Critique du livre de M. Pitte (président de Paris 4), « Jeunes, on vous ment »

Les propositions scandaleuses d’un serviteur zélé et médiocre du capitalisme

Auteur : militant de la FSE http://oxygenefse.free.fr

Sommaire

1. Un livre indigne d’un universitaire ou tout simplement d’un « honnête homme »

2. Quand M. Pitte analyse le mouvement du printemps : de l’incompréhension à l’insulte

3. Les propositions de M. Pitte : l’Université capitalisée

3.1 : M. Pitte se prononce pour la professionnalisation généralisée de l’Université

3.2 : M. Pitte se prononce pour la généralisation de la sélection à l’entrée des cursus

3.3 : Puisque l’Etat n’a plus d’argent, faisons payer les étudiants et acceptons l’argent des entreprises !

3.4 : Transformer le statut des enseignants-chercheurs pour qu’ils servent mieux les intérêts du patronat

4. Pour en finir avec ce sinistre individu

1. Un livre indigne d’un universitaire ou tout simplement d’un « honnête homme »

M. Pitte est un vulgaire démagogue doublé d’un faussaire : il travestit les faits, et établit les comparaisons les plus douteuses pour disqualifier ses ennemis et ainsi se mettre en valeur :

« Jeunes, M. Pitte vous ment » sur le déroulement du mouvement étudiant du printemps, en affirmant (par exemple) que « La surenchère des revendications est d’ailleurs montée à mesure que le mouvement anti-CPE s’essoufflait » (p.38). En effet, dès sa première réunion (à Rennes le 18 février), la coordination nationale étudiante exige le retrait de la LEC, du CNE, et plus de postes d’enseignants. Dès le départ, le mouvement n’est pas « anti-CPE ». L’appel de la coordination nationale à poursuivre la grève après le remplacement du CPE n’est donc pas la manifestation d’une « surenchère des revendications ».

Il ment encore quand il affirme que « Le CPE était aussi anodin que possible, puisqu’il existe des lois comparables en Italie, en Angleterre, en Allemagne » (p.31). Passons sur la valeur de l’argument « comme cela existe ailleurs, c’est pas grave » qui ne fait que révéler l’esprit moutonnier de M. Pitte. En Allemagne, il n’y a aucune loi comparable au CPE. C’est précisément la raison pour laquelle le gouvernement Merkel voulait allonger la période d’essai de 6 mois à 2 ans pour toutes les nouvelles embauches. Mais pour l’instant, ce projet n’a pas été adopté et suscite, comme en France, de vives protestations.

Il ment encore et toujours quand il écrit : « il ne peut être question d’augmenter encore la part des prélèvements obligatoires qui représente déjà plus de 45% du PIB » (p.115). En effet, les prélèvements obligatoires n’ont jamais dépassé 45% du PIB. Ils ont atteint leur pic en 1999 (44,9% du PIB), et ils sont en 2005 de 44,1% du PIB .

En parlant de ceux qui (au parti socialiste) veulent « bannir » l’expression « égalité des chances », M. Pitte écrit : « Non à Pétain, mais oui à Staline et à la résurrection de l’URSS ! » (p.26). Cette comparaison n’a aucun sens, mais a pour unique but d’associer ses contradicteurs à une personnalité repoussoir, afin d’éviter la confrontation des arguments.

Toujours pour éviter de se donner la peine d’argumenter, M. Pitte assaisonne son texte d’exemples divers censés prouver ses affirmations. Ainsi, quand M. Pitte fait de la publicité pour son excellent boucher de la rue Monge qui n’arrive pas à trouver d’apprentis (p.100-101), le lecteur doit comprendre que M. Pitte a démontré que la cause du chômage est l’inadaptation du système de formation à la demande des entreprises.

