Je suis allée voir l’excellent film Mignonnes, réalisé par Maïmouna Doucouré. (Attention spoiler). La réalisatrice a étudié le phénomène de l’hypersexualisation des petites filles pendant un an et l’a montré dans son film, pour le dénoncer, car pour lutter contre un problème, il faut déjà commencer par le montrer. Elle y arrive très bien. 

Ce film m’a permis de compléter les réflexions que j’ai eues à propos d’un sujet plus vaste, alimenté par l’actualité récente sur le sexisme frappant les jeunes filles et leurs tenues (#14septembre) : la manière dont le patriarcat organise et valorise la vulnérabilité, notamment sexuelle, des jeunes filles quand elles deviennent femmes. Cette vulnérabilité passe en partie par l’hypersexualisation imposée aux petites filles très tôt (1), associée à l’apprentissage parallèle, lui aussi précoce, des inégalités de genre, de la domination masculine et de la division genrée des rôles, y compris sexuels, sans réelle éducation sexuelle (2). Cela participe de l’inégalité dont pâtissent les femmes dans leurs relations amoureuses et/ou sexuelles avec des hommes cisgenres et hétérosexuels (cishet), où elles subissent plus de violences sexistes et sexuelles et sont dans une position qui n’est pas égalitaire (3).

1. L’hypersexualisation des petites filles

Le film montre, pour le dénoncer, le phénomène de l’hypersexualisation des petites filles, mais aussi cette envie irrépressible quand on est petite fille en pré-adolescence, de faire comme les adultes, d’imiter. Je n’ai pas les connaissances suffisantes pour parler de psychologie enfantine, mais je peux parler d’abord de l’expérience personnelle que j’ai de l’hypersexualisation quand j’étais à peu près à l’âge des héroïnes du film.

Il m’a fait repenser à mes 12-14 ans. Je me souviens qu’aux rares occasions où je dansais, aux soirées de nouvel an, aux booms de fin de colonies de vacances, je dansais comme ces filles de 11 ans dans Mignonnes, avec de grands déhanchés dont j’étais fière, avec cette même envie de plaire, qui n’est pas mal chez une jeune fille qui entre en adolescence, avec la découverte de ses désirs mais surtout dans un monde où elle est hypersexualisée très tôt (je vais y venir). Mais je n’avais aucune idée de ce que je dégageais, je voyais bien que c’était grisant, valorisé… J’avais un besoin d’être regardée, d’être vue, comme si j’avais intériorisé combien c’était valorisé et valorisant socialement, chez les femmes, d’être belles aux yeux des hommes, comme moyen d’affirmation et de réalisation de soi.

J’ai compris très vite (et à mon époque je n’avais pas internet, etc.) que les garçons, les hommes aimaient le corps des femmes, que celui-ci avait un certain effet sur eux, et j’avais grandi dans le rêve du prince charmant… Je mettais des décolletés dès mes 12-13 ans. Je me souviens même qu’avant cet âge, je rêvais de porter des soutiens-gorge quand je m’imaginais adulte, car j’aimais les décolletés, alors que je ne savais pas ce qui allait se dégager de moi dans une société patriarcale ni quels en étaient les risques (alors que même adulte, j’en porte et il ne devrait pas y avoir de prise de risque liée à la manière dont on s’habille, mais en tant que femme, dans une société patriarcale, c’est ce qu’on vit).

Mais mes seins ont bien poussé à partir de 12 ans et je mettais des décolletés, parce que je pensais que ce serait plus facile de séduire les garçons, sachant que dans ma tête à l’époque, séduire c’était dans le but d’avoir une relation amoureuse. Je me trompais. J’étais sans doute perdue dans cette confusion organisée entre hypersexualisation, désir naturel de plaire et rêve du grand amour en la figure du prince charmant, confusion qui est organisée, oui, par le patriarcat qui pousse les petites filles à la vulnérabilité, l’innocence et l’apprentissage des attitudes valorisées pour plaire aux hommes, comme ces clips que regarde Amy dans Mignonnes, où des femmes dansent de manière très suggestive pour le plaisir hétéro-masculin.

