Par Michel MENGNEAU

Non, ce n’est pas un nouveau discours pour l’inauguration des pissotières situées sur la place de l’église de Clochemerle dont il va être question. C’est dommage d’ailleurs car il eut été sans doute plus rigolo que celui prononcé par le nouveau chanoine temporaire de la basilique du Latran. Titre spirituel et honorifique conféré aux chefs de l’état français depuis Henry IV, mais que ceux-ci n’ont pas tous honoré, le dernier en date étant le Président Mitterrand.

A la lecture de cette apologie de la religion catholique et romaine quelques haut-le-cœur m’ont agité, pour se terminer dans une sainte colère…

C’eut été le discours lors de l’inauguration à Clochemerle, j’aurais volontiers fait partager la totalité du texte, cela nous aurait donné du baume au cœur en lisant l’écrit très rabelaisien de Gabriel Chevallier. Mais ce n’est pas le cas, donc à travers ce salmigondis vénéneux envers la liberté intellectuel et morale du peuple français plusieurs morceaux choisis et réflexions suffiront pour percevoir le mépris latent et l’incompréhension à l’encontre de la laïcité à la française que reflètent le discours de son chef de l’Etat – A l’époque de Pétain, « Chef de l’Etat » remplaçait l’expression « Président de la République », ce qui en la circonstance s’adapte bien à la situation actuelle.

Avant d’aborder des remarques sur le fond de ce panégyrique sur la religion chrétienne, on pourra déjà constater que l’histoire est arrangée à la sauce de l’Eglise catholique et romaine. Car sans oublier le baptême de Clovis qui scella une partie de notre histoire à celle de cette communauté religieuse, il y eut souvent des anicroches.

C’est peu de le dire, mais sans doute a-t-il oublié les guerres de religions ! Sans doute ne sait-il pas que se fut Jacques Lefèvre – Lefèvre d’Etaples – nouvellement réformé et propagateur de la foi protestante qui traduisit le Nouveau Testament en français en 1523 ! On comprend d’ailleurs mieux pourquoi le Latin fut longtemps la langue de référence des catholiques traditionnels, voire traditionalistes. N’a-t-il pas entendu parler des dragonnades qui décimèrent, bannirent, expatrièrent nombre de protestants en n’épargnant pas aussi et souvent laïcs et athées. En plus, il y eut aussi d’autres traces de communautés diverses qui ont laissé leurs empreintes sur notre civilisation. J’en veux pour preuve certaines villes qui ont encore des rues « De la Juiverie », ou appellations similaires, appellations qui ont traversées les méandres de notre civilisation puisque certaines viennent des Xème et XIème siècles. Aussi, dans des cités dispersées au sein de l’hexagone l’on retrouve les restes de l’influence arabe, que l’on retrouve d’ailleurs dans plusieurs patois aux accents encore ancestraux, comme dans des terroirs biens délimités du Poitou et du Nord de la France. Déjà sa vision de l’Histoire est pour le moins restrictive, sinon linéaire.

Comme le sujet offre peu d’intérêt, je passe sous silence une énumération de saints et saintes plus ou moins allégoriques auprès des sanctuaires desquels quelques crédules vont encore se recueillir dans l’espoir d’une guérison miraculeuse ou tenter par des incantations de favoriser l’arrivée d’une bonne fortune aléatoire.

Continuant sur sa lancée « l’Iconoclaste » fait une apologie d’écrivains, philosophes et musiciens de bon aloi qui seraient à ses dires les moteurs de la pensée et de la culture française. Que la France s’honore d’avoir fait connaître au monde les œuvres musicales de Poulenc ou de Messian n’altère en rien sa culture diversifiée. Que le pape se réconforte à la lecture de : « Le drame de l’humanisme athée » d’Henri de Lubac n’est pas un gage de l’universalité de cette pensée, pour finir sa soirée endormie devant le feu d’une cheminée du Vatican, en ronflotant, avec ouvert sur ses genoux « Le journal d’un curée de campagne » de Bernanos, fraichement offert par le Chef de l’Etat français, ne serait que le reflet d’une réflexion intellectuelle dogmatique qui est la rationalité des gens aux raisonnements cloisonnés, si… Si, le fait que ce genre de littérature laisse aussi planer à travers chaque ligne les relents des écrits de Maurras, cela nous rassure encore moins. En effet, Bernanos fut longtemps à l’Action Française au coté de Maurras avant qu’ils ne se fâchent. On voit dans quel monde le nouvel évangéliste va puiser ses références !