M. Pitte livre ici un travail bâclé et imprécis – une centaine de pages écrit gros, ce n’est pourtant pas très long à relire , qu’un étudiant de 1ère année consciencieux n’oserait pas rendre à son enseignant. Des expressions comme « il est bien connu que » foisonne dans un texte qui relève plus du café du commerce que du discours raisonné :

M. Pitte multiplie les citations imprécises ou sans référence. Par exemple, quand M. Pitte évoque l’« excellent taux d’encadrement moyen d’un professeur pour 11 élèves en 2004-2005 » (p.56), il n’informe pas le lecteur de sa source. Ou alors, quand il nous parle d’une offre d’emploi de technicien au salaire affriolant (p.106-107), sa source est indiscutable puisque M. Pitte nous affirme « Je dois cette information à Gilles Fumey » (p.107). N’apprend-on pas à l’université à citer ses sources avec précision ?

M. Pitte entretient le flou et les approximations pour faire peur à son lecteur. Ainsi, il affirme que le montant des dégradations dans les universités, suite au mouvement du printemps, est de « plusieurs millions d’euros » (p.40). Or, aucune estimation, à notre connaissance, n’est supérieure à 2 millions. Yannick Vallée, 1er vice-président de la Conférence des Présidents d’Université (CPU) – qui n’a aucun intérêt à minimiser les dégâts estime lui à deux millions d’euros (cf. son interview dans Le Monde du 19 avril 2006). Pourquoi faire croire que les dégradations se chiffrent à « plusieurs millions d’euros » quand on sait pertinemment qu’elles ne dépassent pas deux millions d’euros ?

Avant de critiquer plus en détails le livre commis par M. Pitte, nous ne pouvons que nous inquiéter qu’un tel individu aussi peu scrupuleux puisse représenter une université aussi prestigieuse que la Sorbonne. Démagogue et faussaire, M. Pitte nous livre une logorrhée néo-libérale, mâtinée de poujadisme, d’une platitude et d’une médiocrité inouïes. M. Pitte, à la quête d’une gloire médiatique, utilise l’aura de sa fonction pour donner du crédit aux idées les plus vulgaires et mercantiles. Censé être le représentant de la « communauté universitaire » de la Sorbonne, c’est-à-dire de ses étudiants, enseignants, et personnels IATOS, M. Pitte nous fait honte et ne nous inspire que du dégoût, en piétinant les valeurs humanistes et critiques de l’Université.

Dans une interview accordée à l’UNI, organisation de la droite et de l’extrême droite universitaire, M. Pitte dit à juste titre : « Je n’aurais pas occupé ces fonctions [de président d’université] (…) Personne ne l’aurait édité, personne ne l’aurai lu (…) J’en ai profité ».

2. Quand M. Pitte analyse le mouvement du printemps : de l’incompréhension à l’insulte

Comme M. Chirac lors de son débat télévisé avec des « jeunes » pourtant triés sur le volet, M. Pitte est totalement à côté de la plaque. Pour lui, les jeunes qui ont participé au mouvement social du printemps ne sont pas ses égaux, capables de réflexion et d’esprit critique. Pour les qualifier, M. Pitte a d’ailleurs recours au vocabulaire médical, infantilisant, ou animalier : « CPE : deux ans, ce n’est pas l’éternité, mais une telle mesure a fait naître une peur irrationnelle » (p.13), « criailleries estudiantines » (p.34), « vide abyssal de la pensée » (p.34), « crise de nerfs » (p.37 et p.48).

Pourquoi donc ces étudiants ne comprennent-ils donc rien ? M. Pitte ne se l’explique pas et en reste « pantois » (p.37), s’énervant jusqu’au point d’avoir « honte de mon [son] pays » (p.36). Diantre ! Pourquoi ces étudiants ne comprennent-ils pas ce qu’exprime si justement cet étudiant canadien si lucide : « Si je fais mon job, je ne vois pas pourquoi mon employeur me virerait. C’est un fantasme, cette idée » (p.27-28) ? Pourquoi ces étudiants ne comprennent-ils pas que la liberté de se faire licencier constitue la vraie aventure de leur vie ? (« Ils ont vingt ans à l’état civil et soixante dans leur tête ; leur sécurité et leur retraite leur importent plus que l’aventure de leur vie » [p. 32]).

