« Décadence et décomposition du capitalisme »

1) Un des éléments les plus importants déterminant la vie actuelle de la société capitaliste est l’entrée de celle-ci dans sa phase de décomposition. Le CCI a déjà, depuis la fin des années 1980, rendu compte des causes et des caractéristiques de cette phase de décomposition de la société. Il a notamment mis en évidence les faits suivants :
a) La phase de décomposition du capitalisme est partie intégrante de la période de décadence de ce système inaugurée avec la Première Guerre mondiale (comme la grande majorité des révolutionnaires l’avait mis en évidence à ce moment-là). A ce titre, elle conserve les principales caractéristiques propres à la décadence du capitalisme, auxquelles viennent s’ajouter des caractéristiques nouvelles et inédites dans la vie de la société.
b) Elle constitue la phase ultime de cette décadence, celle où non seulement se cumulent les traits les plus catastrophiques de ses phases précédentes, mais où l’on assiste à un véritable pourrissement sur pied de l’ensemble de l’édifice social.
c) Ce sont pratiquement tous les aspects de la société humaine qui sont affectés par la décomposition, et particulièrement ceux qui sont déterminants pour la survie même de celle-ci comme les conflits impérialistes et la lutte de classe. En ce sens, c’est avec en toile de fond la phase de décomposition et ses caractéristiques fondamentales qu’il convient d’examiner le moment présent de la situation internationale sous ses aspects majeurs : la crise économique du système capitaliste, les conflits au sein de la classe dominante, et particulièrement sur l’arène impérialiste, et enfin la lutte entre les deux classes fondamentales de la société, bourgeoisie et prolétariat.

2) Paradoxalement, la situation économique du capitalisme est l’aspect de cette société qui est le moins affecté par la décomposition. Il en est ainsi principalement parce que c’est justement cette situation économique qui détermine, en dernière instance, les autres aspects de la vie de ce système, y compris ceux qui relèvent de la décomposition. A l’image des autres modes de production qui l’ont précédé, le mode de production capitaliste, après avoir connu une période d’ascendance qui culmine à la fin du 19e siècle, est entré à son tour, au début du 20e, dans la période de sa décadence. A l’origine de cette décadence, comme pour celle des autres systèmes économiques, se trouve l’inadéquation croissante entre le développement des forces productives et les rapports de production. Concrètement, dans le cas du capitalisme, dont le développement est conditionné par la conquête de marchés extra capitalistes, la Première Guerre mondiale constitue la première manifestation significative de sa décadence. En effet, avec la fin de la conquête coloniale et économique du monde par les métropoles capitalistes, celles-ci sont conduites à s’affronter entre elles pour se disputer leurs marchés respectifs. Dès lors, le capitalisme est entré dans une nouvelle période de son histoire qualifiée par l’Internationale communiste en 1919 comme celle des guerres et des révolutions. L’échec de la vague révolutionnaire qui avait surgi de la Première Guerre mondiale a ainsi ouvert la porte à des convulsions croissantes de la société capitaliste : la grande dépression des années 1930 et sa conséquence, la Seconde Guerre mondiale bien plus meurtrière et barbare encore que la Première. La période qui a suivi, qualifiée par certains « experts » bourgeois de « Trente Glorieuses », a vu le capitalisme donner l’illusion qu’il avait réussi à surmonter ses contradictions mortelles, illusion qui a été partagée par des courants qui pourtant se réclamaient de la révolution communiste. En réalité, cette période de « prospérité » résultant à la fois d’éléments circonstanciels et des mesures palliatives aux effets de la crise économique, a de nouveau laissé la place à la crise ouverte du mode de production capitaliste à la fin des années 1960, avec une forte aggravation à partir du milieu des années 1970. Cette crise ouverte du capitalisme débouchait de nouveau vers l’alternative déjà annoncée par l’Internationale communiste : guerre mondiale ou développement des luttes ouvrières en direction du renversement du capitalisme. La guerre mondiale, contrairement à ce que pensent certains groupes de la Gauche communiste, ne constitue nullement une « solution » à la crise du capitalisme, permettant à celui-ci de se « régénérer », de renouer avec une croissance dynamique. C’est l’impasse dans laquelle se trouve ce système, l’aiguisement des tensions entre secteurs nationaux du capitalisme qui débouche sur une fuite en avant irrépressible sur le plan militaire dont l’aboutissement final est la guerre mondiale. Effectivement, conséquence de l’aggravation des convulsions économiques du capitalisme, les tensions impérialistes ont connu à partir des années 1970 une aggravation certaine. Cependant, elles n’ont pu déboucher sur la guerre mondiale du fait même du surgissement historique de la classe ouvrière à partir de 1968 en réaction aux premières atteintes de la crise. En même temps, si elle avait été capable de contrecarrer la seule perspective possible de la bourgeoisie (si l’on peut parler de « perspective »), la classe ouvrière, au-delà d’une combativité inconnue depuis des décennies, n’a pu mettre en avant sa propre perspective, la révolution communiste. C’est justement cette situation où aucune des deux classes déterminantes de la société ne peut présenter de perspective à cette dernière, où la classe dominante en est réduite à « gérer » au jour le jour et au coup par coup l’enfoncement de son économie dans une crise insurmontable, qui est à l’origine de l’entrée du capitalisme dans sa phase de décomposition.

