Quelque chose d’important a été amorcé samedi. Une occupation publique et ouverte à tous n’est jamais facile, mais celle-ci est une des plus réussies à Paris ces dernières années. Car il faut le dire clairement : l’occupation et le blocage économique d’Italie 2, un des plus grands centres commerciaux de la capitale, samedi 5 octobre est un succès. Une victoire sur plusieurs aspects de la lutte. Des luttes.

C’est une victoire de terrain déjà : les milliers de militants présents ont réussi à investir le lieu et le tenir pendant près de 20 heures. La police a tenté à plusieurs reprises de déloger les occupants, en vain. Ce n’est que suite à une décision en AG que l’occupation a pris fin.

Réussir un tel coup, dans la France de 2019, avec une telle puissance sécuritaire et une volonté du pouvoir de casser au plus vite toute contestation un peu radicale et bloquante, c’est une énorme réussite.

Victoire également au vu des différentes personnes sur place. Car si Extinction Rebellion, à l’initiative de l’idée d’occupation, a été sur le devant de la scène médiatique, la réussite de l’occupation tient aussi du fait de la participation de structures très différentes, qui ont su se réunir autour d’un objectif commun : des Gilets jaunes au Comité Vérité pour Adama en passant par des collectifs queers, cette occupation a été préparée depuis plusieurs semaines par de nombreux secteurs en lutte. Chacun avec ses thématiques et modalités de lutte, mais réunis par la conviction que l’ennemi est le même : le système capitaliste.

Les personnes présentes samedi ont senti une réelle dynamique se créer, une envie, une rage et un plaisir de lutter ensemble. C’est peut être la plus belle des victoires. Et l’arme la plus dangereuse pour le pouvoir actuel.

Mais il faut également rester attentif et vigilant pour la suite. Car tout n’a pas été parfait et nous voyons déjà les travers que cette mobilisation pourrait prendre par la suite.

Car vouloir une réelle convergence, c’est chercher à réunir des personnes aux profils et histoires différentes. Et vouloir l’autonomie et l’horizontalité demande à laisser chacun s’exprimer, pour peu qu’il respecte les autres modalités. Samedi, cela n’a pas toujours été le cas, notamment sur la question (devenue presque un point Godwin à cause de la pression médiatique et du pouvoir) de la « non-violence ».

Rapidement des porte paroles d’XR ont signifié qu’il ne fallait pas de violence, pas de dégradation, ni même de discours contre la police. La peur d’être mal jugé par les médias (cible visiblement très importante pour XR). La peur d’être physiquement victime d’une rébellion qui pourrait leur échapper.

Sauf qu’on ne peut pas engager une telle rébellion, clamer une telle radicalité face à l’urgence de la situation, et vouloir opérer dans une docilité extrême tout en étant dans le déni face au rôle de la répression dans les luttes sociales ou écologiques.

Les personnes qui ne connaissaient pas les pratiques GJ, BB ou de cortège de tête avant cette occupation auront également pu se rendre compte que ces militants ne viennent pas pour assouvir leur soif de casser (des vitrines ou des personnes). Des heures se sont passées sans la moindre dégradation. En revanche, lorsqu’il a fallu s’opposer au système, venu via son bras armé, ces personnes savaient que la réaction devait être offensive pour pouvoir être efficace. Ce n’est donc pas un objectif mais juste un moyen parmi d’autres.

Et nier ce moyen, voir pire, le dénigrer est un piège dans lequel les militants radicaux du climat doivent éviter de tomber. Sous peine de devenir les nouveaux « idiots utiles » du système.

Personne ne pourra contester, même chez les plus modérés d’Extinction Rebellion, que les Gilets jaunes ont largement contribué à donner une tournure intéressante et inédite à cette occup. Sans les gilets jaunes et sans les personnes hors orga écolo, Extinction Rebellion est voué à n’être qu’une brique de plus dans le mur. Et seuls, les Gilets jaunes sont voués à être éternellement les cibles d’une répression barbare. Mais hier s’est amorcé quelque chose qui allait au delà de ça. L’engagement des corps en action a plus permis de se comprendre que n’importe quelle AG.

Le moment de résistance face à la tentative d’évacuation policière est une belle victoire à mettre sur le compte des personnes les plus déterminées qui ont permis que la nuit blanche s’ouvre à nous tous et que l’expérience ne soit pas avortée dès le début de soirée. La stratégie prônée par XR de rester assis et d’opposer une résistance « pacifique » n’aurait jamais suffi. Il a fallu que des personnes mettent leur corps en jeu, balance des objets, créent des barricades, prennent des risques, pour que la police se dise que la situation était trop risquée pour tenter de déloger les occupants.

Si parfois quelques appels bornés et systématiques à la non-violence sont à déplorer et témoignent de l’ignorance de certains principes de réalité et du rôle de la répression sélective qui ne s’exerce pas pareil entre un GJ et un militant écolo, il ne faut pas négliger la puissance de l’alliage étrange mais efficace qui est en train de naitre. Toute condamnation absolue d’un coté comme de l’autre ne saurait rendre compte du fait que les différences de pratiques sont en train de se frotter dans le réel, de s’apprivoiser et de s’influencer et que ça vaut mieux que 100 AG et 1000 tweets moralisateurs.

L’horizon est potentiellement beau et fort. Pour cela, il faut à tout prix éviter que des mouvements comme XR ou Youth for Climat deviennent les Greenpeace de 2020, à savoir un mouvement qui ne vit que pour des actions médiatiques, des coups. Mais qui ne cherchera pas à détruire le système et donc l’entretiendra.

L’urgence de cette époque, aussi bien socialement qu’écologiquement, impose à cette jeunesse (et aux moins jeunes) d’assumer clairement une radicalité qui ne doit pas se cantonner aux banderoles et aux coups d’éclats. Cette radicalité, des dizaines de milliers de citoyens l’ont déjà appliquée ces derniers mois, notamment lors des actions des GJ. L’occupation d’Italie 2 peut être une première pierre dans cet édifice que serait la forteresse révolutionnaire.