Pourtant, le monde de M. Pitte est simple à comprendre : la lutte de classes n’existe pas, les salariés et les patrons n’ont pas d’intérêts contradictoires, la flexibilité crée l’emploi , les patrons sont brimés (M. Pitte parle de « l’extrême difficulté de licencier un salarié en France » [p.12] alors que cela fait des années qu’on assouplit les procédures de licenciement : cf. par l’exemple la suppression de l’autorisation administrative de licenciement au début des années 80). Malheureusement, les méchants staliniens nous gouvernent et empêchent l’avènement du paradis néolibéral par leur archaïsme. Et d’ailleurs, peut-on faire confiance aux enseignants chercheurs qui « vivent dans les nuages de la recherche et désintéressée » (p.109) pour faire comprendre le monde aux étudiants ? Des professionnels mandatés par Mme Parisot ne seraient-ils pas plus « compétents » pour diffuser la vision du monde de M. Pitte auprès des étudiants ?

Sur le déroulement du mouvement du printemps, M. Pitte veut se démarquer de ces collègues décidément trop naïfs : « Comment un certain nombre d’étudiants, de professeurs et de présidents naïfs ont-ils pu croire à la spontanéité et à la légitimité des assemblées générales, ou penser, ce qui revient au même, qu’il est possible de les raisonner et d’obtenir d’elles des votes de sagesse ou, tout simplement, des votes démocratiques ? » (25). M. Pitte nous livre sa conception de la démocratie : une AG légitime et démocratique est une AG que l’on peut « raisonner », c’est-à-dire une AG qui vote ce que M. Pitte veut qu’elle vote. Notons d’ailleurs que cette conception un tantinet autocentrée de la démocratie – que l’on retrouve au Conseil d’administration de Paris IV – est partagée par les bureaucrates de l’UNEF.

Au moins M. Pitte fait-il preuve de lucidité quand il reconnaît (pour s’en offusquer) que la FSE ne partage pas cette conception de la démocratie, citant un passage de la charte de la FSE (p.24) qui montre que la FSE cherche à développer l’auto-organisation des étudiants, reconnaît la légitimité des AG, même quand elle n’est pas d’accord avec les décisions qui en ressortent. Nous sommes d’ailleurs honorés d’être considérés par cet individu comme ses pires ennemis, et nous informons M. Pitte que le passage de l’appel de la coordination nationale du 16 avril qu’il cite comme le comble de l’horreur (« Nous exigeons des garanties sur le déroulement des examens de fin d’année. Nous dénonçons le chantage aux examens et l’accord illégitime entre l’UNEF et la conférence des présidents d’université pour le report des examens après le rattrapage quasi-intégral des cours. Le calendrier universitaire doit être maintenu quoi qu’il arrive. Ce n’est pas la grève qui dévalorise nos diplômes, c’est la réforme LMD qu’il faut abroger » [p. 22]) est une motion qui a été proposée (et votée) par la FSE à l’AG de Tolbiac (Paris I) jeudi 13 avril, et qui a été reprise par la coordination nationale le week-end suivant.

Puisque M. Pitte ne comprend pas le mot « grève » pour un étudiant (« le mot ‘grève’ n’a aucun sens réel. S’il ne veut pas aller en cours, il n’y va pas et le seul risque qu’il prend est celui d’échouer à ses examens et de ne pas obtenir de diplôme » [p. 21]), nous allons lui expliquer. La grève est pour nous une décision collective prise en Assemblée générale : elle consiste en l’interruption des cours, à la mise en place de piquets de grève pour empêcher la tenue des cours (afin de faire respecter la décision démocratique et majoritaire de l’AG), afin de permettre la mobilisation des étudiants et ainsi l’instauration d’un rapport de force pour gagner sur des revendications. Voter la grève et laisser se tenir les cours, c’est se tirer une balle dans les pieds, et laisser les étudiants atomisés face aux pressions qui s’exercent sur eux (retards pris dans les cours par rapport aux non grévistes, coupures des bourses, etc.). La grève n’est pas un acte sacrificiel et individuel, mais un moyen d’action collectif qui cherche l’efficacité maximale.

