A retrouver sur : https://www.brassicanigra.org/blabla/numero-9/les-tanne….html

Ci-dessous un texte diffusé dans les manifs sur dijon pour faire le point à chaud sur la situation.

Le 20 janvier 2009, l’Espace autogéré des
Tanneries faisait une nouvelle fois la une du Bien Public, avec une manchette à
sensation titrant « Les Tanneries, c’est bientôt fini ? »

Les dijonnais·es apprenaient ainsi que selon un porte-parole de la Mairie, la
destruction du lieu était inéluctable, en raison d’un projet d’urbanisme visant
à remodeler entièrement la friche du boulevard de Chicago. Et ce dernier
d’ajouter : « les entreprises dijonnaises ont économiquement besoin de ce type
de chantiers ». S’en suivait l’évocation floue d’un relogement de certaines
activités « culturelles » des Tanneries, mais l’intention nette d’en amputer
l’espace d’habitation.

L’article allait immédiatement provoquer des dizaines de réactions sur le site
du Bien Public, entre fantasmes grotesques et réponses informées, entre ceux
qui souhaitent voir dans l’espace autogéré un repaire de terroristes en
puissance, celles qui le considèrent comme un résidu de mai 68 « à brûler au
lance-flammes », et celles et ceux qui, pour avoir croisé le chemin de cet
espace de liberté au détour d’années d’activités, de constructions et de luttes
collectives, en ressentent l’importance et y sont attaché·e·s.

Le surlendemain, 600 imitations de la manchette du Bien Public titrant cette
fois « Les Tanneries, c’est loin d’être fini ! » étaient collées dans Dijon,
autour de la Mairie, et se substituaient à la une du jour chez bon nombre de
marchands de journaux du centre ville. Ce détournement rappelait à sa manière
les diverses luttes menées aux cours des 10 dernières années par l’Espace
autogéré des Tanneries face aux mairies successives et aux menaces d’expulsion
répétées : des manifestations aux occupations, en passant par l’installation de
cabanes dans le square des ducs, les concerts de rue et journées
portes-ouvertes, le large soutien des dijonnais·es, mais aussi de nombreux
réseaux, collectifs et individus venus de toute l’Europe…

Voici quelques premières réflexions à chaud de participant·e·s à l’Espace
autogéré des Tanneries, à l’heure où se débattent des stratégies collectives
face à cette nouvelle menace.

Notre but n’est sans doute pas de nous opposer à la construction de logements à
Dijon. Si c’est vraiment de logement qu’il s’agit, comment ne pas penser, pour
commencer, aux quelques 5000 logements vides à Dijon, laissés sciemment
inhabités par la spéculation, les cumuls de propriétés, entres autres projets
urbanistiques en suspens ? Comment ne pas être révolté·e de voir fleurir des
terrains vagues en lieu et place de maisons jusque là inoccupées ou
réquisitionnées par des mal logé·e·s, et de faire le constat répété de la
priorité donnée aux parkings et enseignes commerciales en général ?

S’il s’agissait de construire un nouveau supermarché, une extension d’aéroport
ou un commissariat, voire une super structure subventionnée de type Zénith, il
y a fort à parier que la Mairie ne trouverait pas, cette fois, que ceux-ci font
obstacle à la construction de logements. Or, nous pensons que tout autant que
des logements, il importe que subsistent les trop rares espaces publics où les
convergences sociales et politiques permettent l’émergence de solidarités, de
résistances, de créativités, dans une ville quadrillée par les espaces
commerciaux, où règne le chacun chez soi, chacun pour soi. On ne nous fera donc
pas le coup des impératifs de développement urbanistique ou des contraintes du
marché. Il en va clairement de choix politiques.

