Hier soir j’ai passé ma soirée avec Michel Ferchaud.
Un ami, cher à mon cœur, m’avait appris son décès un peu plus tôt dans la journée.
Je ne reviendrai pas sur les conditions de sa mort. Sordide, violente, infiniment triste. Seul, chez lui.
Un affront au bonhomme et au lieu.

Je ne mentirai pas sur une éventuelle relation amicale que nous n’avons pas eut. Je n’ai découvert son existence, tardivement, que par l’enthousiasme de cet ami commun à chaque fois qu’il m’en parlait. Et par la joyeuse canaillerie qui se dégageait à chaque fois qu’il glissait un de ses disques dans nos esgourdes.
La première rencontre fut à la hauteur de la bonne réputation qui m’avait ainsi été distillée. Place des Résistance ! Le non-festival où nous avions été nombreux-ses dans la bande des irréductibles namnètes à nous investir. Dont pas mal de personnes qui s’étaient rencontrées suite au mouvement des intermittents et, surtout, la fédératrice marche Larzac-Paris de 2003. Ce week-end prolongé se voulait un village éphémère « Autogéré, Anticapitaliste et Alternatif », rien que ça ! Michel Ferchaud figurait parmi les artistes soigneusement sélectionnés par la Commission Programmation.
Vendredi 29 avril 2005.
Je me rappellerai toujours des regards autours de moi, des quelques égarés sous le chap, voyant débarquer un papi à la bouille d’un père noël dont il devait se fiche comme de l’an mille. Une guitare, un sourire, deux trois paroles pour que tout le monde se sente à l’aise et paf, sa jovialité nous explose aux oreilles ! S’en suit un balluche avant l’heure (il était tôt, les bières ne coulaient pas encore à flot) où convergent toutes les générations et les genres, sautillant joyeusement, se mélangeant au gré des morceaux folk-blues aux paroles bien senties. Et un final évidemment triomphal, des rappels à n’en plus finir, mais il fallait bien laisser place à la suite des résistances…
L’ami nous présente, poignée de main et sourires malicieux dans les yeux à défaut des mots qui nous manquaient. Ouaip, une chouette rencontre. « Faudra venir nous voir » qu’il dit !

Plus tard, nous avons longuement reparlé, avec l’ami, de ce grand-père dont le regard et les chansons trahissaient cette fameuse joie accrochée par nécessité, par politesse, par politique, quand un vécu est lourd, chargé de la pire part d’ombre de notre espèce.
Ferchaud, parce qu’en vrai tout le monde l’appelle ainsi, était un de ces hommes traumatisés, révolté par la guerre d’Algérie, propulsé dans un devoir national colonialiste et tortionnaire. C’est d’ailleurs la seule chose dont il est question sur son blog à l’unique article mis à  jour récemment à l’occasion de la sortie de son livre autobiographique « Je vous rends ma médaille » : un renvoi vers une émission de Daniel Mermet sur les horreurs de cette guerre indigne : « Ils eurent 20 ans dans les Aurès ».

« J’ai toujours été un peu oui anarchiste, je savais pas trop ce que ça voulait dire, puis après on a été balancés dans la guerre d’Algérie. Il m’est arrivé des aventures quoi, je me suis retrouvé dans des endroits où j’aurai jamais dû me retrouver, tout ça par la justice française. Puis après on a été balancé dans l’Algérie, j’avais 19 ans. Je suis resté trente mois là bas. Et je peux vous dire que quand on est revenus d’Algérie on était… alors là on était bien pire qu’anars hein !« 

Même s’il était prolixe en chansons, il restait pudique sur les détails de ces presque trois années militaires. Quand l’ami m’a proposé de l’accompagner à Brion, rencontrer Ferchaud dans sa maison, il n’en n’a pas été beaucoup plus question. Non, Michel parlait de musique surtout, et de tracasseries administratives, aussi. Il n’avait pas seulement rendu sa médaille mais aussi sa carte d’identité. Et il galérait grave. Une assistante sociale, « une encore plus têtue que lui » avait fini par le convaincre de refaire ses papiers pour qu’au moins il touche une pension qui lui était due. C’était bien un minimum de faire raquer l’Etat après tout ce qu’il avait enduré. L’argument avait fait mouche alors il s’y était fait et nous faisait profiter de sa verve sur l’administration (il était intarissable) autour de quelques coups de pinard. Il m’avait autorisée à me balader pour photographier son jardin-bouiboui autour de sa drôle de maison. Je m’étais régalée de bouts de rouille (mon obsession photo de l’époque) et d’une poésie de l’abandon des vestiges encore vibrants de vies passées, devenant aussi moussus que sa barbe était fournie.
C’était en mars 2006. Nous ne nous sommes jamais recroisés depuis.

Un hommage musical lui a été rendu il y a deux jours sur Alternantes : glissez-y vos oreilles !

Je vous rend ma médaille
à vous qui un jour m’avez
poussé vaille que vaille
à salir mes jeunes années.

J’en n’étais pas peu fier
de ce petit bout de fer
qui s’étiole dans un tiroir
sans honneur et sans gloire.

On n’y avait rien vu
ni moi ni mes copains
nous étions de la pâte
dont on fait le bon pain.

Les années ont passé
mais rien n’est oublié
dans mes rêves profonds
je revois les démons.

Messieurs les politiques
vous n’avez pas changé
Algérie, Nouméa,
ha oui le rouge vous va !

Je les revois partir
à la corvée de bois;
je les entends gémir
comme des bêtes aux abois.

Ça fait déjà trente ans
je n’ai plus bien le temps
mais au fond de mon cœur
restera la douleur.

Je vous rends ma médaille
à vous qui un jour m’avez
poussé vaille que vaille
à salir mes jeunes années.
Je vous rends ma médaille
à vous qui un jour m’avez
poussé vaille que vaille
à salir mes jeunes années.