M. Pitte situe le mouvement du printemps à la suite de 1789, 1830, 1848, 1871, 1968, autant de témoignages de l’« attitude infantile » (p.34) des français, et de leurs plus grands « travers » : « la révolte plutôt que la réforme, l’invective plutôt que l’argument, la division plutôt que l’unité » (p.34). M. Pitte ne le cache pas : c’est un contre-révolutionnaire qui prône l’unité derrière la classe dominante. C’est un adepte de la rupture, mais façon Sarkozy : la rupture avec toutes les conquêtes qu’ont pu arracher les travailleur, afin de rétablir le règne absolu et sans partage de la classe dominante. M. Pitte est un ennemi de classe.

3. Les propositions de M. Pitte : l’Université capitalisée

N’en déplaise à M. Pitte, ses propositions sont dans l’air du temps. On les retrouve en grande partie dans les « synthèses » des débats organisés dans chaque académie sur le thème « Université / Emploi ». Elles s’inscrivent, en la radicalisant, dans la logique des réformes qui se sont succédées depuis des années : renforcer l’autonomie des universités pour qu’elles répondent de façon plus satisfaisante aux besoins du patronat. Le but est de restructurer l’Université pour en faire l’Université du capital, qui produit des capitaux humains, tout en liquidant (pour le plus grand nombre) l’héritage humaniste désormais trop encombrant et coûteux.

3.1 : M. Pitte se prononce pour la professionnalisation généralisée de l’Université

M. Pitte en est convaincu : le chômage de masse est due à l’inadaptation de notre système de formation, incapable de fournir la main d’œuvre demandée par les patrons. Pour preuve, son boucher favori n’arrive pas à trouver d’apprenti (p.100-101), on manquerait de charpentiers (« En témoigne cet unique candidat pour quinze places ouvertes en charpenterie au lycée technique de Mâcon, alors que mille étudiants se pressent en psychologie à l’Université de Dijon » [66]). M. Pitte devrait pourtant savoir qu’une série d’exemples ne constitue pas une preuve. Faire croire qu’une réforme du système de formation ferait baisser significativement le chômage est un non-sens réfuté par la seule statistique suivante : « on estime à 10% à peine du nombre de chômeurs les offres d’emplis non satisfaites pour cause de formation inadéquate » .

Pour améliorer l’insertion des jeunes sur le marché du travail, et donc selon lui faire baisser le chômage, M. Pitte pense qu’il faudrait professionnaliser les cursus et donc renforcer les liens entre les universités et les entreprises : « Améliorer l’insertion professionnelle des diplômés passe par le renforcement des liens entre les universités et les entreprises » (p.108-109). Alors que le chômage n’a cessé de monter pendant que l’enseignement supérieur se professionnalisait toujours plus, des idéologues de la bourgeoisie comme M. Pitte persiste à affirmer que la professionnalisation est une solution au chômage !

