L’explosion sociale de ces dix derniers jours en Grèce a rempli la presse internationale de photos de rues des villes grecques transformées en un réel champ de bataille : pierres, cocktails molotof, gaz lacrymogènes, arrestations, incendies et tabassages… Plus des 450 magasins ont été détruits à Athènes et plus de 200 à Thessalonique. Au centre ville de cette dernière, pas une banque n’est restée intacte. C’est aussi ce que les médias grecs montrent. On y parle des destructions, des dégâts et des personnes cagoulées, des anarchistes qui veulent tout détruire. Toutefois, pas un mot des manifestations massives qui ont mobilisé des jeunes et des moins jeunes, des professeurs et des élèves, des parents et des enfants, des citoyens politisés ou non. Pas un mot sur la grève générale qui avait été prévue avant l’événement qui a tout déclenché. Pas un mot des manifestations pacifiques et combatives des Conseils des Etudiants qui, de manière organisée et avec un service d’ordre structuré, ont défilé dans toutes les villes grecques. Pas un mot sur les raisons expliquant cette explosion sociale inattendue et généralisée.

« Rue Alexandros Grigoropoulos »

Tout a commencé avec l’assassinat d’un jeune de 15 ans, Alexandros Grigoropoulos, abattu par un policier le samedi 6 décembre. Cet événement est la goutte qui a fait déborder le vase.

L’assassinat s’est très vite su car il a eu lieu dans le bastion de la lutte anarchiste, le quartier d’Exarchia. Ce quartier regroupe deux repères historiques de la lutte contre la dictature des colonels (1968-1974) : la Polytechnique et la faculté de Droit.

Une vague de manifestations spontanées a commencé dans divers quartiers d’Athènes et s’est généralisée en quelques heures dans toute la Grèce. Au départ, elle était composée de jeunes du milieu anarchiste. Cela s’est toutefois rapidement élargi à l’ensemble du milieu des jeunes universitaires et élèves appartenant à la gauche radicale anti-autoritaire. En quelques heures, ces manifestations ont pris la forme d’émeutes et ont mené à des destructions de postes de polices, au saccage de magasins, à l’occupation des dix facultés universitaires dans toutes la Grèce et à de féroces confrontations avec la police anti-émeutes (MAT).

Les jours qui ont suivi l’assassinat ont été très tourmentés. Le gouvernement a déclaré le deuil national et le Ministère de l’Enseignement a décidé la fermeture de tous les établissements d’enseignement. Toutefois, ceci n’a pas empêché les étudiants et les élèves de faire des Assemblées Générales qui ont décidé de condamner l’assassinat, de désigner le gouvernement comme responsable, d’appeler à plusieurs manifestations et de soutenir la grève générale du 10 décembre (prévue bien avant la mort d’Alexis). Les syndicats des instituteurs et des professeurs universitaires ont décidé de remplacer le deuil, décrété par le Ministère, par une grève de trois jours (qui se terminait le jour de la grève générale) et de participer à toutes les mobilisations contre la répression policière.

Le jour de la grève générale, plus des 100.000 personnes ont manifesté dans les rues des grandes villes grecques. Aux revendications d’augmentation salariale, de meilleures conditions de travail et de défense des droits sociaux, se sont ajoutés des slogans contre la répression de l’Etat et la condamnation du gouvernement de la Nouvelle Démocratie. Aux blocs des syndicats se rajoutent les blocs des « conseils étudiants en lutte » et de la « coordination des comités des élèves ».

Cette première phase s’est terminée avec l’enterrement du jeune Alexis. Plus des 10.000 personnes se sont retrouvées aux côtés des parents pour faire leurs adieux à la victime. Et plus de 2000 se sont regroupées dans la rue où il a été abattu, pour la rebaptiser « Rue Alexandros Grigoropoulos ».

Malgré l’espoir du gouvernement que la situation allait s’apaiser, le tourbillon social a continué. Cependant, il a changé de visage. Les courants violents se sont réduits à leur taille normale mais restent très actifs. Ils ne se concentrent plus que sur les quelques facultés qui demeurent occupées. Des confrontations quotidiennes avec la police continuent également. Le mouvement des étudiants et des élèves, qui n’est pas associé aux courants violents, continue à insister pour mener le débat politique, à faire en sorte que cette explosion sociale s’organise et puisse avoir de revendications concrètes et à manifester dans les grandes villes. Ces manifestations sont soutenues activement par les organisations syndicales et les partis politiques, principalement par le Parti Communiste et la Coalition de la Gauche Radicale.

Un vase qui déborde, mais de quoi ?

Pour ceux qui connaissent la situation politique, sociale et économique en Grèce depuis quelques années, cette explosion n’est pas une surprise. Cela fait vingt ans que les travailleurs et les jeunes sont témoins des politiques libérales et de l’irresponsabilité des partis politiques au pouvoir.

