—– Message Original —–
de: « Les Goulus »
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{{Même un clown leur fait peur…
13 mai 2003, par Michel Rousseau}}

J’ai toujours pensé que j’avais un « bon » passeport, sésame d’un pays riche et respecté, qui me permettait de voyager partout librement, parfois au coeur de l’injustice, toujours celle des autres. Pour une nuit, cette injustice est devenue la mienne. Je suis enfermé à clé dans la prison de l’aéroport de Ben Gourion, à Tel Aviv, sans eau ni nourriture, la commande de la lumière et les toilettes sont à l’extérieur, au bon gré du policier de faction. Demain, je reprendrai l’avion en sens inverse, sans qu’on m’ait dit (et je ne le saurai sans doute jamais officiellement) pourquoi on m’a refusé l’accès au territoire israélien, pourquoi ma destination (Gaza) m’a conduit sur la voie de l’expulsion.

De quoi suis-je accusé ? Selon quelles lois ? Quelle est cette (in)justice
qui condamne sans accusation ni défense ? C’est celle d’une démocratie
puissante: Israël. C’est celle que subissent quotidiennement depuis plus de 50 ans les palestiniens de Gaza et des territoires occupés. Aujourd’hui, à
l’exception des diplomates, elle s’étend systématiquement à tous les étrangers qui veulent se rendre en Palestine. (Il est impossible d’y aller sans passer par Israël).

La procédure d’expulsion est efficace et bien rôdée, imparable : je n’ai
jamais vu la personne qui a décidé de mon expulsion, je n’ai jamais eu de réponse aux questions que j’ai posé et je n’ai appris la « sentence » que très tard, de la bouche d’un policier sans grade, chargé d’exécuter la procédure, à un moment où toute contestation n’était déjà plus possible. La peine inclut une nuit en prison – je suis en situation irrégulière depuis le refus de
m’accueillir – plus une séance autant humiliante qu’inutile : dépiotage appuyé de chaque élément de mes bagages, fouille au corps. Les policiers m’aboient les consignes, ne répondent jamais aux questions, ils font vraiment un sale boulot.

Les autres détenus s’appellent Mustapha et Chass. Mustapha est palestinien de Ramallah, il a 70 ans, est porteur de deux passeports, un palestinien et un américain. Il revient avec sa femme, de Chicago, où ils ont rendu visite à leur fils, comme chaque année. A l’aller, ils sont passé par Amman en Jordanie; au retour, escale à Londres et puis Tel Aviv. Israël refuse qu’ils entrent sur son territoire par un endroit différent de celui par lequel ils sont partis(le pont Allenby, passage entre la Cisjordanie et la Jordanie). Soit ils acceptent de payer un billet d’avion pour Amman (350 USD) et ensuite de prendre un bus pour Ramallah, soit ils sont renvoyés à leur dernière escale, Londres. De Tel Aviv, ils étaient à une heure de voiture de chez eux …

Chass vient de Sierra Leone, il a fui son pays en guerre il y a deux ans
et demi, il vit et travaille depuis en Israël, en situation régulière avec un passeport valide. Il y a trois jours, il est parti pour les USA, toujours
avec son passeport valide, mais à l’escale d’Athènes, son passeport à été
déclaré invalide au motif qu’il manquait une page. Les grecs l’ont renvoyé en Israël, qui a son tour refuse de l’accepter à cause de la page manquante, page jamais détectée depuis les deux ans et demi qu’il vit ici. Il va être expulsé vers Athènes, qui risque de l’expulser vers Tel Aviv, etc … Il ne sait pas comment sortir de cette situation. (Selon les lois internationales, les compagnies aériennes ont l’obligation de rapatrier un étranger en situation irrégulière,
jusqu’à l’escale précédent son arrivée sur le territoire).

Je suis clown, je venais jouer un spectacle pour les enfants palestiniens.
Même un clown leur fait peur…