«le street art, ce n’est pas de la simple décoration»
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Category: Global
Themes: Art/cultureContrôle social
Places: Partout
Au premier abord, l’idée d’apporter quelques touches de couleur dans la grisaille ambiante paraît plutôt judicieuse. On se demande d’ailleurs pourquoi n’y a-t-on pas pensé plus tôt ? Simplement parce qu’on n’imagine pas la population d’un immeuble ou d’un quartier prendre en charge collectivement ce qui, de fait, relève de son initiative sans qu’immédiatement les pouvoirs locaux n’interviennent pour rappeler à l’ordre les contrevenants(2). Il existe des exemples célèbres de collectifs d’habitants qui imposèrent leurs décisions aux pouvoirs en place, mais localement, nous n’en sommes pas là aujourd’hui. La situation sociale est préoccupante, elle favorise le repli sur soi, et l’atomisation de la population rend pour le moment peu vraisemblable tout projet vaguement collectif. C’est de ce climat ambiant dont les pouvoirs locaux tirent parti, ici ou ailleurs. Le Street Art à la mode boulonnaise poursuit donc deux objectifs qui s’enchevêtrent jusqu’à se confondre. D’abord, celui de cacher la misère dans tous les sens du terme par une habile mise en scène et ensuite, celui de valoriser la politique d’aménagement urbain en cours.
Récupérer et aseptiser
On sait la disposition du capitalisme à intégrer en vue de sa reproduction les expériences qui, à première vue, semblent éloignées et parfois même attentatoires à sa dynamique. Le Street Art n’échappe pas à cette règle. Ses auteurs à succès ont désormais commerce avec les officiels du milieu de l’art et de son marché. Est-ce à dire que les graffeurs font désormais cause commune avec les tenants de l’ordre social et politique existant ? Indéniablement, certains ont trouvé où nicher. Pour d’autres, il arrive que les rouages du système et le cynisme des politiques parviennent jusqu’à désamorcer le contenu subversif de leur message. Ainsi, on se rappelle que la maire de Calais a protégé les fresques de Bansky peintes sur les murs de la ville, pendant que dans le même temps elle menait une politique acharnée contre les exilés errant sur le littoral. Loin d’indisposer Natacha Bouchard, le soutien affiché du graffeur aux étrangers a été reçu par celle-ci comme “une chance pour Calais”(3). Assurément, la chance de réaliser une plus-value supplémentaire sur le dos des réprouvés. Valeur d’échange VS valeurs de solidarité diraient certains ? Nullement, puisque dans cette affaire seule la figure de l’artiste monopolisera l’attention des médias, le dernier mot revenant au spectacle, comme il se doit.
A Boulogne-sur-mer, le Street Art est une marchandise importée à dessein. Il y est de facture officielle et commerciale, étranger aux pratiques réprouvées car considérées comme illégales dans les cités où le phénomène a vu le jour. Pour les édiles, il s’agit avant tout de donner à voir. Donner à voir que la ville n’est pas restée plantée là, sur le quai de l’Histoire, mais plutôt qu’elle a pris bonne place dans le train en marche d’une modernité prétendument post-industrielle.
Créer une ambiance
Nous avons déjà eu l’occasion de le dire, les projets d’aménagements que portent les politiciens locaux sont identiques à ceux de n’importe quelle autre agglomération ou métropole actuellement en chantier(4). La rationalité capitaliste lisse toutes les aspérités et laisse peu de place à l’imagination. La recette se compose invariablement d’une bonne dose d’activité touristique, ici essentiellement en lien avec le milieu maritime et patrimonial, d’une autre de construction immobilière, la dernière étant généralement dévolue aux secteurs dits de l’innovation et du numérique. Dans les faits, cela se concrétise par l’agrandissement du centre de la mer(5), l’édification d’immeubles de standing et l’implantation d’entreprises (Sopra Steria) ou la création de “pouponnières de starts up” (espaces de Co-working ; Bouda : Boulogne-Urban-Data, etc.). La ville se doit d’être à la fois une attraction, un musée et un de ces lieux de la modernité technologique. À la culture reviendra la mission de mettre la partition en musique.
Les cibles de l’art urbain sont donc autant les touristes de passage, que les catégories professionnelles dont l’industrie de la communication réclame la compétence(6). Le Street Art participe à créer l’ambiance recherchée, celle d’une ville séduisante qui se met en scène afin d’attirer les couches plutôt jeunes, plutôt diplômées et qui possèdent un certain capital culturel. Ce phénomène de gentrification donne aux villes des allures de parc d’attraction et certains parlent de Dysneylandisation(7).
Pour les couches de la population qui se sentiraient oubliées par ces projets, qu’elles se ravisent, le Street Art s’adresse à elles également, au titre de “l’accès à l’art”. Et on peut déjà parier que la pratique du Street Art figurera en bonne place dans les prochains programmes des services socio-culturels …
Contrôle et hiérarchie
La culture mise au service du développement urbain permet ainsi de renforcer le contrôle du politique sur le territoire. A ce titre, il est révélateur d’observer que l’ensemble des panneaux électoraux ordinairement installés lors des campagnes ont servi de support au festival d’été de Street Art. Et il est tout aussi symptomatique de constater que dans certains quartiers périphériques, le sort réservé aux œuvres exposées fut le même que celui promis rituellement aux affiches des candidats aux élections : Pas de quartier !
Le ripolinage de la ville n’épargne rien ni personne, si bien que les codes du vedettariat et la loi du marché s’appliquent ici comme partout ailleurs et reproduisent une stricte hiérarchie. Aux signatures internationales on livre les murs de la cité, aux acteurs locaux on réserve le mobilier urbain.
Quelle réponse ?
Après le mobilier anti-SDF et les caméras de vidéo-surveillance, le Street Art réglementaire enrichit la panoplie des dispositifs de contrôle et d’appropriation/marchandisation des espaces urbains. Face à cela, la seule réponse que l’on peut apporter est de continuer à s’exprimer politiquement sur les murs de la ville, à le faire le plus collectivement possible et à l’assumer. Les espaces existent, quitte à en reprendre à la culture officielle et subventionnée lorsque les conditions l’exigent. Nous sommes convaincus que nos amis les artistes comprennent que la rue appartient à tous et qu’ils doivent, eux aussi, en partager la jouissance.
A vos brosses !
Boulogne-sur-mer, le 18/08/18
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(1) ”Dix œuvres de Street Art s’installent à Boulogne-sur-mer”. La VdN/2018-07-23
(2) En s’ efforçant dans un premier temps de les inclure dans un dispositif officiel quelconque, le genre de pantalonnades telles que les “projets de quartiers à base de démocratie participative”, etc … S’ils s’obstinent, alors, la répression prendra le relais.
(3) Déclaration de la maire de Calais reprise par de nombreux titres de la presse bourgeoise.
(4) Se reporter aux numéros 32 et 33 de la Mouette Enragée consacrés à la question ou consulter directement les textes sur ce blog, à la rubrique “Production capitaliste de l’espace”.
(5) À ce sujet, avez-vous remarqué qu’à mesure que la ressource halieutique diminue, Nausicaa s’agrandit … Centre de la mer d’ailleurs posé sur une plage… interdite à la baignade pour cause de pollution !
(6) Sopra Stéria a du faire venir une bonne partie de ses salariés de la métropole lilloise.
(7) Lire à ce sujet le texte de Alexandre Grondeau et Florence Pondaven : “Le Street Art, outil de valorisation territoriale et touristique : l’exemple de la Galeria de Arte Urbana de Lisbonne”
https://lamouetteenragee.noblogs.org/
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