La reproduction artificielle des animaux non-humains
Publié le , Mis à jour le
Catégorie :

Thèmes :








Depuis la sortie du film « Mouton 2.0 » nous n’avons cessé d’affirmer que la lutte contre le puçage n’était pas une lutte agricole. Qu’elle ne concernait pas que les ruraux et pas seulement les agriculteurs, mais bien au contraire toute la société. Toutes les personnes mangeant cette nourriture produite de cette façon. Que de nombreux ponts étaient à construire avec les urbains, avec d’autres métiers (ou même avec les chômeurs) ou d’autres situations. Que de cette situation faite aux éleveurs, chacun en avait l’expérience dans sa propre vie. Quiquonque ayant eu affaire à une administration (c’est-à-dire à peu près tout le monde) a ressenti un jour ce sentiment de solitude face à une bureaucratie kafkaïenne désormais informatisée. Ce sentiment de n’être qu’un numéro de sécu. Appuyez sur la touche étoile. Nous persistons : la lutte contre le puçage ne peut être victorieuse qu’avec tous les puçés, des villes et des campagnes. L’affaire Snowden qui dure maintenant depuis un an ne faisant que confirmer ce que d’autres disaient avant nous : tout le monde est concerné, plus personne ne peut prétendre y échapper. Ce qui signifie en substance que les éleveurs ne gagneront pas seuls. Ce n’est qu’en se tournant vers d’autres (« la société civile », « la masse », « le peuple », bref les gens) qu’ils pourront s’en sortir et emmener d’autres personnes dans leur lutte.
Si nous avons voulu ces ponts, c’est que la nourriture est une question centrale dans cette société. Et que la façon de la produire en dit long sur le monde dans lequel nous vivons. Elle peut servir d’entrée à une critique du monde industriel de manière générale. Là encore nous n’inventons rien. Les procédés de rationalisation d’après-guerre de l’agriculture et notamment de l’élevage ont été étudiés sous toutes les coutures.
Mais aujourd’hui c’est le troupeau humain qui réclame le même traitement que celui des moutons. Le journal Libération faisait récemment sa Une en offrant une tribune aux 343 fraudeuses ayant eu recours à la PMA (1). Rendant hommage aux « 343 salopes » qui eurent recours illégalement à l’avortement, « les fraudeuses » réclament ici la PMA pour toutes – c’est-à-dire pour les femmes homosexuelles, sans discrimination. Pourtant, si la légalisation de l’avortement et le fait pour les femmes de pouvoir choisir fut un grand progrès social, nous voyons au contraire dans la PMA un danger.
Les technologies développées dans le cadre de l’élevage industriel (insémination artificielle, fécondation in vitro) ont, au cours des années soixante-dix et quatre-vingt progressivement été appliquées aux femmes pour le traitement de l’infertilité humaine (2). « Au-delà des importantes questions éthiques que soulève l’expérimentation, au nom du désir d’enfant, de méthodes issues de l’élevage industriel sur le corps des femmes, il faut bien voir qu’à travers ce transfert technologique ce sont les valeurs productivistes de l’économie industrielle qui ont été transférées », écrit la sociologue Céline Lafontaine dans un livre sur la bioéconomie (la mise sur le marché de pièces détachées humaines : sang, tissus, cellules, ovules…). En ayant permis de contrôler les paramètres biologiques et génétiques de la reproduction, les biotechnologies développées dans le cadre de l’agriculture industrielle sont au fondement même de la bioéconomie, dont le premier objectif est d’accroître la productivité ». La transposition au corps féminin de biotechnologies conçues pour contrôler la reproduction d’animaux d’élevage est donc à l’origine de l’exploit scientifique qu’a représenté la naissance du premier « bébé-éprouvette ». Ce passage de l’élevage industriel à la reproduction humaine est historiquement attesté par le fait que Jacques Testart, le père scientifique d’Amandine (première Française née de fécondation in vitro en 1982), a commencé sa carrière à l’INRA (recherche agronomique) comme biologiste spécialiste de la reproduction des bovins. Jacques Testart écrit d’ailleurs à propos de la reproduction artificielle : « Comme l’a montré Jean-Pierre Berlan (3), le but des nécrotechnologies est d’exproprier « cette propriété malheureuse des plantes et des animaux : se reproduire et se multiplier ». Il s’agit donc de séparer la production qui reste dans les mains des agriculteurs, de la reproduction qui devient le privilège de l’investisseur, c’est-à-dire de quelques multinationales. D’où le projet « séculaire mortifère de stérilisation du vivant. 4)
Dans « Mouton 2.0 » nous parlons de génétique. De l’histoire de la sélection bovine car celle-ci nous est connue. Cette histoire s’est faite sans puce RFID il est vrai, tout simplement parce que celle-ci n’était pas encore au point dans les années soixante et soixante-dix. Mais aujourd’hui la puce et les fichiers auxquels elle est reliée sont l’outil ultime de gestion. Ils sont intimement liés à l’amélioration de la race à laquelle travaillent les généticiens de l’INRA. Pour sélectionner il faut connaître. Identifier et générer de l’information. Le plus d’information possible. Créer des chiffres et les exploiter de manière exponentielle – desquels découleront d’autres chiffres. Grâce à des banques de données, recouper des informations, faire des statistiques pour ensuite trifouiller les gènes. Bref, faire un travail génétique. Pour aboutir au mouton blond aux yeux bleus, celui qui produira le plus de lait ou le plus d’agneaux, comme les bovins ont leur Holstein (5) ou désormais leur Blanc Bleu Belge (6). Bref à l’eugénisme.