Le film Mignonnes montre aussi par moments, avec beaucoup de pertinence, l’attitude ambigüe de certains adultes face aux comportements des petites filles. Cet aspect du problème de l’hypersexualisation des petites filles me parle aussi beaucoup, en rapport avec ma propre expérience.

Rétrospectivement, je revois l’attitude vis-à-vis de moi des adultes hommes que j’ai croisés et quand j’y repense, avec mon regard sur le sexisme systémique actuel, je sais que finalement la société ne les responsabilise pas, face à un-e enfant pourtant… Quelle que soit l’attitude de l’enfant, de l’adolescent-e, l’adulte coupable de violences sexuelles est seul responsable et devoir le dire me brise le cœur car on vit encore dans une culture du viol touchant même les mineur-es et où il y aura toujours trop de gens pour culpabiliser l’enfant et excuser l’homme cishet.

Je me souviens que dès le collège, où je voyais que mes camarades filles sortaient déjà avec des garçons, et alors que moi je pensais n’être assez grande qu’au lycée, je suis entrée dans le même « délire » que mes amies, à draguer les garçons, mais aussi nos professeurs. Activement. Je me souviens que face à nos comportements, l’attitude, les regards de l’homme adulte était ambigu, même s’il n’y a eu aucun propos ni geste déplacé. Je voyais bien que l’homme adulte n’était pas complètement insensible, que ce soit un professeur ou les moniteurs de colo quand je jouais à plaire. Rétrospectivement, je sais qu’il y a et aura toujours des gens pour culpabiliser, diaboliser la petite fille que j’étais, face à qui ils excuseront les hommes adultes cishet d’avoir regardé, ou agressé quand c’est le cas.

C’est un autre aspect de cette sexualisation des petites filles, et plus largement, des femmes, c’est qu’elle est portée, imposée par autrui, mais la responsabilité est d’emblée rejetée sur la fille/femme qui en fait l’objet, mais jamais sur la personne qui la lui impose ou qui en profite.

Je l’avais déjà expérimenté, je l’avais déjà intériorisé sans vraiment comprendre… Je pense notamment au signal que ça me renvoyait inconsciemment, par exemple, ce collégien qui s’amusait à enlacer les filles de force au collège, dont le comportement est vu, dans l’imaginaire collectif, y compris dans celui de mon entourage scolaire à l’époque, comme sans gravité, comme quelque chose de mignon, parce que, toi, petite fille, tu n’as pas de voix, ni de pouvoir décisionnaire sur ton corps ; ou encore celui de ce lycéen qui disait que j’étais dévergondée alors que lui s’amusait à toucher les seins des filles, dont les miens ; ou l’autre lycéen qui avait tiré sur ma bretelle de soutien gorge, me faisant mal par la même occasion… Mais ces histoires, toi, jeune fille, t’en parle pas, tu sais pas si c’est grave, même moi maintenant, j’ai toujours une petite voix qui dit : c’est pas grave, tu vas pas te plaindre pour ça… Comme si c’était normal, comme si c’était normal que des garçons, aussi tôt, pensent avoir des droits sur le corps des filles, ne se préoccupent pas de leur consentement… Mais en même temps, c’est logique, c’est « normal » que certains d’entre eux le pensent en vivant, imitant ce qu’ils voient dans notre société, avec sa culture du viol, et l’accès très tôt à la sexualité, au porno chez les garçons, avec une éducation sexuelle par ce biais dominée par les représentations sexistes. Comme c’est « normal » car logique (même si ça devrait pas l’être) que des jeunes filles très tôt, adoptent, comme dans Mignonnes, ces attitude de séduction tournées vers le seul plaisir hétéro-masculin, sans les comprendre, dans le cadre d’une société où elles voient les effets sur les adultes, les ambiguïtés, l’hypersexualisation ambiante des corps féminins, phénomène exacerbé par l’accès plus large à internet…

Pour finir, ces personnes qui n’ont d’autre réflexe de blâmer des enfants et adolescent-es pour des attitudes sexualisées, comme dans Mignonnes, devraient plutôt blâmer, interroger un système qui de génération en génération perpétue une culture du viol et une hypersexualisation des jeunes filles et femmes, à laquelle iels participent plus ou moins en culpabilisant des mineur-es imitant ce qu’iels voient, dans une société patriarcale.

