Étrange menace terroriste en plein Paris
Réflexions sur les mystères du Printemps

(toutes les citations sont extraites des journaux Aujourd’hui en France et Libération, datés du 17 décembre 2008)

« Il faut se méfier des indications qui étaient dans la lettre et qui pourraient orienter les enquêteurs vers de fausses pistes disait Michèle Alliot-Marie »…

Le 16 décembre 2008, « des explosifs sans système de mise à feu » ont été retrouvés au magasin Printemps du boulevard Haussmann à Paris. Une action qui a été revendiquée par un « mystérieux » Front révolutionnaire afghan (FRA), totalement inconnu des politiciens et des services de police selon les déclarations parues dans la presse.
Le lendemain, c’est à dire le 17, tous les grands quotidiens nationaux de Libération au Figaro, en passant par Aujourd’hui en France, en faisaient leurs gros titres. Les jours suivants, plus rien…, à l’exception notoire du ministre de la défense Hervé Morin, qui fit quelques interventions radiophoniques (sur France Inter par exemple) et télévisuelles. Cela tranchait plus d’un mois après l’affaire des sabotages des lignes de chemins de fer, dite « l’affaire Tarnac », qui fut médiatisée à outrance pendant des semaines. Le journal Libération allant même jusqu’à saluer « la soudaine prudence de Michèle Alliot-Marie »…

La thèse du « terrorisme islamiste » discréditée

D’entrée de jeu, ces mêmes experts, enquêteurs et autres chercheurs discréditaient la thèse du « terrorisme islamiste ». Les revendications développées par le FRA dans une lettre communiquée à l’Agence France presse (AFP) ne correspondaient en rien avec les revendications habituelles des terroristes islamistes. Aucune référence à l’Islam et à ses interdits n’y apparaissait. De plus, « cette lettre n’avait pas été traduite », c’était donc « qu’elle avait été rédigée par des français » analysait Eric Denécé, le très sérieux directeur du Centre français de recherche sur le renseignement (CFRR). Anne Guidicelli (présidente de l’agence de conseil en terrorisme international  »Terrorisc ») poursuivait naïvement : « s’il s’était agit d’un groupe djiadiste, la lettre aurait commencé par un texte du Coran ou par les paroles d’un leader religieux. »
La méthode même de l’alerte semblait étonner Denécé : « Al-Quaïda ne prend pas la peine de prévenir expliquait-t-il. Le mode opératoire utilisé au Printemps Haussmann tient de l’amateurisme. » Et Louis Caprioli, ancien responsable de la lutte antiterroriste à la DST, rajoutait : « démonter la chasse d’eau, cela ne fait pas trop professionnel ». Enfin, d’autres experts de la section antiterroriste de la brigade criminelle (la SAT) en charge de l’enquête entérinaient le tout : « Il s’agit d’explosifs civils, en mauvais état de conservation et relativement anciens. Ces bâtons de dynamite s’apparentent à ceux utilisés pour l’exploitation de carrière de minerai. Nous ne sommes pas en présence des moyens utilisés habituellement par les filières islamistes classiques. »
Hasard ou coïncidence ?, La Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) nous apprenait qu’elle venait de mener deux opérations en moins d’une semaine « contre le terrorisme islamiste », l’une contre une filière afghane… et l’autre le 16 décembre… contre des proches du mouvement Al-Quaïda au Maghreb Islamique (AQMI), en région parisienne. Mais ces opérations n’avaient aucun lien avec l’alerte du Printemps. On nous faisait donc savoir que les services secrets et la police poursuivaient consciencieusement leur travail de « lutte contre le terrorisme ». Et en même temps, d’une pierre deux coups, on continuait à discréditer la thèse du « terrorisme islamiste » dans « l’affaire du Printemps », pour mieux taper sur les « zozos de l’extrême gauche » !

