Ne rien respecter… Ne croire en rien…

Qu’on ne s’y méprenne point, les anarchistes sont des négateurs, des destructeurs, des démolisseurs…

Et cela toujours, partout, et sans cesse.

Les affiches multicolores qui souillent encore les murailles de nos cités révèlent qu’en dépit du discrédit où sont tombés les batteurs d’estrades parlementaires ou municipales, le nombre est immense de ceux, qui croient encore nécessaire d’appartenir à un parti, indispensable de s’affilier à un programme politique, essentiel de se faire représenter, eux, leurs intérêts, leurs aspirations, par des mandataires ou des délégués.

Contrastant avec cet étalage de médiocrité, quel réconfort que l’attitude des anarchistes, de ceux qui « ne croient en rien » et « ne respectent rien ».

Rien en effet ne trouve grâce devant leur critique désagrégeante. Rien ne leur est sacré. Les lois, les morales, les dogmes, les coutumes, les conventions. Le capitalisme, le militarisme, le patriotisme. L’enseignement officiel, ou privé, l’éducation dispensée à l’école, au lycée, au collège ou par la famille. Les faits acquis, les choses jugées, les principes immuables, les déclarations de droits de l’homme, les proclamations d’indépendance. La famille, l’affection paternelle, maternelle, fraternelle, filiale, la fidélité sexuelle obligatoire, le mariage. La tradition, le passé, le devenir meilleur, la société future, le déterminisme fatal, la prédestination religieuse ou laïque, les fois indémontrables et les croyances aprioristiques. L’autoritarisme, le parlementarisme, la centralisation administrative, – qu’elle émane de l’Etat, ou des syndicats. La charité, la solidarité et l’amour universels, les superstitions, les mômeries, les légendes, le travail-exploitation. La politesse, la courtoisie, l’honnêteté, la pudeur. Toutes ces choses comme les accommodent la sauce bourgeoise…

Pas un de ces préjugés, de ces illusions ou de ces fantômes que leur analyse impitoyable ne batte en brèche et ne sape.

Aïeux vénérés, chefs d’école, hommes indispensables, messies sauveurs, magisters, pontifes, magistrats, juges, douaniers, policiers, gardes-champêtres, gardes et gardiens en toutes livrées, représentants et exécutifs des institutions établies…

Il n’est pas un de ces êtres pour lesquels ils se sentent un soupçon de respect…

Et parce que anarchistes, anti-autoritaires ; parce qu’incroyants et irrespectueux, ils ne sauraient pour n’importe quel motif – quelque bénéfice personnel qu’ils aient à en retirer – par simple logique et aussi par dignité – faire un seul effort pour permettre au dernier des suppôts de l’autorité, au moindre des archistes, de trouver en eux un point d’appui pour ses desseins.

Que ceux qui lisent comprennent donc.

Rose DESHAYES.

l’anarchie N° 368 – Jeudi 2 Mai 1912.