Ensuite, cette forte imprégnation de la sexualisation du corps féminin chez les petites filles, cette attirance chez elles, comme on le voit bien dans le film Mignonnes, sans qu’elles comprennent cela, est souvent la seule voie qu’elles voient pour avoir des réponses à leurs questions sur la sexualité, l’amour, etc. parce que l’éducation sexuelle et la socialisation plus largement, des filles est quasi inexistante, ou se limite à la biologie en classe de SVT. Si leurs parents ne s’y consacrent pas, si l’école non plus, ou très sommairement sur la santé et des représentations sexistes, hétéro-normée, centrée sur la pénétration, quels autres moyens ont les enfants de répondre à leurs questions, questions logiquement amenées dans une société où iels ont facilement accès à toute information ? Quelle voie leur laisse-t-on ? Souvent, celle d’internet, et donc de représentations et injonctions sexistes sur les réseaux sociaux, voire sur les sites pornographiques gratuits, proposant des contenus mainstream, où ces représentations sociales ressortent forcément.

Ceci me permet de passer à un autre vecteur de la vulnérabilité sexuelle et amoureuse des jeunes filles dans une société hétéro-patriarcale :

2. Une « socialisation sexuelle » misogyne, voire inexistante

Quand je vois cette tendance sociale à cacher aux jeunes filles la sexualité et notamment le plaisir sexuel et l’importance de connaître son corps, je me dis que ça arrange bien le patriarcat. Je me dis que ça donne du pouvoir aux hommes ayant grandi avec plus d’accès à leur sexualité/plaisir (par un biais stéréotypé en plus, patriarcal), sur les femmes. Je me dis que le système patriarcal organise la vulnérabilité sexuelle et amoureuse des jeunes filles, sur qui on peut exercer un certain pouvoir, ou du moins être tenté d’en exercer, quand on en sait plus, et surtout quand on pense avoir des droits sur elles, sur leur corps et leur plaisir sexuel. Ça arrange bien le patriarcat que les jeunes filles soient si peu éduquées sexuellement, et c’est même valorisé, érotisé dans notre culture. Il suffit de voir cette prolifération de films sur le schéma de la jeune fille innocente qui découvre le sexe grâce à un garçon expérimenté, bad boy, qui en sait plus qu’elle et qui en tire, consciemment ou inconsciemment, du pouvoir. C’est de la culture du viol, mais c’est aussi une rémanence du modèle religieux de longue date de la jeune fille qui doit rester « pure » jusqu’au mariage. Et même quand elles sont éduquées sexuelles, avec, en plus, un accès plus large à internet, et donc à des contenus sexuels, elles intériorisent la plupart du temps, de manière très précoce, la division genrée des rôles sexuels, la domination masculine, avec une part très peu consacrée au plaisir féminin, au clitoris, à leur consentement, etc. Même s’il y a quelques progrès en ce moment.

En plus de cette ignorance entretenue sur la sexualité, la plupart des petites filles grandissent avec la peur du viol, tel qu’on nous l’enseigne avec tous les clichés que ça comporte. Ça m’a marquée dans Mignonnes que déjà ces filles de 11 ans aient peur du viol… Je crois que moi aussi j’en avais peur très tôt… J’ai grandi avec la peur du viol, très tôt intériorisée, et, à cause d’une culture du viol qui banalise, voire valorise, des rôles genrées dans la relation sexuelle, où l’homme est actif, la femme est passive, j’ai grandi aussi avec la peur de la relation sexuelle avec un homme cishet, la peur de la pénétration, présentée comme seule pratique sexuelle valable, et même la peur du sexe masculin (parce que je l’associais à la pénétration, à la relation sexuelle avec un homme, et donc au viol aussi, dont j’avais peur, j’avais peur d’avoir mal… D’ailleurs, rétrospectivement, cette association était en partie transphobe, ayant grandi dans une culture transphobe, où l’on confond sexe, genre et organes génitaux, et depuis, je me suis déconstruite sur les biais transphobes que j’ai pu avoir à l’époque). Alors qu’en face, les garçons grandissent avec l’envie, la curiosité, voire le droit, de regarder et toucher le corps féminin, comme comportement socialement valorisé, ou du moins minimisé, banalisé.