Premièrement, la répression de l’État. Pour les deux seules dernières années, trois jeunes immigrés ont été assassinés par la police. Les attaques de la police anti-émeutes (MAT), d’une brutalité particulière, contre les manifestations d’étudiants, sont incessantes, tout comme les attaques des MAT et de l’armée contre les piquets de grève des dockers et des travailleurs dans diverses usines… Aucun de ces abus n’a été puni. Même pas au niveau administratif.

Deuxièmement, du côté politique, où les Grecs « en ont vu de toutes les couleurs » : la droite au gouvernement, la Nouvelle Démocratie (ND), veut clairement poursuivre l’œuvre commencée par le parti socialiste (PASOK) auparavant. Ainsi, le gouvernement a approfondi le définancement de tous les services publics. Il a commencé le démontage du système d’enseignement grec, notamment l’enseignement supérieur et les conditions d’accès, par une révision de l’article 16 de la Constitution, autorisant ainsi la création d’établissements privés pour les élites. La Constitution, qui déclare par ailleurs la gratuité totale de l’enseignement, interdisait jusqu’alors la création de tels établissements supérieurs privés. Cette réforme a entraîné une vague de lutte étudiante sans précédent depuis la fin de la dictature en 1974. Malgré cette très longue lutte, le PASOK et la ND ont voté toutes les réformes. Avec le soutien de l’extrême droite.

Le gouvernement s’est aussi attelé à la révision du système des pensions et à l’approfondissement de la privatisation entamée par le PASOK. Cela faisait quelques années qu’avec l’autorisation du gouvernement, les entreprises privées spéculaient avec l’argent des travailleurs. Par ailleurs, la réforme visait d’une part à augmenter l’âge de la prépension et de la pension et d’autre part à réduire les sommes reçues lors de la retraite. Cette réforme a aussi été votée malgré les grèves massives et les occupations d’entreprises et d’usines.

Troisièmement, le cas d’Olympic Airways. Cet été, la ND et le PASOK ont décidé au Parlement que la ligne aérienne nationale, Olympic Airways, devait être privatisée, faute de fonds publics pour la financer. Quelques mois plus tard, ces mêmes partis ont cependant réussi à trouver 26 milliards d’euros pour un plan de sauvetage des grandes banques.

Quatrièmement, la corruption. Ces deux dernières années, la Grèce a connu une multitude de scandales de corruption impliquant plusieurs parlementaires, des membres du gouvernement, des journalistes, de grandes entreprises (Siemens) et des membres de l’Église orthodoxe. Selon un syndicaliste du PAME, « ce n’est pas parce que la Grèce est une république bananière mais surtout parce que les deux partis politiques (les socialistes et la droite) ont dirigé le pays d’une manière irresponsable ». Aucun responsable des divers scandales n’a été puni ni amené en justice.

Enfin, la crise économique. La Grèce connaît aujourd’hui les mêmes prix qu’en Belgique. Mais un jeune diplômé ne gagne pas plus de 700 € et après dix ans d’expérience, son salaire peut atteindre 1 100 €. Un Grec sur cinq vit en-dessous du seuil de pauvreté. Les Grecs travaillent en moyenne de 10 à 12 heures par jour, alors que le chômage oscille autour de 10 %. Le taux de chômage est par ailleurs trois fois plus élevé pour les jeunes entre 20 et 25 ans.

Voici ce que contient le vase…

En réalité, la goutte qui l’a fait déborder n’est pas l’assassinat du jeune Alexandros. D’autres évènements tragiques de ce genre ont eu lieu sans avoir de telles conséquences. La raison réelle est plutôt à rechercher dans la peur et l’indignation qui résultent d’autant d’années d’impunité et de choix politiques situés à l’opposé de l’intérêt des travailleurs et des jeunes. C’est la peur et l’indignation qui surviennent face au fait que les partis, l’Etat et les intérêts qu’ils défendent n’ont aucune limite. Ils ont abattu un enfant qui vient d’un milieu social très aisé, habitant dans un quartier très aisé et qui avait de bons résultats à l’école. C’est la peur et l’indignation de penser que si un enfant comme Alexandros a été abattu par les partis politiques et leur bras armés, n’importe qui peut subir le même sort. C’est la peur et l’indignation qui surgissent de la prise de conscience que les partis majoritaires en Grèce ne veulent pas le bien-être de la population, mais leur bien-être et celui des classes sociales qu’ils représentent.

Cela fait plus des dix jours que les rues des villes grecques tremblent… on dirait que c’est le début de quelque chose…les jeunes et les travailleurs s’organisent… donnent un contenu et des perspectives politiques à leur lutte … on dirait que cela ne sera pas simplement qu’une explosion d’indignation…

To be continued…