En fait, la professionnalisation n’améliore pas globalement l’insertion professionnelle mais est une politique de classe qui sert les intérêts de la bourgeoisie et dessert les intérêts des travailleurs. La professionnalisation des études est la transmission de savoirs professionnels (connaissances liées à un poste de travail) et l’inculcation de savoir-être (attitudes exigées pour la mise en valeur du travail subordonné). Elle implique l’ouverture de l’Université et sa dépendance vis-à-vis de la sphère économique qui détermine ce qui doit être transmis à l’Université. Elle passe par le renforcement des stages dans les cursus ou encore l’intervention de « professionnels » à tous les niveaux (lors de la création des cursus, pendant la formation par des « enseignements » délivrés par des professionnels, par la participation des professionnels à l’évaluation des formations). On comprend pourquoi les patrons sont pour la professionnalisation des cursus : ils n’ont plus à financer la formation professionnelle (prise en charge par les deniers publics) et les cursus sont remodelés en fonction de leurs exigences (mettant sur la touche les enseignements « inutiles » permettant de développer l’esprit critique)

M. Pitte a un critère simple pour juger de la valeur d’une formation : « Le seul critère devrait être le taux d’insertion professionnelle, ainsi qu’une hiérarchie des fonctions et des revenus correspondant à la durée des études » (p.45-46). Le fric est donc l’étalon et le juge de paix : la transmission des connaissances est conditionnée à sa rentabilité économique. La « communauté universitaire » de la Sorbonne sait à quoi s’en tenir : pour M. Pitte, la Sorbonne est une prostituée, et son président est un souteneur qui s’assume comme tel.

Et si les étudiants ont l’outrecuidance de vouloir se diriger vers des filières « non rentables », il faut les en dissuader, en diffusant partout la culture du fric, en exhibant partout les salaires affriolants (si besoin en les trafiquant) des formations professionnalisées.

Mais il faut agir dès le plus jeune âge, en remplaçant les conseillers d’orientations par des « professionnels des ressources humaines » (p.96) ou par des « jeunes retraités » (p.96) qui se chargeront de déniaiser les jeunes idéalistes, et de les orienter, « de leur plein gré », vers les filières rentables (pour le patronat), de les convaincre que « travailler dans le bâtiment, l’hôtellerie, la restauration peut aussi être magnifique » (p.103) et que l’argent est la valeur suprême : « La plomberie ou l’électricité n’ont pas leurs divas, mais il est très connu que ces professions rapportent pas mal d’argent » (p.102)

3.2 : M. Pitte se prononce pour la généralisation de la sélection à l’entrée des cursus

M. Pitte est un sentimental. Et oui ! La nostalgie le gagne, quand il évoque le bon vieux temps, « le temps de la méritocratie et de l’ascenseur social » malheureusement « en voie de disparition » (p.43) où la majorité des enfants d’origine modeste devaient travailler très tôt, et où « seuls les meilleurs se voyaient proposer des bourses afin de poursuivre leurs études vers le secondaire » (p.43). Un temps béni où l’énorme majorité des enfants des classes populaires stoppaient leurs études à 14 ans et entraient en apprentissage.

Même si son ami Sarkozy a rétabli l’apprentissage dès 14 ans, M. Pitte est conscient qu’on ne pourra faire renaître le bon vieux temps. Les besoins du patronat évoluent. Et M. Pitte se charge de les exprimer : il faut développer les « formations professionnelles plus courtes » (p.100), « le plus souvent en alternance et en apprentissage » (p.100). Mais bien sur, pour faire bonne mesure, on assurera la promotion sociale d’une poignée d’enfants des classes populaires (via par exemple le dispositif ZEP de Sciences-Pô), alors que la majorité d’entre eux seront privés de formation générale (théorique et pratique) et livrés au patronat.

Comment faire pour orienter plus d’étudiants vers les filières professionnelles plus courtes ? Comment faire pour que plus d’étudiants quittent l’université une fois la licence obtenue ? Le bourrage de crâne est bien sur préférable, mais M. Pitte est bien conscient que cela ne suffira pas : « L’orientation intelligente et positive peut fonctionner par la persuasion, mais elle a aussi besoin du coup de pouce d’un numerus clausus non fondé sur le principe des premiers inscrits, mais sur celui des débouchés possibles et des chances de réussite des étudiants acceptés » (p.95). Et M. Pitte n’y va pas de main morte, il s’agit de diviser les effectifs universitaires par deux : « Si l’on autorisait les universités à choisir leurs étudiants, tout en s’engageant à les insérer dans la vie professionnelle quelques années plus tard, leurs effectifs devraient diminuer de moitié » (p.94-95). Et d’invoquer le sacro-saint principe d’autonomie pour justifier la sélection : « La première des autonomies est de pouvoir choisir ses étudiants » (p.105).