Ajoutez à cela cette valorisation dans la socialisation des petites filles et des adolescentes du « prince charmant » et d’une découverte de la sexualité uniquement dans le cadre amoureux et hétéro-normé avec un homme, le tout vu comme l’ultime épanouissement, et par moi à l’époque, comme un rêve de tous les instants. Cette combinaison de facteurs cumulatifs arrangés par une culture dominante patriarcale telle que nous la connaissons, donne finalement l’impression qu’on pousse dans la « gueule du loup » des jeunes filles déjà sexualisées et peu ou prou éduquées sexuellement, ayant intériorisé très vite les représentations sexistes des relations amoureuses/sexuelles et la peur du viol. Ceci explique une vulnérabilité sexuelle et amoureuse que je vois comme valorisée, érotisée socialement, et donc très répandue, chez les jeunes filles. Arrivée à l’âge adulte, une jeune fille qui a appris la domination masculine et intériorisé la culture du viol tout en en ayant peur (le cliché du parking souterrain), qui n’a eu que très peu d’éducation sexuelle ou une socialisation sexiste et qui rêve de découvrir l’amour et la sexualité avec un « prince charmant, est fort potentiellement vulnérable.

Le patriarcat en fait des proies faciles.

En effet, une jeune fille qui entre à peine dans l’âge adulte et qui est donc censée avoir ses premières expériences sexuelles et amoureuses, mais qui ne connaît ni son corps, ni son plaisir, ni son droit à désirer telle chose ou non, c’est facile de l’influencer, d’avoir plus ou moins une emprise, quand on en sait plus qu’elle. Même quand elle pense connaître son corps et son plaisir, si elle a intériorisé aussi tôt ce que les représentations sexistes lui ont fait croire qu’elle était censée aimer ou pas, cela crée des risques de violences sexistes et sexuelles au sein des relations amoureuses/sexuelles… Certaines ont peut-être réussi à se connaître, indépendamment des injonctions sociales, mais ce n’est pas la majorité et le féminisme doit pouvoir être un outil pour éduquer à large échelle les jeunes filles à une sexualité qui leur appartienne et à une liberté de choix indépendante de ces injonctions et représentations sexistes valorisées par le patriarcat. C’est pour ça qu’il est opportun d’offrir une vraie éducation sexuelle, aux garçons mais aussi aux filles, pour que les premiers apprennent que leur corps est à eux, que le consentement d’autrui est sacré, que le genre féminin n’est pas inférieur au masculin et que les secondes apprennent que leur corps est à elles, que leur consentement est sacré, et que leur plaisir est important, que la masturbation c’est pas mal ou sale, etc. Parce que pour pouvoir dire non à un acte sexuel (ou toute relation sexuelle), il faut aussi pouvoir dire oui, oui à tel acte parce qu’on aime ça et parce qu’on a autant le droit de choisir, de décider. Et pouvoir dire oui, comme non, c’est (re)prendre le pouvoir sur son propre corps.

Cette (re)prise de pouvoir sur son corps peut aussi passer, comme le font de plus en plus de jeunes femmes féministes, par la lutte contre cette hypersexualisation des femmes, qui déteint forcément sur les mineures. Je ne parlerai pas de solutions contre l’hypersexualisation des mineur-es, je ne suis pas encore assez bien documentée pour être à l’aise et développer le sujet. Par contre, sur l’hypersexualisation, ou même la sexualisation tout court, du corps de la femme adulte, un moyen de reprendre le contrôle sur ce phénomène qui pèse avec toute la violence que ça comporte, sur le corps des femmes, est d’empêcher la valorisation, la diffusion, la représentation publiques de cette sexualisation par autrui et de contrôler soi-même cette sexualisation (et, notamment, de rappeler aussi que les seins ne sont pas des organes sexuels, à bon entendeur…).