Testart, qui est passé des animaux aux humains, sait de quoi il parle lorsqu’il affirme que « les techniques d’insémination artificielles de mères porteuses d’embryons sélectionnés conduisent à des monopoles sur les géniteurs et œuvrent à la raréfaction variétale (sélection). » Et de poursuivre pour les mêmes procédés adaptés aux humains : « qui souhaiterait choisir un embryon génétique taré quand des dizaines de normaux seront disponibles ? Une telle banalisation de la norme par sélection compétitive ouvre la porte d’un nouvel eugénisme ».
A ce sujet nous ne pouvons que conseiller la lecture d’un livre fraichement sorti : La reproduction artificielle de l’humain (7). Ce livre rappelle d’abord (« La stérilité pour tous et toutes » (8) ) que la baisse de la fertilité chez les hommes est dûe à la dégradation de notre environnement et de nos modes de vies. La PMA face à ce constat arrive en sauveur pour résoudre le problème. On connaît la chanson : la nouvelle vague d’innovations prétend résoudre les problèmes posées par la précédente. Le serpent se mord la queue. Le livre explique ensuite les promesses, déjà à l’œuvre ou à venir de la PMA : eugénisme, marchandisation du vivant, manipulation génétique des embryons, transhumanisme…
La PMA n’a donc rien de naturel ni d’une simple aide à la procréation. Elle implique un lourd dispositif biomédical avec nombre de risques pour les patientes. Elle exige la création de banques de données. D’une hiérarchie dans la classification de ces données (gamètes de prix Nobel par exemple). Elle accroît notre dépendance vis-à-vis de l’industrie médicale et ouvre la voie à l’eugénisme. Non pas l’eugénisme négatif (par élimination) mais un eugénisme « positif ». Comme le proposaient les biologistes soviétiques partisans d’un eugénisme socialiste « vu l’état actuel de l’insémination artificielle (largement utilisé pour le bétails) la sélection humaine pourrait faire un gigantesque bond en avant (…) par insémination artificielle de femmes choisies pour leur qualités, par du sperme d’hommes non moins choisis (9). » Voici l’eugénisme du libre choix, de la mondialisation et du libéralisme. Non pas contraint mais choisi, sauf peut-être pour cette Indienne payée vingt mille dollars pour porter votre enfant.
N’en déplaise aux libérateurs d’animaux pour qui la nature n’existe pas ou à certaines féministes (comme Clémentine Autain) la déclarant « fasciste », la barbarie de notre époque réside sans doute plus dans cette illusion de vouloir la contrôler et la dominer que dans le fait de se soumettre à elle. « Toute tentative ayant pour but de briser la contrainte exercée par la nature en la brisant n’aboutit qu’à une soumission plus grande au joug de celle-ci » (10). Qui plus est, il est paradoxal de constater que derrière cette revendication du droit à l’enfant et son discours ultra moderniste (revendiquant une technologie de pointe) se cache le désir archaïque d’une parentalité biologique. Le sang de mon sang, l’ADN de mon ADN. Comme si l’important dans la parentalité était d’ordre génétique.
Revenons à nos moutons. Une distance s’est faite chez les éleveurs en lutte entre ceux voulant une dérogation pour ajouter leur label « agneau non puçé » et ceux voulant porter la critique plus loin. Au-delà de leur élevage, vers le cheptel humain. On conviendra après ce qui précède qu’aménager son pré carré au milieu de ce monde est une politique vouée à l’échec. Nous ne voulons pas être les derniers des mohicans. Nous voulons rester humains. Fin avril 2014, José Bové déclarait son opposition à la PMA. « Je crois qu’il faut être très prudent sur ces questions-là. Mais, pour moi, tout ce qui est manipulation sur le vivant qu’il soit animal, végétal ou humain doit être combattu. » Ce à quoi l’écolo-technocrate Esther Benbassa sénatrice EE-LV répondait avec mépris « À trop suivre la nature on finit par vivre avec des animaux dans une ferme du Larzac. » Après cela, libre à chacun de choisir son camp et d’en tirer les conséquences. Notre inquiétude ne découle pas de l’irruption de quelques savants fous et de leurs manipes, mais de la tranquille assurance de tous les autres à nous fabriquer un avenir sur commande. Un monde meilleur. Le meilleur des mondes.
