A bas la Loi

 

« Les anarchistes trouvent logique AVEC EUX-MEMES monsieur de La Rochefoucauld et tous ceux qui protestèrent sans s’inquiéter de la légalité », nous dit Anna Mahé.

Ce n’est évidemment pas exact, ainsi que je vais le montrer.

Il suffit d’un mot pour travestir le sens d’une phrase, aussi les trois mots soulignés ont suffit à changer entièrement le sens de celle que je cite.

Si Anna Mahé était un leader de grand journal, elle s’empresserait d’accuser les typographes ou le correcteur de la boulette et tout serait pour le mieux dans le meilleur des mondes.

Ou bien encore, elle croirait de toute sagesse de s’entêter dans une idée qui ne serait pas la manifestation de son raisonnement mais bien plutôt le fait d’un courant de plume.

Elle pense, tout au contraire, qu’il est nécessaire, surtout dans ces articles de tête que nous voulons essentiellement anarchistes, de faire le moins d’erreurs possibles et de les relever nous-mêmes chaque fois qu’il nous sera donné de les apercevoir.

C’est à moi qu’incombe, aujourd’hui, ce travail.

Les catholiques, les socialistes, tous ceux qui acceptent, à un moment donné, le système du vote ne sont pas logiques AVEC EUX-MEMES lorsqu’ils se révoltent contre les conséquences d’une loi, lorsqu’ils manifestent contre ses agents, ses représentants.

Seuls les anarchistes sont autorisés, sont logiques AVEC EUX-MEMES lorsqu’ils agissent contre la loi.

Lorsqu’un homme dépose son bulletin de vote dans l’urne, il n’emploie aucun moyen de persuasion provenant du libre examen, ni de l’expérience. Il fait l’opération mécanique de compter ceux qui sont prêts à choisir les mêmes délégués que lui, à faire par conséquent les mêmes lois, à établir les mêmes règlements que devront subir tous les hommes. En mettant son bulletin, il dit : « Je me confie au hasard. Le nom qui sortira de cette urne sera celui de mon législateur. Je peux être du côté de la majorité, mais j’ai l’aléa d’être du côté de la minorité. Tant mieux et tant pis. »

Après s’être entendu avec les autres hommes, avoir décidé qu’ils s’en reporteraient les uns et les autres au jugement mécanique du nombre, il y a de la part de ceux qui sont la minorité, lorsqu’ils n’acceptent pas les lois et les règlements de la majorité, comme une tromperie de mauvais joueur, qui veut bien gagner mais qui ne veut pas perdre.

Les catholiques qui décidèrent au moyen de la majorité les lois d’exception de 1893-1894 sont mal venus à se révolter lorsque, au moyen de la même majorité, se décident les lois de Séparation.

Les socialistes qui veulent décider au moyen de la majorité les lois sur les retraites ouvrières sont mal venus à se révolter contre la même majorité lorsqu’elle décide quelque loi qui leurre un peu, beaucoup, leurs intérêts.

Tous les partis, qui acceptent le suffrage aussi universel soit-il à la base de leurs moyens d’action ne peuvent pas se révolter tant qu’on leur laisse le moyen de s’affirmer par le bulletin de vote.

Les catholiques sont en général dans ce cas. Les messieurs en cause dans les batailles dernières étaient de très « grands électeurs », quelques-uns même étaient des parlementaires ; non seulement les uns avaient voté, cherché à être la majorité dans les Chambres qui préparent les lois, mais les autres avaient élaboré cette loi, en avaient discuté les termes et les articles.

Etant donc des parlementaristes, des votards, les catholiques ne sont pas logiques avec eux-mêmes lors de leur révolte.

Les socialistes ne le sont pas davantage. Ils parlent constamment de révolution sociale et ils s’éternisent en des gestes puérils de vote, à la recherche perpétuelle d’une majorité légale.

Accepter hier la tutelle de la loi, la rejeter aujourd’hui, la reprendre demain, voilà la façon d’agir des catholiques, des socialistes, des parlementaristes en général. Elle est illogique.

Chacune de leurs attitudes n’est pas en rapport logique avec celle de la veille, pas plus que celle de demain ne le sera avec celle d’aujourd’hui.

Ou l’on accepte la loi des majorités ou l’on ne l’accepte pas. Ceux qui l’inscrivent dans leur programme et qui cherchent à acquérir la majorité sont illogiques lorsqu’ils se rebiffent contre elle.

Cela est. Mais chaque fois que des catholiques, des socialistes se révoltent, nous ne cherchons pas les actes de la veille, nous ne nous occupons pas de ceux qui seront fait demain, nous regardons tranquillement briser la loi par ceux qui en sont les fabricants.

Ce serait à nous de faire que ces jours n’aient pas de lendemains.

Donc, les anarchistes sont seuls logiques dans la révolte.

Les anarchistes ne votent pas. Ils ne veulent pas être la majorité qui commande, ils n’acceptent pas d’être la majorité qui obéit.

Lorsqu’ils se révoltent, ils n’ont besoin de rompre aucun contrat ; ils n’acceptent jamais de lier leur individu à quelque gouvernement que ce soit.

Eux seuls, donc, sont des révoltés que ne retient aucun lien, et chacun de leurs gestes violent est en rapport avec leurs idées, logique avec leur raisonnement.

Par la démonstration, par l’observation, par l’expérience ou, à leur défaut, par la force, par la violence, voilà par quels moyens veulent s’imposer les anarchistes. Par la majorité, par la loi, jamais !

 

Albert LIBERTAD.

l’anarchie N° 45 – 15 février 1906.