser libre cours à l’antisémitisme et surtout à ses expressions les plus dissimulées, c’est offrir un boulevard à la stratégie de dédiabolisation de l’extrême droite. La lutte antiraciste et antifasciste passe évidemment par celle contre l’antisémitisme, par sa mise en lumière et par dénonciation constante.

Commission antifasciste et Commission antiraciste de l’UCL

https://www.unioncommunistelibertaire.org/?Antisemitisme-Le-RN-des-collabos-aux-complotistes