Le 7 septembre et les retraites : Suffit-il de nous promener derrières les centrales ?
Toutes les directions syndicales, des associations, les partis de gauche et d’extrême gauche nous tiennent tous le même discours : ce qui compte le 7 septembre, c’est le nombre. Il faudra être des millions en grève et dans la rue. Mais, désolé de devoir le rappeler, ce qui manque aujourd’hui à la classe ouvrière ce n’est pas de répondre nombreux à des appels pour des journées d’actions syndicales : cela s’est vu en 2009 et même plusieurs fois de suite… sans succès. Ce qui manque, c’est une claire conscience des enjeux, c’est-à-dire des buts des classes dirigeantes et des objectifs et moyens de la classe ouvrière pour y répondre.
Tel n’est pas le problème de ces organisations qui se revendiquent pourtant de nous, travailleurs. Les centrales syndicales cherchent seulement à conserver leur crédit pour mieux revenir autour de la table de négociation et être reconnus des gouvernants. Mais notre avenir gravement menacé est bien loin de tels intérêts de boutique. Pour les partis de gauche, il s’agit d’abord et avant tout de nous préparer à bien voter à l’élection présidentielle. C’est dans ce but qu’ils présentent l’attaque actuelle comme une lubie propre à Sarkozy et à la droite française, alors que l’on constate la même attaque de la part des classes dirigeantes de toute l’Europe. Quant à l’extrême gauche, sans illusion sur la politique des centrales, elle se garde d’en parler, espérant que, malgré les calculs des dirigeants syndicaux, l’ampleur de la grève pourrait « redonner le moral » aux travailleurs.
Mais lutter ainsi, en aveugles, est-ce bon pour le moral ? Est-ce bon pour engranger des victoires et, ainsi, prendre conscience de notre force réelle ou de la faiblesse réelle aussi des classes dirigeantes ? La première des questions n’est-elle pas : comment se fait-il qu’un gouvernement incapable de lutter pour l’emploi, pour les salaires, capable seulement de distribuer l’argent de nos impôts aux banquiers et autres capitalistes, un gouvernement peu populaire, assez discrédité même, déjà isolé, ayant besoin de se raccrocher à des opérations dégoûtantes comme les rafles de Roms, soit encore capable de mener une des attaques les plus ouvertement antisociales de ces dernières années ? Et quel intérêt peut-il trouver à cette opération ?
Sa force n’est certainement pas dans ses arguments. Faire travailler les salariés jusqu’à 62 ans – et même 67 pour une retraite à taux plein ! – au moment où la plupart des salariés ne parviennent pas à se maintenir dans un emploi jusqu’à 60 ans, faire travailler des seniors alors que les jeunes ne trouvent aucun emploi fixe, parler de problème démographique alors que chacun sait qu’il s’agit d’une politique de rigueur, tout cela devrait encore affaiblir l’attaque gouvernementale. Et pourtant…
Sa force pour agir ainsi ne provient-elle pas justement des démonstrations syndicales de ces dernières années ? Car, depuis les journées débutées en janvier 2009 puis mars, etc…, n’a-t-on pas vu les mêmes centrales syndicales incapables de faire face à des vagues de licenciements, au blocage des salaires, aux attaques sur les services publics… Loin de développer l’organisation de la lutte, la conscience des travailleurs dans leurs capacités, n’ont-elles pas développé, à tort, la croyance de la fatalité des attaques et la confiance en eux-mêmes des classes dirigeantes ?
Pour le gouvernement, il ne s’agit pas d’un objectif politicien : une telle politique ne peut rien pour le rendre plus populaire en vue des élections. Il s’agit donc de défendre les intérêts de la classe capitaliste et pas seulement celui de l’UMP et de la droite. En cassant les retraites, le gouvernement mise sur leur privatisation par les fonds de pension offrant des milliards aux financiers affamés qui craignent de rechuter dans la crise. C’est la suite de la casse des services publics qui vise, en les discréditant, à mieux les offrir au privé qu’il s’agisse de la santé, des transports, de l’énergie, de la poste ou des télécommunications. Et même de l’enseignement. La retraite au cimetière n’a pas d’autre but que d’obliger la population à se payer des retraites privées. C’est la suite des centaines de milliards déversés depuis 2008 aux capitalistes pour sauver le système. Il n’est toujours pas sauvé !
C’est une fuite en avant. Elle est causée par la débâcle économique du système. Cela ne veut pas dire qu’elle est justifiée. Elle l’est pour les classes dirigeantes. Le bateau prend l’eau et on jette du lest : les travailleurs et les milieux populaires en l’occurrence. C’est un tonneau sans fond des besoins de la finance aux abois que le gouvernement ne cesse de remplir. Nos retraites n’y suffiraient pas pour sauver les capitalistes de la nouvelle crise qui approche inexorablement.
C’est dans cette situation qu’il faut comprendre cette « mobilisation » syndicale pour les retraites… Loin de faire partie d’une contre-offensive ouvrière, elle est la suite (pour tous qui parlent sans cesse de « suite » des journées syndicales) de l’organisation pré-programmée des défaites passées. Et cela pour une raison de fond : ce que contestent les directions syndicales et politiques, ce n’est nullement le droit du capital à diriger la société.
Que faudrait-il faire pour qu’il en soit autrement ? Il faudrait d’abord que partout, sur les lieux de travail, dans les quartiers, comme lors des rassemblements les salariés discutent entre eux… L’heure est grave. Notre avenir, et celui de nos enfants, est menacé. C’est à nous de réfléchir et de proposer. Cela signifie avancer nous-mêmes les mots d’ordre, les revendications des banderoles, des panneaux, des tracts, ne pas nous contenter de suivre les dirigeants. Ceux des syndicalistes qui sont véritablement soucieux des intérêts de leur classe ne pourraient qu’en être satisfaits. Ils ne tiennent pas à un monopole de parole dans les AG et dans les tracts. Une telle organisation signifierait déjà pour la classe dirigeante que les travailleurs se mettent en ordre de bataille. Elle voudrait dire que l’entreprise redevient un lieu de développement d’une force ouvrière comme en 36 ou en 68 et, en plus, que, contrairement à ces deux grands mouvements, les travailleurs risquent de décider eux-mêmes d’en finir avec la domination de système pourri.
Car il y a une alternative. Soit on ne construit pas un vrai rapport de forces et on va sombrer avec le bateau. Soit on construit un vrai rapport de forces et alors nous n’avons aucune raison de nous en tenir à remettre sur le papier les 60 ans officiels de la retraite. Des travailleurs mobilisés ensemble dans tout le pays peuvent faire bien plus et faire ravaler toutes les autres mesures antisociales de ces dernières années, se lier aux paysans, artisans, retraités, chômeurs ruinés en faisant payer les financiers et autres capitalistes. C’est ou eux ou nous !

http://www.matierevolution.fr/