3) Une des manifestations majeures de cette absence de perspective historique est le développement du « chacun pour soi » qui affecte tous les niveaux de la société, depuis les individus jusqu’aux États. Cependant, l’on ne peut considérer qu’il y ait, sur le plan de la vie économique du capitalisme, de changement majeur dans ce domaine depuis l’entrée de la société dans sa phase de décomposition. En fait, le « chacun pour soi », la « concurrence de tous contre tous », sont des caractéristiques congénitales du mode de production capitaliste. Ces caractéristiques, il a dû les tempérer lors de l’entrée dans sa période de décadence par une intervention massive de l’État dans l’économie mise en place dès la Première Guerre mondiale et qu’il a réactivées dans les années 30, notamment avec les politiques fascistes ou keynésiennes. Cette intervention de l’État a été complétée, à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, par la mise en place d’organismes internationaux, tels le FMI, la Banque mondiale et l’OCDE et, ultérieurement, la Communauté économique européenne (ancêtre de l’Union européenne actuelle) afin d’empêcher que les contradictions économiques n’aboutissent à une débandade générale comme ce fut le cas à la suite du « jeudi noir » de 1929. Aujourd’hui, malgré tous les discours sur le « triomphe du libéralisme », sur le « libre exercice des lois du marché », les États n’ont renoncé ni à l’intervention dans l’économie de leurs pays respectifs, ni à l’utilisation des structures chargées de réguler quelque peu les rapports entre eux en en créant même de nouvelles, telle l’Organisation mondiale du commerce. Cela dit, ni ces politiques, ni ces organismes, s’ils ont permis de ralentir de façon significative le rythme d’enfoncement du capitalisme dans la crise, n’ont permis de venir à bout de celle-ci malgré les présents discours saluant les niveaux « historiques » de croissance de l’économie mondiale et les performances extraordinaires des deux géants asiatiques, l’Inde et surtout la Chine.

« Crise économique : l’emballement de la fuite en avant dans l’endettement »

4) Les bases sur lesquelles reposent les taux de croissance du PIB mondial aux cours des dernières années, et qui provoquent l’euphorie des bourgeois et de leurs laquais intellectuels, ne sont pas fondamentalement nouvelles. Elles sont les mêmes que celles qui ont permis d’empêcher que la saturation des marchés à l’origine de la crise ouverte à la fin des années 60 ne provoque un étouffement complet de l’économie mondiale et se résument dans un endettement croissant. A l’heure actuelle, la « locomotive » principale de la croissance mondiale est constituée par les énormes déficits de l’économie américaine, tant au niveau de son budget d’État que de sa balance commerciale. En réalité, il s’agit là d’une véritable fuite en avant qui, loin de permettre une solution définitive aux contradictions du capitalisme ne fait que lui préparer des lendemains encore plus douloureux et notamment des ralentissements brutaux de la croissance, comme celui-ci en a connus depuis plus de trente ans. Dès à présent, d’ailleurs, les menaces qui s’amoncellent sur le secteur des logements aux États-Unis, un des moteurs de l’économie américaine, et qui portent avec elles le danger de faillites bancaires catastrophiques, sème le trouble et l’inquiétude dans les milieux économiques. Cette inquiétude est renforcée par la perspective d’autres faillites touchant les « hedge funds » (fonds spéculatifs) faisant suite à celle d’Amaranth, en octobre 2006. La menace est d’autant plus sérieuse que ces organismes, dont la raison d’être est de réaliser de forts profits à court terme en jouant sur les variations des taux de change ou des cours des matières premières, ne sont nullement des francs tireurs en marge du système financier international. Ce sont en réalité les institutions financières les plus « sérieuses » qui placent une partie de leurs avoirs dans ces « hedge funds ». De même, les sommes investies dans ces organismes sont considérables au point d’égaler le PIB annuel d’un pays comme la France et elles servent de « levier » à des mouvements de capitaux encore bien plus considérables (près de 700 000 milliards de dollars en 2002, soit 20 fois plus que les transactions sur les biens et services, c’est-à-dire des produits « réels »). Et ce ne sont pas les péroraisons des « alter mondialistes » et autres pourfendeurs de la « financiarisation » de l’économie qui y changeront quoi que ce soit. Ces courants politiques voudraient un capitalisme « propre », « équitable », tournant notamment le dos à la spéculation. En réalité, celle-ci n’est nullement le fait d’un « mauvais » capitalisme qui « oublie » sa responsabilité d’investir dans des secteurs réellement productifs. Comme Marx l’a établi depuis le 19e siècle, la spéculation résulte du fait que, dans la perspective d’un manque de débouchés suffisants pour les investissements productifs, les détenteurs de capitaux préfèrent les faire fructifier à court terme dans une immense loterie, une loterie qui transforme aujourd’hui le capitalisme en un casino planétaire. Vouloir que le capitalisme renonce à la spéculation dans la période actuelle est aussi réaliste que de vouloir que les tigres deviennent végétariens (ou que les dragons cessent de cracher du feu).