La mise en compétition de l’espace autogéré et du logement nous semble d’autant
plus ridicule que l’espace ne manque pas : situé en périphérie d’une friche de
dix hectares, on voit mal comment l’espace autogéré pourrait empêcher la
construction de logements adjacents. Mais c’est qu’il y a des lieux rentables,
qui s’insèrent à merveille dans le panorama marchand et sécuritaire qui domine
actuellement : s’il semble pertinent pour la Mairie que des parcs de logements
spacieux réservés aux cadres viennent cohabiter avec les quelques temples de la
culture commerciale ou élitiste dont la ville « bénéficie », il semble que ces
derniers ne souhaitent pas les installer à proximité d’un de ces espaces qui
incarnent une autre conception de la vie, de la ville, et s’attachent depuis 10
ans à les matérialiser. En clair, dans l’aménagement lisse et feutré pensé par
la municipalité, l’espace autogéré devrait virer !

Ouvert en 1998, l’espace autogéré gêne depuis toutes ces années. Il gêne, parce
qu’il ne rentre pas dans les normes dociles des structures culturelles, et
continue à faire vivre un antagonisme vis-à-vis des institutions ; parce qu’il
gueule haut et fort contre les politiques sécuritaires, la vidéo-surveillance
et les choix d’urbanisme douteux ; parce qu’il affiche son soutien actif aux
sans-papiers, participe des mouvements sociaux et porte une critique sociale
par le biais d’écrits, de journaux, de débats, mais aussi et surtout au delà
des mots, par le biais de luttes, d’auto-constructions, de recyclages, de
potagers, d’affinités et de vies, de logiciels libres, de musiques et de
cultures libérées de l’industrie.

La logique des urbanistes est celle d’Attila, celle qui détruit les liens
sociaux existants, les aventures collectives reliées à des espaces, les
ancrages au sol et à l’histoire, dès lors que celle-ci sort des églises et des
musées. C’est cette logique qui qui rase pour construire du neuf, du rentable
et de l’aseptisé, adaptable à la triade travail-transports-télé. C’est cette
logique qui détruit les quartiers populaires des grandes villes partout en
France pour les réserver aux magasins, aux cadres et autres « bobos », et
entasser les pauvres en périphérie.

La société capitaliste vise à séparer les différents domaines de la vie :
travail, loisirs et cultures, vie privée, politique. Ce qui est précisément
subversif dans le projet des Tanneries, c’est de rassembler ces divers domaines
dans un espace qui vise à s’affranchir des rapports de consommation et de
pouvoir. C’est de lier un espace d’autonomisation matérielle et culturelle,
avec un lieu de vie et de convergence pour des luttes politiques. Ne peuvent
exister logements, salles de concerts, espaces associatifs, locaux politiques,
salles de sport, que tant que ces différents domaines restent cloisonnés,
contrôlables et/ou rentables. Quand ces espaces se rejoignent, ils tendent à
devenir intolérables pour les pouvoirs en place, parce qu’ils peuvent porter en
germe d’autres formes d’organisation sociale.

Précisons que la défense d’un espace de vie aux Tanneries ne consiste pas tant
à préserver une maison pour 10 personnes, qu’à mettre en avant comment
s’imbriquent les possibilités de vie collective et le projet politique que nous
portons. La dimension d’espace de vie est indissociable d’une démarche qui vise
à montrer que l’on peut sortir de l’isolement, du chacun pour soi, et
s’organiser autrement dans un quotidien solidaire. Même si la grande majorité
des personnes impliquées dans Les Tanneries n’y habitent pas en permanence,
c’est cette dimension de l’espace autogéré qui a permis d’accueillir pour
quelques jours ou quelques mois des personnes et collectifs venus du monde
entier pour des rassemblements et réunions, des élaborations et projets : de
l’écriture de livres à la préparation d’actions, en passant par des caravanes,
créations musicales, et inoubliables moments de vie.

En somme, si par « relogement », la mairie entend « déléguer la gestion » d’une
« salle de concert alternative », inutile de dire que la réponse est non, et que
nous lutterons où nous sommes, pour conserver la globalité du projet politique
et l’enchevêtrement unique d’activités qui s’y est construit.

A suivre dans les mois à venir, dans les rues et aux Tanneries !

janvier 2009, des participant·e·s à l’Espace autogéré des Tanneries