Si M. Pitte prône une sélection brutale et précoce, il ne fait que radicaliser la position de la CPU (conférence des présidents d’université). Dans la logique du LMD pourquoi sélectionner à l’entrée de la 2ème année de master alors que la 1ère année de master ne débouche sur aucun diplôme reconnu sur le marché du travail ? , la CPU propose de mettre en place une sélection dès l’entrée du master (cf. sur le site de la CPU : http://www.cpu.fr/Telecharger/Publi/TexteAccesMaster.pdf).

3.3 : Puisque l’Etat n’a plus d’argent, faisons payer les étudiants et acceptons l’argent des entreprises !

En bon poujadiste, M. Pitte juge la pression fiscale insupportable. « Compte tenu de la pression fiscale française » (p.57), l’Etat ne peut financer davantage les universités : « il ne peut être question d’augmenter encore la part des prélèvements obligatoires qui représente déjà plus de 45% du PIB » (p.115). M. Pitte n’est pas à un mensonge près (cf. ci-dessus à propos du mensonge sur le 45%), la fin justifiant les moyens.

M. Pitte justifie donc le désengagement financier de l’Etat, et propose que les dotations de l’Etat « soient proportionnelles au taux d’insertion professionnelle des étudiants plutôt qu’à leur nombre » (p.123). Par la pression du porte-monnaie, on forcerait les universités à supprimer les filières « non rentables » au profit de filières correspondant aux besoins à court terme du patronat (mais pas aux besoins à long terme des étudiants). En outre, le financement en fonction du nombre d’étudiants a l’immense tort de ne pas encourager les présidents d’université à limiter leur nombre d’étudiants.

Puisque l’Etat ne peut davantage, il faut donc se tourner vers les entreprises et les étudiants : « Les autres sources de financement sont donc à rechercher du côté des entreprises et des usagers. Qui dit entreprises dit mécénat ou privatisation » (p.116). Bien sur, les entreprises qui financeront directement les université ne le feront pas par « générosité » (p.116) comme voudrait nous le faire croire M. Pitte. La privatisation de l’université est d’ailleurs en marche : à Toulouse I, une chaire « Pernod-Ricard » de « Politique de la concurrence » a été créée dans le cadre l’école doctorale « Midi-Pyrénées Sciences économiques ». Pernod-Ricard s’engage à verser 15 000 € par an avec en contrepartie le bénéfice des résultats des recherches dans un domaine qui l’intéresse particulièrement (et en prime quelques stagiaires surexploités).

L’autre source de financement se trouve bien évidemment chez les étudiants : « L’élévation des droits d’inscription est une décision que l’on ne pourra plus longtemps différer » (p.117). L’augmentation des frais d’inscription aurait également une autre « vertu » : éliminer les étudiants fantômes qui veulent bénéficier de la Sécurité sociale (les salauds !). On fera remarquer à M. Pitte que les droits d’inscription augmentent déjà fortement (+15% au niveau licence entre 2003 et 2006, et +50% au niveau master entre 2003 et 2006), la hausse étant d’ailleurs plus forte après la licence, comme si l’on voulait décourager les étudiants de poursuivre trop longtemps leurs études ; mais cela ne saurait satisfaire M. Pitte qui plaide visiblement pour une explosion de ceux-ci.

Accordons au moins à M. Pitte le mérite de la franchise quand il explique que le développement de l’autonomie des universités (« établissements autonomes dans leur fonctionnement et leur financement » [p.49]) est incompatible avec le « service public de l’enseignement supérieur » (p.50). La mise en concurrence d’universités entreprises autonomes qui se font concurrence est en effet contraire au service public.

