A 10H30, c’est une véritable marée humaine qui déferle sur le Miroir d’eau, cette grande esplanade sans vie, soudain envahie par une foule dense et hétérogène. A l’avant, un cortège de pompiers en tenue et quelques pétards. Au milieu, les échos de discours syndicaux, beaucoup d’enseignants, de soignants, des cheminots, mais aussi des étudiants et des lycéens. Et puis la manifestation démarre, s’étire, immense. Un cortège de tête se faufile, parfois mal accueilli par quelques grincheux, puis grossi, se mélange, colore la rue de fumigènes. Il y a des dizaines de milliers de personnes dans ce défilé compact, sûrement plus de 30 000. Devant la préfecture, une légère friction entre des pompiers qui s’en prennent à un tagueur et des manifestants. Cette volonté de maintenir l’ordre au sein du cortège parait insolite, alors que les pompiers ont été férocement réprimés et parfois mutilés il y a peu à Paris. Dont acte. Plus loin, des feux d’artifice crépitent au dessus des casques de police, entre plusieurs salves de lacrymogène et de canons à eau.

Le cortège remonte par Talensac, où des banques et des agences immobilières sont prises pour cible. Entendu dans la manif « allez-y, ils m’ont bien escroqué mon loyer ». Les tags sont nombreux. Place Bretagne, la BAC tente d’attaquer, mais elle est tenue en respect par la pyrotechnie. Malgré les gaz, le cortège tient bon. Mais le parcours touche déjà à sa fin. A la croisée des lignes de tram, une poubelle prend feu devant le commissariat, la BAC tire à nouveau des grenades, et les milliers de manifestants se déversent sur l’esplanade qu’ils avaient quitté à peine plus d’une heure plus tôt.

Le froid est mordant. Le gaz très urticant. Des gendarmes chargent et bloquent l’hypothèse d’un deuxième tour. Grosse confusion, affrontements. Les fanfares et batucadas donnent de l’énergie. Des personnes sont blessées. Mais des tracteurs et un camion arrivent pour diffuser de la musique avec de grosse sonos. Une fête de rue commence, à base de tubes dansants qui réchauffent l’atmosphère. Des litres de soupe sont servis, on se prépare à tenir la rue. Une pinata géante, en forme de tête de Macron couronné, est suspendue à un arbre. A grand coups de bâtons, la sculpture en carton se déchire rapidement, libérant plusieurs kilos de bonbons qui sont immédiatement partagés. Alors que l’ambiance est festive, l’air se remplit de gaz. Les CRS s’amusent avec leurs nouveaux fusils « multicoups », dont les tirs en rafale sont particulièrement reconnaissables à leur son saccadés. Le tracteur recule, se heurte à un autre mur de gaz. Une nasse se forme. Des plaques de protection d’un magasin d’or servent de bouclier. Quelques barrières de chantiers forment des barricades. Mais les assauts absurdes et répétés de la police font fondre ce qui reste de manifestants.

Quelques centaines de personnes se retrouvent devant la maison des syndicats. Elles trouvent d’abord porte close, avant de s’inviter dans le bâtiment pour y tenir une assemblée. La Maison des Syndicats appartient à toutes et tous, surtout lorsqu’il s’agit d’organiser la lutte. L’enthousiasme est fort, les échanges énergiques, on valide les décisions par acclamations, et on se promet de multiplier les actions dès le lendemain, avec des blocages, et lors de la grande manifestation de samedi.

Pendant ce temps, les irréductibles, surtout Gilets Jaunes, manifestent encore. Plusieurs feus sont allumés. Des affrontements ont lieu cour des 50 Otages jusqu’à la nuit. La police arrête beaucoup de monde. 27 personnes sont placées en garde à vue au cours de la journée.

Numériquement, la mobilisation aura été extraordinaire ce 5 décembre. Faire descendre dans les rues des dizaines de milliers de nantais et nantaises dans le climat glacial et répressif du moment est un vrai tournant. La détermination aura été présente durant tout le parcours autorisé, et de belles rencontres ont eu lieu. En revanche, l’ordre aura été globalement maintenu, le défilé est resté cantonné dans l’habituel carré du centre-ville, et cette manifestation n’aura pas réussi à s’inscrire dans la durée comme le faisaient les samedi des Gilets Jaunes.

Pour l’heure, il est difficile d’imaginer ce que peut obtenir cette vague de mobilisation sociale, mais une chose est sure : il en faudra plus pour faire vaciller Macron.