LA LOPSI A FAIT SON TEMPS : PLACE À LA LOPPSI 2

LA SÉCURITÉ INTÉRIEURE AU PAS DE LOI

La loi d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure 2003-2007 (LOPSI) avait mis le paquet pour réorganiser les services de police nationale et de gendarmerie et leur donner de nouveaux moyens techniques et juridiques (5,6 milliards d’euros, 13 500 créations de postes). Elle avait créé un « Conseil de la sécurité intérieure »sous la présidence du chef de l’État pour définir les orientations nationales des politiques de sécurité mises en oeuvre par le ministère de l’intérieur. Avec la LOPPSI 2 (2009-2013), le sigle s’est pris un P de plus, pour performance:comme partout l’heure est à « l’optimisation », au management, à l’organisation des « ressources humaines ». Ils’agit de « permettre au ministère de l’intérieur de renforcer ses capacités dans l’anticipation, la prévention, la protection,la lutte et l’intervention contre les menaces et les risques susceptibles de porter atteinte aux institutions, à la cohésion nationale, à l’ordre public, aux personnes et aux biens, aux installations et ressources d’intérêt général sur le territoire de la République. » Dans « l’exposé des motifs » au parlement (dont les citations de cet article sont tirées), la justification de ce dispositif est simple : délinquants et victimes s’affrontent dans le grand match de la sécurité ; le score, c’est le « taux d’élucidation » des crimes et délits, et tant qu’il « n’aura pas dépassé 50%, délinquants et criminels bénéficieront de fait d’un avantage par rapport aux victimes. » Par la multiplication de petits délits facilement élucidables, ce score devrait être rapidement atteint.

La LOPPSI 2 ratisse large, de la« délinquance routière » à la« menace terroriste » en passant par les risques de « catastrophes naturelles » et les « violences urbaines qui menacent la tranquillité de quartiers et de leurs habitants » (1) ; et puisque manifestement, assurer la sécurité intérieure,c’est agir sur tous, sur tout, et tout le temps, la nouvelle loi d’orientation modifie tout un tas de codes : civil,pénal et de procédure pénale, monétaire,financier, mais aussi les codes de la santé publique, de la route, de la défense, de la propriété intellectuelle, du sport ; le code général des collectivités territoriales, le code général de la propriété des personnes publiques… sans oublier, on s’en doute, le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Un petit nouveau a même été créé pour faire bon poids : le code de la sécurité intérieure, qui reste à découvrir.