L’augmentation des frais d’inscription est-elle compatible avec l’idéal de M. Pitte – le seul possible dans un pays civilisé nous dit-il , à savoir la fameuse et fumeuse « égalité des chances » ? Affirmatif nous répond M. Pitte. D’ailleurs, M. Pitte nous apprend que la « quasi-gratuité » (sic) est un piège pour les pauvres : « L’opinion la plus courante veut que la quasi-gratuité (150 € annuels ) soit le seul moyen de permettre l’accès à l’enseignement supérieur des étudiants pauvres. Rien n’est plus faux car ceux-ci éprouvent bien des difficultés à se loger, à se nourrir, à vivre dans des conditions décentes » (p.119-120)

Le « raisonnement » est surréaliste : sous prétexte que les étudiants pauvres ont déjà beaucoup de difficultés dans leur vie quotidienne, la faiblesse (relative) des frais d’inscription leur serait préjudiciable ! Mais qu’on ne s’y trompe pas, M. Pitte a du cœur : il est pour l’attribution des bourses, à condition que celles-ci ne soient pas exclusivement sur critères sociaux, ce qui serait selon lui « particulièrement démagogique » (p.120) . Une partie des bourses devra provenir « du mécénat mais aussi des établissements eux-mêmes » (p.122). Alors que Sarkozy veut choisir les immigrés, M. Pitte veut choisir les étudiants pauvres qui méritent de faire des études (via les bourses des établissements). Il veut aussi réserver ce droit aux patrons qui auront forcément leur mot à dire pour les bourses provenant de leur « bon cœur » (mécénat).

Le bon cœur de M. Pitte a ses limites : les pauvres qui veulent faire des études devront avant tout se salarier. M. Pitte propose d’encourager et de développer le travail salarié des étudiants : celui-ci devrait être « facilité par diverses facilités (sic) fiscales accordées tant aux employeurs qu’aux employés » (p.122). Alors que plusieurs études expliquent (ce qu’on conçoit aisément) que les étudiants qui travaillent à côté voient leur taux de réussite diminuer « une activité rémunérée, coupée des études, pratiquées de façon régulière et exercée au moins à mi-temps accroît fortement les risques d’échec » M. Pitte ne voit pas la contradiction avec son idéal d’« égalité des chances » …

3.4 : Transformer le statut des enseignants-chercheurs pour qu’ils servent mieux les intérêts du patronat

La capitalisation de l’Université – sa transformation structurelle au service exclusif du capital – exige de changer le statut des enseignants-chercheurs, trop rigide, c’est-à-dire trop protecteur par rapport aux pressions qui doivent s’exercer sur eux dans l’Université capitalisée.

Le statut de fonctionnaire à vie est la principale anomalie qu’il faut supprimer : « Le problème est le recrutement à vie de ces jeunes enseignants-chercheurs » (p.82) ; « Il n’est plus admissible de recruter des chercheurs en sciences humaines autour de trente ans en espérant qu’ils demeureront efficaces et productifs pendant trente-cinq ans, sans avoir vécu la moindre mobilité, ni une réelle évaluation » (p.84). Pour que les enseignants-chercheurs soient « efficaces », c’est-à-dire pour qu’ils soient à l’écoute des besoins patronaux, ils ne doivent pas bénéficier d’un statut qui leur permet de décider eux-mêmes de l’orientation de leur recherche. Ce statut fait que les enseignants chercheurs « vivent dans les nuages de la recherche et désintéressée » (p.109), oubliant ainsi le « monde réel » (p. 86), c’est-à-dire, pour M. Pitte, le monde patronal. Une bonne recherche est pour M. Pitte une recherche ordonnée (et contrôlée dans sa mise en oeuvre) par un patron pour augmenter son taux de profit. Pour cela, il faut en finir avec ce statut archaïque.