On aurait pu lui suggérer de citer Camus, par exemple. Est-ce une inattention de ma part mais j’oubliais qu’il était athée, et pour ne pas arranger les choses il fut pendant un temps membre du parti communiste ! Deux tares rédhibitoires dans le bien-pensé que l’on veut nous imposer, néanmoins on lui décerna le Nobel de littérature ! Pourtant ils ne sont pas nombreux ceux en France qui ont reçu cet honneur universel. Mais, surtout, on peut lui faire remarquer que la lecture de L’étranger, de la Peste qui a accompagnée les études de plusieurs générations et qui durent disserter sur ces deux chef-œuvres se perpétue encore; et que ces œuvres sont certainement beaucoup plus lues que les écrits de René Girard dont Sarkozy veut se faire le chantre.

On pourrait lui recommander aussi de lire des écrivains d’autres religions, je pense particulièrement à Agrippa d’Aubigné ; qui, les armes à la main pour défendre sa foi protestante, n’en écrivit pas moins ce que certains considèrent comme faisant partie des plus belles pages de la littérature française, à savoir, plusieurs passages des « Tragiques ». D’ailleurs Hugo ne s’y est pas trompé puisqu’il écrivit : « Je suis frère de d’Aubigné », grande reconnaissance du talent littéraire du soldat-poète. Quant à Hugo, s’il fut croyant, ce qui ne fait aucun doute, il regardait néanmoins la religion d’un œil circonspect. Puis il y eut aussi les philosophes athées qui furent lus sous le manteau puisqu’ils furent souvent bannis ou interdits par la morale chrétienne, il n’empêche qu’ils eurent aussi leur part dans la construction intellectuelle et morale de notre pays. Une nouvelle fois il n’est pas inutile de rappeler au nouveau chanoine que c’est cela la France, cette diversité.

Puis après avoir encensé un choix bien déterminé de personnalités, le chanoine se met à faire de la philosophie. Un passage où il prétend disserter sur les aspirations de l’être humain, en insistant particulièrement sur le fait que la recherche intellectuelle de chacun sur la vie et la mort conduit inévitablement vers la spiritualité. Je n’épiloguerais pas sur se genre de sentence, j’ai bien écrit sentence car il s’agit dans sa pensée d’une théorie inéluctable ; comme cela demanderait une plus longue réflexion, laissons aux philosophes reconnus le soin de disserter sur cette interrogation… Je livre simplement un passage de son discours qui m’a laissé dubitatif, mais qui à lui seul prépare la suite de ses propos : « Le fait spirituel, c’est la tendance de tous les hommes à rechercher une transcendance. Le fait religieux, c’est la réponse des religions à cette aspiration fondamentale. »

Nous y voilà, la suite nous éclaire singulièrement par quel chemin tortueux il a amené la réflexion sur la laïcité, dixit : « Or, longtemps la république laïque a sous-estimé l’importance de l’aspiration spirituelle. ». Comme cela ne suffisait pas il fait entre autres remarquer que « la pénurie de prêtres n’avait pas rendu les français plus heureux », formule d’ailleurs assez sibylline utilisant une négation pour faire une affirmation. Le pire c’est qu’il en remet une couche quand il détermine définitivement ce que devrait être selon lui l’esprit de la république : « …, s’il existe incontestablement une morale humaine indépendante de la morale religieuse, la République a intérêt à ce qu’il existe aussi une réflexion morale inspirée de convictions religieuse ». Moralité, si l’on peut tolérer qu’il y ait encore des athées, parmi lesquels des agitateurs anarchistes, des libertaires, des marxistes, des qui ne croient en rien, etc., il leur est expressément recommandé d’aller à la messe, sinon…

A la lecture de ces lignes, pas rassuré, j’ai couru chez ma voisine pour lui emprunter un missel, sachant que chez les dames d’un certain âge on trouvait encore ce genre de truc. Ouf, bien m’en a prit, car la continuité des prédictions du chanoine m’a convaincu qu’il était urgent que je me convertisse si je ne voulais pas devenir un intégriste laïc, confirmé par ces mots : « D’abord parce la morale laïque risque toujours de s’épuiser ou de se changer en fanatisme quand elle n’est pas adossée à une espérance qui comble l’aspiration de l’infini. »(sic). En somme, à l’instar de beaucoup je m’étais fourvoyé sur les pentes dangereuses d’un fanatisme guettant au hasard de ma conscience non formaté au dogmatisme religieux ; du moins, c’est lui qui le prétend ! De toute évidence, se croyant investi de pouvoir divin, il voudrait cloisonner et diriger la pensée abstraite de ses concitoyens.