Plusieurs logiques s’entrecroisent dans ce méli-mélo technico-législatif : la LOPSI avait déjà réuni gendarmerie et police sous le commandement du ministère de l’intérieur. Cette harmonisation est étendue aux polices municipales, à celle du métro (qui se voient attribuer des pouvoirs judiciaires : contrôles,fouilles, collectes de preuves, d’empreintes…),à la protection civile (pompiers,chefs d’établissements scolaires…),à l’administration pénitentiaire,et de fait à la magistrature (2)… Un« conseil national des activités privées de sécurité » créé pour l’occasion doit encadrer le développement du marché de la sécurité privée (surveillance, gardiennage,transports de fonds, renseignement international et économique…)dans sa collaboration avec les administrations répressives de l’État. Et puis il y a le P de performance : c’est – comme partout – l’application de principes « de management des ressources et des modes d’organisations » pour augmenter le rendement tout en réduisant les coûts. Ça passe par une refonte complète de la « sécurité intérieure » :décloisonnement des différents services réunis sous la même autorité de tutelle,extension de leurs zones géographiques d’intervention à des « bassins de délinquance » chevauchant plusieurs départements.La loi prévoit d’augmenter l’effectif des « forces de l’ordre et de sécurité » ; une toute nouvelle « réserve civile de la police » va enrôler aux côtés des retraités de la police des volontaires payés pour jouer aux flics trois mois par an pendant cinq ans (3).Ça passe aussi par le renforcement de l’équipement technologique tous azimuts : celui des services de police (32millions d’euros pour des terminaux informatiques embarqués), mais aussi par le développement des dispositifs de relevés de données (18 millions d’euros pour l’identification automatique des plaques minéralogiques) ainsi que par une adaptation des procédures aux« avancées » techniques (utilisation de visioconférence pour l’audition des prisonniers et dans des audiences en centre de rétention). C’est donc largement une histoire de gros sous (4) qui va alimenter les marchés de l’industrie de la surveillance et du contrôle, du bracelet électronique aux caméras, en passant par la construction immobilière…Le recoupement de données et leur accès par les différents services de police est facilité. La loi prévoit le développement des « fichiers d’analyse sérielle » : il s’agit de recueillir le plus d’informations possible – policières,judiciaires, scolaires, sanitaires, professionnelles,habitudes de consommation…– sur le plus grand nombre de personnes possible, le plus tôt possible(dès la naissance) pour établir par le recoupement de ces données des profils qui serviront de base pour désigner des suspects.Au passage, le texte alourdit bien sûr certaines peines, comme celles qui punissent les cambriolages chez les petits vieux, les violences sur les forces de sécurité publique et les agents de l’État, les débordements de supporters…Certaines peines planchers seront appliquées dès la première infraction,et la période de sûreté de trente ans est élargie à de nouveaux crimes.Le texte crée aussi de nouvelles peines : les mineurs de moins de 13 ans pourront faire l’objet de « couvre-feux individuels » que les parents mis sous« contrat de responsabilité parentale »seront tenus de faire appliquer sous peine de sanctions (450 euros d’amende, premier prix). Il prévoit l’extension des possibilités de placement sous surveillance électronique après l’exécution de la peine.Le pouvoir de surveiller, de contrôler et de sanctionner est redistribué. Le texte incite les personnels scolaires à dénoncer les manquements à la discipline : ils remplissent les fichiers, et les inspecteurs d’académie peuvent alors faire suspendre les allocations d’une famille.Les préfets peuvent maintenant imposer aux mairies l’installation de systèmes de vidéosurveillance (rebaptisée vidéoprotection pour l’occasion) fixes – ou ponctuels, en fonction de l’actualité.Les autorités administratives sont pourvues de nouveaux pouvoirs de coercition : dépistages sanitaires obligatoires,filtrage des sites internet, expulsion des logements de fortune…L’autorité, sans cesse évoquée dans le texte, est manifestement toujours plus au goût du jour : la peur doit régner,même la petite démerde est fortement réprimée. La « vente à la sauvette »devient un délit, le trafic de points de permis de conduire est passible de six mois de prison.Ces dernières années, les lois sécuritaires(LSQ, LOPJI, LOPSI 1, LSI,Perben 2, loi de prévention de la délinquance,lois antiterroristes, lois sur l’immigration…) promulguées par les gouvernements de gauche comme de droite ont multiplié les délits et les crimes passibles de poursuites, alourdi les peines qui les punissent et renforcé le sentiment que l’« insécurité » serait due à la délinquance et non au système social. La Loppsi 2 accentue la banalisation de la surveillance diffuse et du contrôle permanent et fait de chacun d’entre nous un suspect naturel pour la police et un coupable potentiel pour la justice.

Totalitarismus democraticum.

NOTES :1. « Les objectifs opérationnels prioritaires définis pour les années 2009-2013 concernent : – les menaces terroristes qui portent atteinte aux principes fondateurs de la République, à l’intégrité du territoire national et aux intérêts supérieurs du pays ; – les mouvements et actes qui nuisent à la cohésion nationale, qu’il s’agisse des différentes formes de radicalisation favorables au développement de la xénophobie, du racisme et de l’antisémitisme ou aux trafics et violences urbaines qui menacent la tranquillité de quartiers et de leurs habitants ; – la criminalité organisée,notamment celle favorisée par les développements technologiques (cybercriminalité),et l’évolution des rapports géostratégiques (trafics de matières à haute valeur marchande, émigration irrégulière et clandestine, flux économiques souterrains) ; – les violences infra-familiales ; – la délinquance routière ; – les crises de santé publique ou environnementales »2. « Mieux définir les responsabilités de tous les acteurs participant à la politique nationale : collectivités territoriales(notamment de surveillance, de gardiennage et de transports de fonds ;agents privés de recherche ; acteurs du secteur de l’ » intelligence économique  » »3. À condition d’être de nationalité française, âgé de 18 à 65 ans et sans casier judiciaire.4. Budget : 2 546 millions en autorisations d’engagement (AE) à dépenser entre 2009 et 2013, avec 1 771 millions en crédits de paiement (CP) actuellement dans les caisses de l’État : 878millions d’euros CP et 1 215 millions d’euros AE pour la police nationale,762 millions d’euros en CP et 1 162millions d’euros en AE pour la gendarmerie nationale, 131 millions d’euros en CP et 169 millions d’euros en AEpour la sécurité civile (hors salaires et dépenses de fonctionnement existants).

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