La « mouvance extrême gauche » en ligne de mire

De fil en aiguille, Denécé se dépêchait de conclure : « aucun mouvement islamiste n’utiliserai le terme de  »révolutionnaire », une terminologie occidentale, marxiste ! » Khosrokhavar, qui se dit spécialiste de l’islam radical parce que professeur à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), enfonçait le clou : « Le FRA pourrait ainsi être un groupe d’extrême gauche française qui se dissimule sous ce nom pour mettre fin à la présence française en Afghanistan »… Mais encore, si le ou les auteurs de la lettre de revendications le disent : « nous repasserons à l’action dans vos grands magasins capitalistes », c’est donc, pour Denécée, « qu’on peut croire à l’oeuvre d’un groupe ou d’un individu de la mouvance d’extrême gauche »… Ce qui confirmerait aussi le slogan complètement décalé à la fin de la lettre : « Vive l’Afghanistan libre ». « Encore une fois, on retrouve la terminologie marxiste, à mille lieues des djiadistes. On croirait plutôt à des zozos ! »…

L’article paru dans Aujourd’hui en France se terminait sur les propos du  »super-flic » Jean-pierre Pochon (directeur honoraire de la police nationale, directeur de la stratégie et du développement de l’entreprise Sécurité sans frontières (SSF), filiale de Sofema Groupe spécialisé dans la prévention et la gestion des risques auprès des grandes entreprises industrielles. Ce Pochon a travaillé à la Direction générale de la surveillance extérieure (DGSE), à la Direction centrale des renseignements généraux (DCRG), à la Direction de la surveillance du territoire (DST), à la Direction des renseignements généraux de la préfecture de police de Paris (RG-PP), ces trois derniers organismes étant devenus en 2008 la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI)) : « C’est assez compliqué de déterminer si c’est l’histoire d’un farfelu, d’un fou, ou si, derrière, il y a un groupe réel avec des projets réels. »… Et c’est bien cela qu’il s’agit de questionner ici aujourd’hui, mais pas tout à fait comme peuvent se l’imaginer les  »enquêteurs », et encore moins la grande masse des citoyens, sans parler de tous ces militants qui applaudissent en cœur ce genre d’évènement.