Chez de plus en plus de jeunes femmes féministes, cela passe par poser nue, en pensant à son plaisir, à son bien-être, à son regard féminin (female gaze) ou en contrôlant le male gaze, et de publier les photos sur les réseaux sociaux. En effet, la sexualisation du corps féminin pose problème car elle sexualise des parties non sexuelles, par exemple, les seins, et ce, de manière non consentie ni sollicitée par la personne concernée. En posant nue sur les réseaux sociaux, c’est donc un acte engagé, militant, pour renvoyer à toutes ces personnes qui portent un regard sexualisant sans le consentement de la personne concernée, et n’importe quand, en dehors de tout contexte d’intimité partagée, un message comme quoi la sexualisation est uniquement décidée par la personne qui en est lae destinataire et que là, maintenant, je décide de vous montrer telle partie de mon corps, de la sexualiser ou non, de le faire quand, où et avec qui je veux.

Finalement, la sexualisation de presque l’entièreté du corps féminin fait partie d’une prise de pouvoir par autrui, en l’occurrence l’homme cishet. Donc, en tant que femme, être libre de son corps, poser nue ou pas, quand et comme on veut, c’est un acte de rébellion, c’est un gros MERDE à la société qui verrouille notre corps, qui nous enferme dans des tabous, dans un corps presque entièrement sexualisé, nous obligeant à faire attention à ce que les autres, et surtout les hommes cishet, pensent de lui et en même temps à ne pas trop le montrer. C’est là le paradoxe, pourquoi penser aux formes qu’il devrait épouser tout en devant le cacher ? Si personne n’est censée le voir, pourquoi y faire attention autant ? J’y vois l’illustration de la domination hétéro-masculine : la beauté du corps féminin, et même son usage, son contrôle, sont pensés pour le regard masculin, et pas n’importe lequel, celui du concubin/mari. Donc le montrer à quelqu’un-e d’autre que son concubin/mari, c’est dévalorisé et « se perdre », parce qu’on le donne à quelqu’un-e d’autre, en quelque sorte.

En effet, je pars de mon expérience personnelle et des réflexions qui en sont parties. J’ai intériorisé que mon corps était entièrement sexuel, que mes seins devaient être cachés parce que la société a décrété qu’ils étaient sexuels, que si je montrais mon corps, je serais jugée et mise en danger. Pourquoi ? Pourquoi suis-je en danger ou insultée pour avoir montré une partie de mon corps ? En quoi est-il si mauvais, si sale, objet de tant de jugements ou d’opprobres ? En posant, j’ai eu envie de dire que mon corps n’est pas sale, que personne d’autre que moi n’a de droit sur lui, que sa sexualisation, c’est moi qui la décide et que je choisis ce qui est sexuel ou non et quand ça l’est et avec qui. C’est à moi de décider si mes seins, mon ventre, mon dos, mes fesses ont une fonction sexuelle ou pas, à quel moment et avec qui. Et c’est un combat à part entière du féminisme : reprendre le contrôle de son corps, et oui, ça peut passer par une plus grande visibilité du corps féminin, vu sous un female gaze.

Mais aussi, en posant, j’ai envoyé le message comme quoi mon corps n’était à personne d’autre que moi, et qu’il n’était donc pas à mon concubin/mari. Je pense en effet que cette sexualisation est parallèle, et est peut-être liée, à la sacralisation du corps féminin, dans le cadre de la tradition et de la culture véhiculées par les religions monothéistes, dont des relents ont déteint sur les pratiques profanes des sociétés de génération en génération, selon lesquelles le corps féminin est sacré, non pas pour lui-même (consentement, liberté, contrôle et plaisir de la femme pour elle-même), mais pour la collectivité, la reproduction, la préservation de l’espèce, et pour le plaisir de l’homme cishet, pour lequel sont pensées cette sexualisation et cette sacralisation du corps féminin. D’ailleurs, si Instagram censure autant les tétons féminins, et la nudité du corps féminin plus généralement, c’est qu’il les pense subversifs, provocateurs, voire pornographiques, déjà parce qu’il considère les seins comme des organes sexuels (shame), mais surtout notamment, parce qu’il reste dans notre société patriarcale une sacralisation du corps féminin, une diabolisation qui je pense, est liée à un relent de culture religieuse (mais pas que, je sais) qui voit le corps féminin comme foncièrement dépravé, diabolique, tentateur, comme le rappel du péché d’Eve.

