Une nouvelle étape de la lutte contre le projet Cigéo, qui prévoit d’enfouir les déchets radioactifs des centrales nucléaires françaises aux alentours de Bure, dans la Meuse, a eu lieu en ce mois d’août. Anarchiste vivant en banlieue parisienne, je suis passé quelques fois à Bure pour participer aux luttes qui y sont menées, notamment pendant l’été 2015 lors du campement VMC et l’été dernier lorsque la lutte autour du bois Lejuc s’est intensifée, mais je ne suis pas forcément le mieux placé pour raconter et expliquer de l’intérieur et dans la durée les rapports de force qui s’y jouent. Je me permets tout de même un petit récit, faites-en ce que vous voulez.

D’abord, un festival s’est tenu sur trois jours, avec des débats, infos, expos, concerts: les Bure’lesques. Puis, une manifestation a eu lieu le 15 août, contre la poubelle nucléaire.

Le festival les Bure’lesques

Organisé par un « collectif d’habitant-es, de sympathisant-es et d’associations », le festival s’est tenu du 11 au 13 août à quelques kilomètres de Bure, sur un grand terrain avec d’un côté un camping/parking et de l’autre l’espace prévu pour le festival, en accès libre à tou-tes.

Plusieurs chapiteaux et tentes collectives ont accueilli l’ensemble des activités, avec sur trois jours un programme assez dense et varié.

La plupart des discussions, conférences, débats, projections de films et autres étaient focalisés sur les questions du nucléaire et sur l’histoire des luttes dans la région Grand Est. La conférence gesticulée de Marie, « Autostop Bure », a reçu un succès mérité. À noter aussi une conférence-discussion autour des luttes de la fin des années 1970 à Longwy contre les fermetures d’usines sidérurgiques, avec des ouvrier-es ayant participé à ces luttes ainsi qu’à la radio libre Lorraine Coeur d’Acier. Et une conférence rapprochant les déchets de la Première Guerre Mondiale qui ont touché la Meuse il y a cent ans, notamment près de Verdun, de ceux du nucléaire qui pourraient à nouveau toucher la Meuse avec le projet Cigéo… Certains autres moments aux thématiques intéressantes se sont avérés relativement décevants, comme la conférence par un ingénieur-expert sur les failles technologiques du projet Cigéo (très technique et peu explicative, pas très abordable aux novices…) ou encore la table-ronde sur les transports nucléaires et les moyens de s’y opposer, qui, malgré son intérêt notamment comme levier possible pour la lutte anti-nucléaire, n’a pas donné lieu à des perspectives claires ni même à des débats ou réflexions poussés.

Mais le programme était dense et c’était une bonne chose, je pense, qu’il ait été centré sur les luttes locales et anti-nucléaires, avec différentes approches. Même si la merde nucléaire est bien évidemment liée au monde qui la produit, liée à un monde capitaliste en besoin permanent de croissance économique, avec toutes les luttes auxquelles on peut participer, je peux avoir tendance à zapper que le nucléaire est une technologie mortifère ultra-dangereuse, certainement celle qui a le plus défoncé la planète à travers les siècles, et en seulement quelques décennies d’existence, et qu’il est donc important de relier les combats anticapitalistes aux luttes antinucléaires (et réciproquement).

À ce propos, il y avait deux tentes qui abritaient des infokiosques et autres tables d’information: l’une d’entre elles était occupée par des assos/orgas antinucléaires et donc précisément axée sur cette question, et l’autre présentait des collectifs divers, librairies et revues militantes sur des sujets plus variés, avec notamment une double-table avec plein de brochures d’infokiosques.net et d’autres issues des dernières années de lutte à Bure ainsi que d’autres « luttes de territoire » à travers le monde.

Le dimanche après-midi, sous le regard indiscret d’un hélico de la police, une balade dans le bois Lejuc (où l’ANDRA avait commencé des travaux en mai 2016, provoquant l’occupation du bois par des opposant-es antinucléaires dès le mois de juin 2016) a réuni près de 250 personnes, qui sont allées en convoi du festival jusqu’au bois pour découvrir les barricades et vigies, l’ex-mur sécuritaire de l’ANDRA, défoncé et tagué, les installations, cuisines et autres au sol et les cabanes dans les arbres, de quoi comprendre l’intérêt de défendre l’occupation de ce bois, que l’ANDRA veut tout simplement détruire, pour continuer de s’approprier les hectares nécessaires au projet Cigéo.

Pour revenir au festival, on n’a pas pu échapper aux éternelles nuisances sonores parfois jusqu’à 6 heures du mat’, mais surtout, à l’habituel sexisme ordinaire favorisé par les comportements de merde de certains mecs (notamment en groupes) et par la présence de l’alcool dans les moments « festifs » (concerts et autres). Mais comparé à d’autres festivals, on peut quand même s’estimer « chanceux-euses », ayant déjà vécu largement pire… Cela dit, comme on est loin de pouvoir se reposer sur nos lauriers, je vous invite à lire ce très bon texte sur l’alcool et la culture du viol.

Du côté des trucs chiants, ou disons dommageables, on pourra aussi se demander pourquoi on n’a pas profité du passage de plusieurs centaines de personnes sur ces trois jours pour annoncer/afficher plus clairement la manifestation du 15 août comme un moment de lutte important… C’était annoncé dans des flyers à l’accueil du festival, et ça a été rappelé deux-trois fois dans des moments de discussion/assemblée, mais ça aurait dû/pu être annoncé plus que ça. J’avais-qu’à-le-faire, hein, je sais, ou au moins le dire avant, je sais je sais. Je ne jette la pierre à personne (à part aux flics bien sûr), mais ça aurait été super qu’on soit encore plus nombreux-euses à la manif du 15, même si au final le nombre n’a pas été réellement un problème… Disons que le manque de communication autour de la manif du 15 est certainement révélateur des écueils dans lesquels on est finalement tombé-es le jour de la manif. J’y reviendrai.

Pour finir sur le sujet du festival, un grand big up: pour l’organisation en général, pour l’accueil, les chapiteaux, les tentes, toutes les infrastructures, les chiottes sèches (nombreuses et super bien entretenues !), l’eau et l’élec’, les poubelles, etc. Et bien entendu, pour les cantines, toutes vegans et à prix libre (en provenance de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, de Nancy et de Freiburg-im-Breisgau), assurant quotidiennement des repas trop stylés pour plusieurs centaines de personnes, avec en bonus un four à pain mobile. Pareil pour la vaisselle, gérée collectivement par des équipes différentes chaque jour.

Aussi, sur ces trois jours, c’était assez génial de rencontrer plein de gens différent-es, des potes aux inconnu-es en passant par des têtes déjà croisées dans d’autres luttes, et aussi ce truc très inter-générationnel, qui à mon sens, en plus d’être agréable et d’ouvrir l’esprit, est nécessaire à tout élan révolutionnaire (qui contrairement à ce qu’on peut lire parfois, n’est pas l’apanage de la « jeunesse »). Pour transformer ce que disait l’autre: ne pas être anarchiste à seize ans, c’est manquer de coeur ; ne plus l’être à quatre-vingt-seize ans, c’est manquer de jugeote (et faire le fier avec une Rolex, à n’importe quel âge, c’est vraiment foirer sa vie…).

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