Des doutes en suspens

Premièrement, il serait probable que cette « manœuvre d’intimidation certaine », pour reprendre des termes de source judiciaire, soit le fait d’un « fou », d’un individu « farfelu » ou d’un « zozo » de la « mouvance d’extrême gauche » française. Selon les enquêteurs et les experts, la « terminologie marxiste », « le slogan décalé », « l’amateurisme », « l’échéance sans fondement », « la lettre non traduite en arabe et sans référence au Coran », « la confusion entre le je et le nous »… dans la lettre de revendications, indiquent bien qu’il s’agirait d’un individu ou d’un groupe de ce type. Le mobile  »apparent » serait le retrait des troupes françaises d’Afghanistan. Les mobiles  »cachés » seraient : « le manque à gagner important que subit l’enseigne du grand magasin Printemps à l’approche de Noël, déjà visé le 10 décembre par une alerte à la bombe » comme le faisaient remarquer les enquêteurs aux journalistes de Libération; ou bien alors, tout simplement…, « une manœuvre d’intimidation liée à une autre cause, peut-être d’extrême gauche, maquillée en action politico-islamiste continuaient les enquêteurs », dans le but de « créer des mouvements éventuels de panique pour désorganiser le fonctionnement de l’Etat disait encore Alliot-Marie ». Ou bien encore, peut-être…, s’agirait-il « d’un acte de malveillance commis par un mécontent contre le Printemps poursuivaient ces mêmes enquêteurs »…
Deuxièmement, il pourrait aussi s’agir d’un coup monté par la police et les services secrets français dans le but de discréditer la « mouvance d’extrême gauche » auprès de la population française. Peut-être que cette « manoeuvre d’intimidation » pourrait, plus tard, quand les circonstances l’imposeront, se transformer en « terrorisme aveugle », c’est à dire par l’assassinat de civils. Peut-être faut-il donc voir cet événement comme une menace que l’Etat adresserait à la population, et particulièrement à ceux qui se situeraient, de près ou de loin, dans cette « mouvance d’extrême gauche » ?
C’est que cette « menace d’intimidation » n’est pas apparue à n’importe quel moment. Elle est apparue quand le  »chaudron social » s’apprêtait à bouillir : grèves des lycéens, des instituteurs, des étudiants en IUT, occupations des lycées et des écoles primaires, manifestations nationales contre la fusion de l’ANPE et de l’ASSEDIC, mouvements de sans-papiers, etc., sans parler de ce qu’il se passait en Grèce au même moment et qui commençait à être relayé partout dans le monde par des manifestations devant les ambassades et ailleurs… L’Etat avait donc quelques intérêts, à ce moment précis, à pratiquer ce qu’on pourrait appeler du « terrorisme défensif ». D’autant plus que les prestations médiatiques de la ministre de l’intérieur Alliot-Marie et de sa police dans « l’affaire de Tarnac » étaient de plus en plus critiquées par les journalistes, qui étaient cependant les mêmes qui l’avaient révélés en fanfare, faisant passer pour « terroristes » des actions de sabotage, bafouant la « présomption d’innocence » en accusant les gens sans aucune distance par rapport aux propos policiers. Sans parler de tous les comités de soutient qui se mirent en place, des différentes réunions qui commençaient à fleurir autour de l’antiterrorisme, du sabotage, de la lutte sociale et de ce qu’on pourrait faire  »ici-maintenant » pour lutter contre les forces répressives.
Alors bien sûr, il serait bien maladroit de transformer ces suppositions en certitudes, ou ces hypothèses en thèses. Il n’empêche qu’on ne peut pas balayer ce genre de problème d’un simple revers de main. Ce serait vraiment faire preuve de cécité historique. D’ailleurs, les déclarations du ministre de la défense Hervé Morin dans cette affaire renforceraient plutôt l’idée d’un  »coup monté » par l’Etat. Distillant évidemment les mêmes théories que dans la presse écrite, il en rajoutait sur la nécessité de la « présence française » en Afghanistan en se gargarisant de son savoir du terrain… Cependant, il se gardait bien de revenir sur ce qui avait conditionné cette guerre…, sur ce qui s’était passé un certain 11 septembre, sur les liens antérieurs entre la CIA et les talibans, sur l’assassinat du général Massoud et ses commanditaires, bref sur les buts réels de « l’effort de guerre français » ou « transatlantique » en Afghanistan et partout, présent ou passé (en Palestine, en Irak, en Tchéthénie, en Géorgie, en ex-Yougoslavie, au Rwanda, au Pays Basque ou en Corse, etc.).

Renversement

Dés lors, comment interpréter cette sentence d’Alliot-Marie ? : « Les terroristes, ce qu’ils cherchent, au-delà de frapper des personnes, c’est d’avoir de la communication pour créer des mouvements éventuels de panique pour désorganiser le fonctionnement de l’Etat »
Les Etats comme la France, ce qu’ils cherchent avec leurs dispositifs de « lutte contre le terrorisme », au-delà d’organiser l’exploitation et l’oppression de leurs citoyens : c’est de manipuler l’opinion publique (grâce aux médias) en créant un sentiment paranoïaque de méfiance généralisée dans toute la population pour légitimer l’occupation policière du territoire, les « guerres préventives » ou les « interventions humanitaires », l’arrestation des « délinquants » et de ceux qui contestent violemment l’ordre existant. C’est de créer, au nom de la démocratie, de la liberté, de la sûreté de la nation ou des Droits de l’homme, un sentiment d’unanimisme national (ou international) « contre le terrorisme » pour se préserver de leur dislocation qu’ils rendent pourtant eux-mêmes inéluctable.

Qui aurait un quelconque intérêt à faire exploser n’importe qui par des bombes  »à l’aveugle » dans les centres commerciaux, les métros et d’autres endroits de ce genre ? Certainement pas les ennemis d’Etat et du Capital !