Sommes-nous la dernière génération d’enfants nés et non pas produits ?
La PMA, ni pour les homos, ni pour les hétéros. Ni pour les humains, ni pour les animaux.
Un réalisateur de « Mouton 2.0 : la puce à l’oreille »
NOTES :
– 1 Procréation médicale assistée, technique autorisée en France pour les couples hétéros mais pas encore pour les couples de femmes homos.
– 2 Discipline reproduction : modernity american life and « the problems of sex », adèle Clarke cité dans Le corps-marché de Céline Lafontaine, avril 2014
– 3 La guerre au vivant, OGM et mystifications scientifiques, Agone 2001
– 4 Fabrique du vivant et décroissance, Jacques Testart dans Entropia n°3, 2007
– 5 Race inconnue en France avant les années soixante, elle domine maintenant la plupart des troupeaux.
– 6 blanc bleu belge, http://www.lemonde.fr/planete/artic…
– 7 La reproduction artificielle de l’humain, Alexis Escudero, 2014, le monde à l’envers
– 8 premier chapitre disponible sur www.piecesetmaindoeuvre.com
– 9 La société pure, de Darwin à Hitler, André Pichot
– 10 La dialectique de la raison, Adorno et Horkheimer, 1947
De tout temps l’être humain a du lutter contre la nature, ce qui ne signifie en rien qu’il doive la massacrer, mais que son développement passe par la science et la technique pour s’affranchir des contraintes de la nature.
Rappelons au passage que la nature n’est autre chose qu’une conséquence empirique de ce qui fut et des lois de la matière.
Les phrases de bobos et d’attardés telles que « la nature fait bien les choses » « contre nature » sont des inepties intellectuelles, digne des religions les plus réactionnaires, en effet le rastafari et la mystification de gaia valent autant que le christianisme et autres en ce sens où elles font reposer dans une intention divine le développement de ce qui est.
N’en déplaise à ces obscurantistes, aucune autorité supérieure ne régit l' »étant » seul compte nos actions, et considérer l’action humaine comme vile par nature est une aberration.
Que le capitalisme dans sa recherche de profit mène à des catastrophes qui menacent toutes l’humanité est chose évidente mais considérer la science ou la technique comme autonome et amenant l’humanité irrémédiablement vers le chaos non divin car non naturel est une bassesse intellectuelle.
La pilule, la PMA, les diverses technologies médicales ont permis une relative émancipation de l’humanité face à la nature empirique est in-intentionnelle. Le capitalisme s’en sert pour accroître l’exploitation et l’aliénation de l’humanité, c’est donc le capitalisme qu’il faut abattre pas la technique qui débarrassé des intérêts de la classe exploiteuse est la seule voie vers l’émancipation de l’humanité.
Basta des conceptions erronées et réactionnaires des ludittes et des technophobes qui souhaitent retourner à la grossesse subie, aux accouchements douloureux et à la merci de leur divinité dame nature.
Le salut de l’humanité passe par la société sans classe reprenant à son compte les développement scientifique et technique.
« A rebours de ce que prétendent le socialisme scientifique et ses innombrables séquelles (de la gauche du PS à la « gauche de gauche »), les sans pouvoirs ne peuvent pas « se réapproprier » ce pouvoir. Ils ne peuvent pas plus s’emparer de l’appareil scientifico-industriel et le faire marcher à leur profit, que la Commune (1871) pouvait faire marcher à son profit l’appareil d’Etat bourgeois. Elle devait le détruire. Et c’est la leçon qu’en tire Marx dans La Guerre civile en France. Les sans pouvoirs ne peuvent pas se « réapproprier » un mode de production qui exige à la fois des capitaux gigantesques et une hiérarchie implacable. L’organisation scientifique de la société exige des scientifiques à sa tête : on ne gère pas cette société ni une centrale nucléaire en assemblée générale, avec démocratie directe et rotation des tâches. Ceux qui savent, décident, quel que soit l’habillage de leur pouvoir. Contrairement à ce que s’imaginait Tocqueville dans une page célèbre, sur le caractère « providentiel » du progrès scientifique et démocratique, entrelacés dans son esprit, le progrès scientifique est d’abord celui du pouvoir sur les sans pouvoirs. Certes, une technicienne aux commandes d’un drone, peut exterminer un guerrier viriliste, à distance et sans risque. Mais cela ne signifie aucun progrès de l’égalité des conditions. Simplement un progrès de l’inégalité des armements et des classes sociales. C’est cette avance scientifique qui a éliminé des peuples multiples là-bas, des classes multiples ici et prolongé l’emprise étatique dans tous les recoins du pays, de la société et des (in)dividus par l’emprise numérique. Chaque progrès de la puissance technologique se paye d’un regrès de la condition humaine et de l’émancipation sociale. »
http://www.piecesetmaindoeuvre.com/spip.php?page=resume&id_article=509