5) Les taux de croissance exceptionnels que connaissent à l’heure actuelle des pays comme l’Inde et surtout la Chine ne constituent en aucune façon une preuve d’un « nouveau souffle » de l’économie mondiale, même s’ils ont contribué pour une part non négligeable à la croissance élevée de celle-ci au cours de la dernière période. A la base de cette croissance exceptionnelle, c’est à nouveau la crise du capitalisme que, paradoxalement, l’on retrouve. En effet, cette croissance tire sa dynamique essentielle de deux facteurs : les exportations et les investissements de capitaux provenant des pays les plus développés. Si les réseaux commerciaux de ces derniers se tournent de plus en plus vers la distribution de biens fabriqués en Chine, en lieu et place de produits fabriqués dans les « vieux » pays industriels, c’est qu’ils peuvent les vendre à des prix bien plus bas, ce qui devient une nécessité absolue au moment d’une saturation croissante des marchés et donc d’une compétition commerciale de plus en plus exacerbée, en même temps qu’un tel processus permet de réduire le coût de la force de travail des salariés des pays capitalistes les plus développés. C’est à cette même logique qu’obéit le phénomène des « délocalisations », le transfert des activités industrielles des grandes entreprises vers des pays du Tiers-monde, où la main-d’œuvre est incomparablement moins chère que dans les pays les plus développés. Il faut d’ailleurs noter que si l’économie chinoise bénéficie de ces « délocalisations » sur son propre territoire, elle-même tend à son tour à les pratiquer en direction de pays où les salaires sont encore plus faibles, notamment en Afrique.

6) En fait, l’arrière plan de la « croissance à 2 chiffres » de la Chine, et notamment de son industrie, est celui d’une exploitation effrénée de la classe ouvrière de ce pays qui connaît souvent des conditions de vie comparables à celles de la classe ouvrière anglaise de la première moitié du 19e siècle dénoncées par Engels dans son ouvrage remarquable de 1844. En soi, ce n’est pas un signe de la faillite du capitalisme puisque c’est sur la base d’une exploitation aussi barbare du prolétariat que ce système s’est lancé à la conquête du monde. Cela dit, il existe des différences fondamentales entre la croissance et la condition ouvrière dans les premiers pays capitalistes au 19e siècle et celles de la Chine d’aujourd’hui :
– dans les premiers, l’augmentation des effectifs de la classe ouvrière industrielle dans tel ou tel pays n’a pas correspondu à leur réduction dans les autres : c’est de façon parallèle que se sont développés les secteurs industriels dans des pays comme l’Angleterre, la France, l’Allemagne ou les États-Unis. En même temps, notamment grâce aux luttes de résistance du prolétariat, les conditions de vie de celui-ci ont connu une amélioration progressive tout au long de la seconde moitié du 19e siècle ;
– dans le cas de la Chine d’aujourd’hui, la croissance de l’industrie de ce pays (comme dans d’autres pays du Tiers-monde), se fait au détriment de nombreux secteurs industriels des pays de vieux capitalisme qui disparaissent progressivement ; en même temps, les « délocalisations » sont les instruments d’une attaque en règle contre la classe ouvrière de ces pays, attaque qui a commencé bien avant que celles-ci ne deviennent une pratique courante mais qui permet de l’intensifier encore en termes de chômage, de déqualification, de précarité et de baisse de leur niveau de vie.
Ainsi, loin de représenter un « nouveau souffle » de l’économie capitaliste, le « miracle chinois » et d’un certain nombre d’autres économies du Tiers-monde n’est pas autre chose qu’un avatar de la décadence du capitalisme. En outre, l’extrême dépendance de l’économie chinoise à l’égard de ses exportations constitue un facteur certain de fragilité face à une rétractation de la demande de ses clients actuels, rétractation qui ne saurait manquer d’arriver, notamment lorsque l’économie américaine sera contrainte de remettre de l’ordre dans l’endettement abyssal qui lui permet à l’heure actuelle de jouer le rôle de « locomotive » de la demande mondiale. Ainsi, tout comme le « miracle » représenté par les taux de croissance à deux chiffres des « tigres » et « dragons » asiatiques avait connu une fin douloureuse en 1997, le « miracle » chinois d’aujourd’hui, même s’il n’a pas des origines identiques et s’il dispose d’atouts bien plus sérieux, sera amené, tôt ou tard, à se heurter aux dures réalités de l’impasse historique du mode de production capitaliste.

Courant Communiste International – www.internationalism.org