3. Les femmes partent donc désavantagées dans leurs relations amoureuses et/ou sexuelles avec les hommes cishet

A partir de là, j’ai pu apporter des éléments de réponse à une question récente que je me suis posée. Je me suis demandée en effet pourquoi face à une femme qui multiplie les aventures sexuelles et/ou amoureuses hétérosexuelles, j’avais toujours au fond de moi, un peu peur pour elle, plus que pour un homme cishet (pour lequel cette peur est plutôt inexistante). J’ai peur pour elle, comme si elle allait forcément, fatalement perdre à un moment donné sa dignité, voire, potentiellement, son intégrité physique. Oui, comme tout le monde, femme ou homme, on risque de vivre des déceptions amoureuses, c’est normal et c’est ce qui se passe entre deux personnes à égalité. Mais les hommes et les femmes (hétérosexuel-les) ne partent pas sur un pied d’égalité dans le monde des relations amoureuses et sexuelles. C’est justement parce qu’il y a notamment au départ cet apprentissage des normes sexistes sur la sexualité masculine et féminine et cette vulnérabilité liée à la prise de pouvoir par autrui sur le corps des filles/femmes. C’est aussi parce qu’il existe un risque systémique, lié à une société patriarcale et une culture du viol durant depuis des siècles, par la reproduction sociale et l’éducation, pour les femmes, en relationnant avec des hommes cishet, de subir des violences sexistes et/ou sexuelles.

Bien entendu, en tant que femme, on peut tomber sur un homme bien, allié du féminisme, ouvert à sa propre déconstruction, mais plus je comprends la société patriarcale et vois l’ampleur des témoignages de relations hétérosexuelles rendues toxiques, voire violentes dans le cadre du sexisme dont font preuve beaucoup d’hommes, et à quel point le sexisme transcende tous les milieux de la société, ainsi que tous les âges, plus je me dis que j’ai eu de la chance jusqu’ici, d’autant plus en étant tombée dès mon premier copain sur un homme bienveillant, ouvert à sa déconstruction et allié du féminisme. Mais je ne devrais pas parler de chance pour parler de ma rencontre avec cet homme. Une relation à égalité entre deux personnes, ne devrait pas être un coup de chance.

Mais par cette idée de chance, et ce réflexe répandu chez les femmes à vanter leur chance d’avoir rencontré tel homme cishet, je comprends à quel point représente malheureusement un risque bien réel pour les femmes hétérosexuelle de tomber sur un homme sexiste, voire violent, sur une situation où leur consentement n’est pas totalement respecté, sur une situation où elles sont à inégalité avec leurs partenaires.

Je repense forcément à mon article sur le film Une fille facile de Rebecca Zlotowski où, mis à part le thème de la « michto », l’on voit deux personnes, un homme et une femme, aimant la même chose, le sexe, et à la fin, la femme en ressort dans une position inégale, rendue inférieure par l’homme, qui rompt leur relation en la faisant passer pour une voleuse, au lieu de la traiter d’égale à égal pour la quitter. Il ne lui accorde même pas ça, même pas le même niveau de liberté et de décision que lui.

Si la société est patriarcale, et elle l’est, et qu’on sait que le sexisme est systémique et qu’il y a un nombre conséquent de femmes victimes de violences sexistes et sexuelles, dont la grande majorité est perpétrée par des hommes (96 % des violeur-ses sont des hommes) et par des proches de la victime, et qu’on le met en parallèle avec ce que je viens de montrer, alors, oui, le patriarcat organise et valorise notre vulnérabilité amoureuse et sexuelle et crée ce phénomène auto-entretenu des violences sexistes et sexuelles.