Concrètement, M. Pitte propose de s’inspirer du modèle Hambourgeois : « A Hambourg, parmi les mesures mises en œuvre, figure ainsi la faculté pour le président et le doyen de choisir leurs enseignants et de fixer leurs salaires. Que de chemin à parcourir sous le ciel de France » (p.121-122). M. Pitte est frustré. Il veut devenir un super-manager de la bourgeoisie qui sélectionne et dirige ses employés (les enseignants) et qui fabrique le meilleur produit (les étudiants) pour le compte de ses chefs (les patrons). M. Pitte fulmine ainsi contre tous les méchants staliniens qui empêchent la réalisation totale de son rêve.

Pour s’assurer de la loyauté des enseignants, M. Pitte propose en outre de faire intervenir directement les représentants du patronat dans les universités : dans la gestion au quotidien des universités, en créant un poste de président du conseil de surveillance qui leur serait dévolu (cf. p.125) ; et aussi dans la sélection des enseignants du secondaire « Il faudrait simplement inclure dans les jurys une bonne dose de représentants du monde réel, cadres de grandes entreprises ou de PME, par exemple » (p.86). Rien ne doit être laissé au hasard : dans la nouvelle « économie de la connaissance », le métier d’enseignant est trop important pour ne pas être mis sous contrôle.

4. Pour en finir avec ce sinistre individu

M. Pitte n’est pas un « accident » de l’Histoire. Le personnage, d’une vulgarité et d’une médiocrité consternantes, exprime le projet patronal de capitalisation de l’Université. Au Conseil d’administration de Paris IV, il règne grâce au soutien des petits bureaucrates du syndicalisme cogestionnaire qui, derrière leur phraséologie faussement « humaniste » et leurs réels petits intérêts matériels et symboliques, accompagnent avec rondeur la politique de M. Pitte.

L’opposition théâtralisée entre M. Pitte et l’UNEF n’est que spectacle et illusions, et ne sert qu’à masquer leur « diagnostic partagé » : l’Université doit être capitalisée, professionnalisée, détruite comme institution autonome et pénétrée de toutes parts par la logique de valorisation du capital. Dans le cadre de la Commission « Université / Emploi » lancée le 25 avril à la Sorbonne par Villepin sous forte protection policière, les grands débats académiques ont démontré que les « partenaires sociaux » étaient effectivement des « partenaires » qui servaient les intérêts de la même classe. Les propositions qui émanent de ces débats consensuels vont exactement dans le même sens – de façon légèrement édulcorée – que les propositions contenues dans le « livre » de M. Pitte.

Le mouvement du printemps a ébréché le dispositif spectaculaire et routinier du pouvoir qui compte avant tout sur notre passivité. Dans les AG tant honnies par M. Pitte, les bureaucrates ont bien souvent été démasqués. Réduits au silence là où s’auto-organisait la lutte, ceux-ci ont déversé unilatéralement leur communication mensongère dans les médias. Ils ont réussi à faire refluer la lutte, avant qu’elle n’aille trop loin, c’est-à-dire qu’elle remette en cause les fondements du capitalisme et donc de leurs privilèges.

Nous devons nous appuyer sur le mouvement du printemps pour développer notre auto-organisation. Prolonger les comités de lutte dans la construction d’un nouveau syndicat de lutte, pour combattre l’Université capitalisée et sa morale répugnante. A M. Pitte qui prône « l’éducation des immigrants, adultes et jeunes, à la culture française, au civisme républicain, et à la laïcité » pour éviter la « guerre civile » (p. 113-114), nous lui répondons qu’il n’y aura pas de pacification, que nous combattrons sans relâche les idéologues de la bourgeoisie prêts à attiser le racisme pour diviser les travailleurs et empêcher leur union. Parce que notre union consciente signifie leur perte, ils sont prêts à tout. Soyons aussi déterminés qu’eux, et unissons nous pour détruire ce système capitaliste inhumain qui veut détruire tous les oasis de liberté.