Mais cela n’était que des préliminaires, quelques agapes à grignoter avant le plat de résistance. Quel plat de résistance, indigeste, vénéneux, une tambouille nauséabonde. Malheureusement, je ne suis pas comme ces convives qui quittent le repas après le hors-d’œuvre déjà lassés des élucubrations du maitre de maison, pourtant cela m’aurais évité de relater ce menu. On comprendra mieux d’ailleurs pourquoi je fus agité de haut-le-cœur, prémices à une envie de vomir. Malgré tout, je fais partager ce grand moment de remise en cause des institutions laïques afin de ne pas être le seul indisposé : « Dans la transmission des valeurs et dans la différence entre le bien et le mal, l’instituteur ne pourra jamais remplacer le pasteur ou le curé, même s’il est important qu’il s’en rapproche, parce qu’il lui manquera toujours la radicalité du sacrifice de sa vie et le charisme d’un engagement porté par l’espérance. ».

Tout est dit, si j’ai bien compris l’Ecole Public serait donc le lieu où s’épanouissent des assassins, des voleurs, des voyous, des pernicieux du fait du manque de charisme, du manque de rigueur morale, du laxisme des Maîtres -instituteurs et professeurs, sans distinction de sexe- qui n’auraient apparemment qu’une conscience approximative du bien et du mal. De façon technique on pourrait lui prouver que ce genre de raisonnement est totalement abscons, surtout pour quelqu’un qui a toujours l’œil rivé sur les statistiques. Mais comme il s’agit d’une remise en cause de l’Ecole Public, gratuite, universelle dans sa diversité et la seule véritablement libre dans son enseignement, avec en plus une insulte à l’encontre de l’intégrité morale de ceux qui la perpétue, d’autres remarques s’imposent donc.

Il est vrai sans doute que si je n’avais pas été me pervertir sur les bancs de l’Ecole communale mes propos eurent sans doute été plus consensuels, mais ma pensée eut été moins libre et mon esprit critique moins développé. Pourtant ce sont deux valeurs, parmi d’autres, essentielles à l’épanouissement de l’individu. Valeurs que des Instituteurs attentifs à l’évolution intellectuelle de chaque élève ont distillées au jour le jour en mettant une sorte de passion et de rigueur dans leurs enseignements qu’ils voulaient les meilleurs pour les hommes de demain ; transcendés par la foi d’enseigner, beaucoup en consacrant leur vie à porter des enfants en demande d’espérance vers l’âge adulte firent de leur métier une sorte de sacerdoce. S’ils ne commencèrent pas leurs cours par la lecture de quelques passages d’Evangiles apocryphes, ils parsemèrent leurs enseignements de courtes leçons de vraie morale appropriées aux circonstances. Souvent même ils durent se substituer à des parents à l’éducation défectueuse. Ce qu’ils continuent de faire malgré des conditions sociales de plus en plus dégradées, et l’on ne peut que les admirer devant une telle abnégation Certes, tous ne sont pas parfait, mais les insignifiants sont à peu près le même pourcentage dans tout les milieux…

Je n’épiloguerai guère plus sur : « …il lui manquera toujours la radicalité du sacrifice de sa vie… », toutefois, un petit rappel historique n’est pas inutile. Lors des jours sombres de la France, alors que ce que l’on appelait l’Etat français était en déliquescence, les instituteurs ont continué à transmettre les valeurs de la République, ceci souvent au péril de leurs vies. Car ont les vit éduquer et cacher des enfants pourchassés -qu’ils soient juifs ou fils et filles d’autres communautés- par la fureur d’une idéologie que l’on souhaiterait à jamais disparue. Malgré qu’ils fussent parfois communistes ou socialistes prétendus anticléricaux, ils furent souvent soutenus, aidés par le curé du coin qui en avait cure que son pape se soit tu devant l’insoutenable. Dans le même ordre d’idée, on pourrait rajouter aussi que l’éducation reçue à cette époque par le pape actuel en laisse perplexe beaucoup.

Une question se pose, en prononçant ce discours d’un autre âge le Chef de l’Etat français affirmait-il ses convictions ou s’agissait-il d’une allocution de circonstance ? D’autant parait-il qu’il n’en est pas l’auteur, espérons que son « nègre » ne soit pas sans papier ! Apparemment non car il semblerait qu’il soit connu et reconnu et de surcroit « ensoutané ».

Peu importe, en tout cas c’est lui qui le prononça et même si certains pensent qu’il s’adapte souvent à la manière d’une girouette dans le sens du vent, il n’en reste pas moins que souvent ses propos sont le reflet de sa pensée, et c’est bien là le plus inquiétant !

Même si comme toutes les lois, celle de 1905 n’est pas parfaite et ne satisfera jamais toutes les disparités individuelles, elle est cependant le garant de la Laïcité à la française, Laïcité souvent montré en exemple, il serait donc inconcevable qu’elle soit remise en cause.

Restons donc vigilants et attentifs à conserver ce que l’on peut considérer comme un Droit de l’Homme.