La multiplication des dates sectorielle, une division qui empêchera de gagner contre la loi travail

La date du 12 septembre a sonné comme un avertissement pour Emmanuel Macron. Au point que ce qui était annoncé par tous les médias dominants comme un baroud’honneur sans combat est devenu la date d’un début d’une série de mobilisation dans la classe ouvrière. Face à la réussite de la mobilisation, la pression de la base des syndicats est telle que de nombreuses fédérations ont appelé à de nouvelles dates de mobilisation : outre la journée appelée par la CGT le 21 septembre et celle de Mélenchon le 23 septembre, les fédérations FO et CGT des Transports ont appelé à un début de grève reconductible dès le 25 septembre ; les fonctionnaires sont appelés à manifester le 26 contre la suppression des 150 000 emplois aidés le 26, les retraités la hausse de la CSG le 28, les fonctionnaires contre la gel du point d’indice le 10 octobre, et les ouvriers de la métallurgie à se rassembler devant le siège de l’IUMM le 13 octobre pour défendre leur convention collective nationale. Une multiplication de grèves perlées qui va, pour Mathias Dupuis, secrétaire de l’Union Locale de Dieppe, à l’encontre des aspirations des salariés : « depuis le 12, on a une multiplication des dates de manifestations, alors que depuis plusieurs années, chaque fois que tu vas dans une AG, l’ensemble des témoignages des camarades, c’est “arrêtons les journées perlées, arrêtons les appels dans tous les sens, faisons un appel commun !“ ».

Une multiplication de dates qui, va, pour Mickaël Wamen, ex-CGT Goodyear, à l’encontre de l’expérience des dernières mobilisations sociales : « tous les jours, il y a une nouvelle date qui tombe. Je ne sais pas si on a bien retenu les leçons de l’an dernier : si on considère que l’on peut gagner en multipliant les annonces de mobilisation, c’est une grave erreur parce que les dates saute-moutons elles n’ont jamais permis de gagner. La question, c’est-ce qu’on veut juste le retrait des ordonnances ou on veut faire barrage à la politique du capital que Macron veut mettre en œuvre ?  ». La question de comment battre l’ensemble de la politique du gouvernement est au cœur des esprits, comme le signale Mathias Dupuis : « Cette bataille qu’on est en train de mener, elle va bien au delà des ordonnances : la casse du code du travail, le gel du point d’indice des fonctionnaires, la hausse de la CSG pour les retraités, la fin des contrats aidés […] on a suffisamment de revendications communes pour mener une bataille en commun. Et si on veut arriver à quelque chose, il faut partir organisés ! »

Regrouper les revendications et marcher tous ensemble contre Macron

Derrière la division des dates de mobilisations, l’argument des directions syndicales qui imposent cette division est systématiquement la même : l’idée que chacun a ses revendications propres, pour lesquelles il faut lutter indépendamment des autres. Cependant, cette logique amène surtout à diviser les forces et à amoindrir l’impact des grèves et des manifestations. Pour Mickaël Wamen, l’union de toutes ces revendications doit se faire autour d’un minimum commun : « aujourd’hui, c’est le programme du Medef en entier qu’il faut combattre, et il concerne le public, le privé, la jeunesse, les retraités, les chômeurs, les jeunes de quartier populaire qui sont encore plus éloignés de l’emploi que les autres.  »

De fait, le gouvernement et le Medef ne souhaitent épargner personne : outre les ordonnances, c’est aussi les retraites et la Sécu qui sont en ligne de mire pour le gouvernement, qui attaque par ailleurs tout azimut les cheminots, les fonctionnaires, et les étudiants. Face à toutes ces attaques, seul un « tous ensembles », tel qu’il a pu émerger en 1995 durant la lutte contre le plan Juppé pourrait faire reculer le gouvernement. Cependant, cette union supposerait la mise en place d’un front unique entre toutes les organisations syndicales et politiques : « au niveau du Front Social on a appelé à cette union qui est plus nécessaire que jamais,explique Mickaël Wamen Il aurait fallu qu’entre le 21 et le 23, il n’y ait qu’une seule date : les fonctionnaires ont peut être des problèmes différents des routiers, mais leur problème commun, c’est une politique qui nous met tous à mal et qui est dirigée par le gouvernement. […] J’en appelle à une table ronde, entre la fédération des routiers et celles des fonctionnaires. Profitons du blocage des axes routiers pour bloquer plus généralement l’économie. On doit se mettre au tour d’une table et qu’on ressort avec une feuille de route. Beaucoup de salariés ont peur qu’on n’ait pas cette feuille de route. On ne peut pas continuer comme cela : si demain on perd, on a tout perdu.  »

Une stratégie pour gagner : la grève générale et l’occupation des usines

Tout perdre… ou tout gagner. Évidemment, à l’heure actuelle, le gouvernement est dans une position de force pour imposer sa loi travail XXL, en utilisant tous les outils que la bourgeoisie utilise maintenant depuis plus de 70 ans : division syndicale, éclatement des revendications, lutte contre toute jonction entre public et privé, etc. Cependant, si le rapport de force est pour l’instant à l’avantage du gouvernement, Mathias Dupuis est loin d’être défaitiste : « la seule façon qui a permis de gagner, quand on regarde l’histoire sociale de la France, c’est quand les salariés reconduisent la grève et occupent leur usine, comme en 1936 et 1968. Aujourd’hui, la victoire sera celle des salariés, en occupation d’usine, en grève à l’intérieure de celle ci et qui arrêtent les productions. Si par exemple demain, les mecs d’EDF coupent le courant et que la France est dans le noir, Macron il arrêtera vite fait ! explique le syndicaliste en souriant. Pour lui, rien n’est perdu, au contraire : « si on veut gagner, il va falloir bloquer l’économie, et surtout les secteurs stratégiques sans lesquels la France ne tourne pas : les transports par exemple, ont permis de gagner contre le CPE. En 1995, pendant une semaine, pas un train n’a roulé en France ! Et on a gagné sur certaines revendications. Il faut prendre le patronat à la gorge, c’est à dire au porte-monnaie qu’on pourra gagner. Et pour cela, il faut des appels décisifs et convergents pour qu’on aboutisse à une réussite.  »

Face à la division des dates qui, pour l’instant, fait le jeu du gouvernement en divisant les forces des opposants à la loi travail, c’est donc une toute autre stratégie qui revient de plus en plus dans les slogans de manifestation tout comme dans les tracts d’usines : la grève générale, comme seul moyen d’imposer un rapport de force tel que le gouvernement ne pourra plus que reculer. Pour cela, les appels aux grèves reconductibles, telles que celles des routiers de FO et de la CGT, mais aussi des métallurgistes de l’UD du Nord, doivent être des points pour lancer un mouvement plus large, qui réunit public et privé, précaires et chômeurs, étudiants et retraités.